Les universités catholiques doivent proposer un 'discernement éthique'
La Fédération internationale des universités catholiques (FIUC) fête ses cent ans, à l’occasion d’un congrès organisé à Rome du 18 au 19 janvier 2024 sur le thème: «Le futur de l’université catholique». Interview avec le secrétaire général François Mabille.
Environ 250 universités, réparties sur les cinq continents, font partie de la FIUC, dont le siège se trouve à Paris. Les objectifs sont notamment de promouvoir la coopération entre universitaires et d’assurer une représentation institutionnelle auprès des Nations unies, de l’Unesco et du Conseil de l’Europe.
Les travaux du congrès – qui incluent, le 19 janvier, une audience avec le pape François – se penchent notamment sur le rapport entre la tradition catholique et l’innovation dans la recherche, ou encore sur la place de la tradition intellectuelle catholique dans l’université d’aujourd’hui. François Mabille, spécialiste de la géopolitique des religions et secrétaire général de la FIUC, revient avec I.Media sur la spécificité des universités catholiques dans le panorama mondial actuel.
S’adressant aux universitaires, le pape François insiste régulièrement sur l’interdisciplinarité. La mise en relation des disciplines est-elle une spécificité de l’université catholique?
En effet, le pape François s’est notamment inscrit dans le temps long avec son encyclique Laudato si’ qui est un texte important pour nous. Il y constate avec lucidité que nous vivons une ›polycrise’, que le monde est affecté par différentes crises qui alimentent une crise systémique. Pour y répondre, une réponse monodisciplinaire ne suffit pas.
Il faut donc utiliser les différentes disciplines pour tenter de répondre à cette crise. Et dans cette réponse pluridisciplinaire, la théologie doit être intégrée. Durant ce pontificat, le statut de la théologie a été travaillé dans une logique non pas de surplomb, mais de relation avec les autres disciplines.
En ouvrant ce congrès, le cardinal Mendonça, préfet du dicastère pour l’Éducation et la culture, a rappelé que la catholicité d’une université ne se définit pas seulement par la présence d’une chapelle ou par son lien institutionnel avec un diocèse ou une congrégation religieuse, mais avant tout par la façon dont elle arrive à articuler la foi et la raison dans ses enseignements. Ce thème cher à Benoît XVI est donc réinvesti, mais avec de nouvelles approches, un nouveau positionnement.
Les universités catholiques n’ont-elles pas vocation à être un espace de dialogue et de respect mutuel, conjuguant effort intellectuel et dimension fraternelle?
Le congrès se penche sur la notion de «tradition vivante», et c’est une grande chance des universités catholiques d’être ancrées dans une tradition universitaire dans laquelle le statut épistémologique des savoirs est préservé. Ce qui se passe aux États-Unis [de récentes controverses violentes ont éclaté autour du positionnement idéologique de certaines universités, dans le contexte du conflit israélo-palestinien, ndrl.] montre qu’il faut préserver ce statut des savoirs universitaires et le tenir à distance des dérives idéologiques.
Les universités catholiques sont peut-être davantage préservées, précisément parce que leur tradition universitaire les ancre dans une réflexion attentive par rapport à ces conditionnements extérieurs. Beaucoup de nos universités vivent elles-mêmes dans des contextes difficiles, sur le plan culturel, idéologique, etc. Cela amène aussi à rester humbles par rapport à toute prise de position hâtive.
Le soutien aux universités dans des pays en guerre, comme l’Université catholique de Lviv en Ukraine, fait-il aussi partie des missions de la FIUC?
Tout à fait, cette solidarité se vit entre les universités elles-mêmes mais cela fait aussi partie des missions de notre secrétariat international. Cela passe aussi par un travail de plaidoyer que nous menons au niveau des institutions internationales. Quand des gouvernements populistes ou des régimes ‘illibéraux’ portent atteinte à la liberté religieuse et à la liberté d’expression, la liberté académique est elle aussi en danger. Sur plusieurs continents, les universités catholiques rencontrent des difficultés et nous œuvrons à les soutenir.
Certains reprochent aux universités catholiques de ne s’adresser uniquement aux milieux aisés. Cet enjeu de mixité sociale est-il aussi un axe important?
Les réalités sont très diverses: certaines universités ont vocation à s’adresser aux élites, alors que d’autres, comme les universités salésiennes, visent les milieux les plus pauvres. Au niveau international, il y a donc une grande diversité de situations. Dans les pays riches, un effort est mené au niveau des bourses afin d’élargir la base sociale du recrutement, mais il faut se souvenir que les universités catholiques touchent très peu d’argent public, voire pas du tout, d’où une certaine homogénéité sociale parmi les étudiants.
Toutefois, aux États-Unis, les universités catholiques présentent un panorama d’étudiants plus diversifié socialement que les universités d’État. Un travail est fait pour promouvoir la présence d’étudiants venus de tous les milieux sociaux.
En France, quels sont les liens entre Instituts catholiques et pouvoirs publics?
Il y a une évolution positive. Par exemple, on voit bien que la Catho de Lille s’est bien intégrée dans son périmètre des Hauts-de-France en tissant des accords avec les universités publiques, aussi dans le cadre d’une École doctorale. On retrouve cette même dynamique au niveau des autres universités catholiques. Cela manifeste une reconnaissance du travail accompli, et cela montre aussi que les universités catholiques, partout dans le monde, s’adaptent aux exigences de qualité qui sont demandées à toutes les universités.
En France, la plupart des enseignants dans les instituts catholiques ont un doctorat, ou une habilitation à la direction de recherche (HDR). Les critères de recrutement sont les mêmes que dans les universités publiques. Par ailleurs, les universités catholiques sont soumises aux évaluations des agences de qualité. Cela montre bien qu’il y a une insertion dans le périmètre global de l’enseignement supérieur au niveau mondial et au niveau national.
Dans son discours, le cardinal Mendonça a cité Jacques Attali, disant que les universités doivent former leurs étudiants à «des métiers qui n’existent pas encore». Comment concilier liberté de recherches et projections d’avenir avec les limites éthiques de l’Église?
Au sein de notre Fédération, nous avons créé un département de prospective appliquée à l’enseignement supérieur, afin d’anticiper les évolutions à venir. On voit bien qu’avec les innovations technologiques, le développement de l’intelligence artificielle, les suites de la pandémie et le développement des formations en ligne, ou encore les tensions géopolitiques et leur impact sur la coopération scientifique internationale, nous avons de nombreux défis à affronter.
Nous devons donc anticiper, et aussi mener un discernement éthique. Tous les nouveaux métiers dont nous parlons valent-ils la peine d’exister? Quels types de métiers nous allons proposer demain? Cela pose aussi la question de toute la relation de la personne au travail, qui est une question centrale dans l’enseignement social de l’Église, particulièrement travaillée par Jean-Paul II. Cette question de l’éthique du travail va certainement reprendre de l’importance.
Les universités catholiques doivent, en premier lieu, proposer des balises éthiques afin de contrer le relativisme ambiant…
Nous menons en effet une réflexion sur les ambiguïtés et les contradictions de notre société moderne. Nous vivons dans une société de la connaissance, jamais le savoir n’a été aussi accessible. Mais en même temps, jamais autant de fake news et de fausses vérités n’ont circulé. Cela montre que quand on parle d’accès direct au savoir, cela peut être trompeur. N’a en réalité un accès direct au savoir que celui qui a suffisamment de savoir pour comprendre ce qui relève du savoir et ce qui n’en relève pas.
Mais il est vrai que les universitaires ont perdu leur monopole comme lieu d’accès au savoir, qui est aujourd’hui plus diffus et accessible autrement. Notre réflexion porte donc sur la place des universités dans la société, dans des contextes nouveaux, sur le type de savoir qu’elles proposent, et sur la façon dont elles forment en effet les étudiants à une réflexion éthique. La responsabilité sociale des universités catholiques passe aussi par une formation à la citoyenneté, au service du bien commun. (cath.ch/i.media/cv/gr)