L’espace multicultuel de la prison de la Brenaz se dévoile le temps d’une soirée
Dans l’établissement pénitentiaire de la Brenaz (Genève), où une architecture de béton nu et austère fait loi, l’espace multicultuel détone par son aménagement chaleureux en bois. Plus qu’un simple lieu de culte pour les diverses religions, il est devenu un point de rencontre, de dialogue et même de jeu parfois. Visite du lieu, avec l’Aumônerie œcuménique des prisons.
Sous un timide soleil d’automne, tournant le dos aux arbres à feuillage doré, une trentaine de personnes attendent ce 9 octobre 2025 l’autorisation d’entrer devant les grilles extérieures de l’établissement fermé de la Brenaz, à Puplinge (GE). Une fois passé le point de contrôle, encadrées de gardiens et d’aumôniers – qui visiblement se connaissent bien et échangent avec chaleur -, elles s’engagent dans les couloirs et escaliers en béton gris brut de ce centre de détention pour hommes. Avant d’entrer dans une salle d’une trentaine de m2 où règne le bois, baignée par un éclairage plus doux grâce à la présence d’un puits de lumière naturelle.
Sur l’un des murs, une fresque représentant un olivier grandeur nature attire les regards. C’est ici, dans cet espace multicultuel, qu’ont lieu depuis des années les messes et les autres célébrations religieuses avec les détenus de la Brenaz, ainsi que des soirées à thème organisée par l’aumônerie, comme des tables de la Parole ou les «soirées jeux» mises en place depuis septembre 2025, qui visent à sensibiliser les détenus au potentiel du collectif.
Absents de la soirée, les prisonniers
Entre contraintes de sécurité et prise en compte des diverses sensibilités religieuses, aménager un espace cultuel accueillant et beau dans un établissement pénitentiaire se révèle complexe. Celui de prison genevoise de la Brenaz est exemplaire en la matière.
Financé par l’Aumônerie œcuménique des prisons et par l’Office cantonal de la détention de Genève, son réaménagement a pris fin en septembre 2020. En pleine crise du covid, l’espace n’avait pas pu être officiellement inauguré. Pour le Comité de l’aumônerie (CAOP), il était temps d’y remédier.
Les visiteurs du jour sont donc là pour assister à la cérémonie de reconnaissance organisée en l’honneur de ceux qui ont œuvré à l’aménagement de la salle interreligieuse (architecte, artistes, aumôniers, direction de la prison…) et de ceux qui la font vivre au quotidien depuis cinq ans… Manquent cependant à l’appel les détenus eux-mêmes, qui ont pourtant contribué à sa conception et pour qui elle a été conçue.
Une échappée dans un cadre fermé
«Il y a dix ans précisément, le 9 octobre 2015, était inauguré l’établissement fermé de La Brenaz 2, une extension de l’établissement fermé de La Brenaz, ouvert sept ans plus tôt. Dans ce nouveau bâtiment, un espace était prévu pour les célébrations religieuses, pour toutes les religions», a rappelé le médecin Paul Bouvier, ancien conseiller médical et éthique au CICR. Membre du Comité de l’Aumônerie œcuménique des prisons, il a retracé le parcours de la salle cultuelle.
Sous l’impulsion de Maurice Gardiol, alors président du CAOP, un groupe de travail composé de représentants de diverses confessions chrétiennes et de communautés musulmanes s’est aussitôt mis en place pour réfléchir à son aménagement.
«D’emblée il a été posé que le local devrait offrir un cadre accueillant», relate Paul Bouvier. Il devait trancher avec le reste de la prison, marqué par une «austérité architecturale et une pauvreté décorative». Par question d’opter pour un aménagement minimal et aseptisé! «Cela pourrait se voir comme une prolongation de la cellule, une privation de plus.»
Pour toutes les sensibilités spirituelles

L’espace devait aussi être aménagé pour différents cultes religieux et activités spirituelles, tout en respectant le cadre requis par chaque religion», souligne le médecin. Alors que les plans initiaux du local prévoyaient une orientation des sièges vers le nord, la salle a finalement été aménagée de manière à ce que les cérémonies soient tournée vers la paroi est-sud-est, ce qui correspond à la Qibla, la direction de la Mecque pour les musulmans, ainsi qu’à l’orientation traditionnelle des églises chrétiennes.
Il était de plus évident pour toutes les parties au projet que les personnes détenues elles-mêmes devaient y participer. «Tout ce qui a été fait ici l’a été avec la contribution des personnes détenues, des ateliers bois et menuiserie en particulier», confirme Ibra Mbaye, directeur de l’établissement depuis deux ans, tout comme les mets présentés aux convives lors de l’apéritif servi à la fin de la cérémonie de remerciements.
Ibra Mbaye reconnaîtra un peu plus tard que cette salle, ainsi que le travail quotidien des aumôniers, sont une contribution essentielle à la réinsertion des détenus. Et à l’instauration d’un climat apaisé au sein de la prison, remarquera pour sa part Rijad Aliu, imam des prisons genevoises depuis 2015.
L’olivier de la paix
Sur le mur vers lequel se dirigent les regards, un immense olivier, symbole de paix, est peint. Cet arbre revêt une importance particulière dans les traditions juive, chrétienne et musulmane. «Dans la Bible, l’olivier marque la fin de la catastrophe du déluge. Il est magnifié par le Coran, qui en fait un arbre béni. Au Maghreb de nombreux sanctuaires sont construits à l’abri des oliviers. Les vieux oliviers sont sacrés et ils accueillent des esprits bienfaisants», énumère Paul Bouvier.
«On ne voit pas les racines de cet arbre, renchérit Maurice Gardiol, mais il porte haut ses branchages.» Un message d’espérance, estime-t-il, pour des détenus qui ont souvent perdu leurs propres racines.
L’œuvre a été peinte par Frédéric de Haro, artiste graphique. «J’ai dessiné de nombreux croquis avant d’opter pour celui-ci, car même si peu de personnes peuvent voir ma peinture, j’ai tenu à la réaliser avec le même soin que si elle était visible par tous, par respect du lieu et des détenus», certifie-t-il.
Les critères de sécurité
«J’aurais voulu pouvoir la réaliser en relief, raconte-t-il encore à cath.ch, mais les matériaux nécessaires auraient pu se révéler coupants. L’idée n’a donc pas été retenue pour des raisons de sécurité.» L’aumônerie aurait aussi souhaité qu’un détenu participe à la réalisation de la fresque, mais, là encore, elle a du renoncer au projet pour des raisons de sûreté.
«J’ai réalisé cette fresque avec le même soin que si elle était visible par tous.»
Frédéric de Haro
Une des difficultés majeures, en effet, a été de rendre ce projet compatible avec les normes de sécurité imposées par les lieux. C’est là que la créativité d’Endrias Abeyi, l’architecte mandaté en 2017, s’est révélé essentielle.
Outre le puits de lumière d’origine (surplombé d’un filet de sécurité), le plafond de la partie couverte de la pièce a été habillé de bois, équipé de gaines techniques et de lampes pour procurer un éclairage harmonieux. Avec ses autres panneaux de bois en chêne, ses armoires et son long banc prolongeant les parois, la salle propose des espaces de rangements astucieux, où trouvent place tapis de prière, livres sacrés, croix et icône.
Souffrance et lumière sous la croix de San Diamano
Co-responsable du Service de l’aumônerie des prisons, Carol Beytrison fait glisser une armoire coulissante. Une grande croix de San Diamano (ou croix de St-François d’Assise) s’offre aux regards, emplissant l’espace de ses couleurs chatoyantes. Pour la réaliser, se fait valoir Federica Cogo, ancienne aumônière des prisons, le CAOP a fait appel à l’artiste iconographe Agnès Glichtich et à Brigitte Mesot, responsable de la Pastorale du monde du travail . Avec une petite équipe, celle-ci s’est mise au service de l’artiste.
«Comme nous ne pouvions pas réaliser la Croix à l’intérieur de la prison, nous l’avons confectionnée dans l’atelier d’Agnes Glichtich, à Thonon, en France, explique-t-elle. Cela a été magnifique pour toutes les personnes impliquées de se décentrer de leurs problèmes pour réaliser un projet qui allait amener de la lumière à des personnes enfermées.»
«Au cœur de la souffrance, quelque chose de lumineux peut surgir»
Carol Beytrison
Aux côtés du Christ, Carol Beytrison dépose deux autres œuvres de détenus, une croix et une peinture de Jésus avec sa couronne d’épine. «L’icône de San Diamano me parle, témoigne-t-elle, car elle est à la fois symbole de la souffrance mais aussi celui d’un Christ en gloire. Elle dit qu’au cœur de la souffrance, quelque chose de lumineux peut surgir.» (cath.ch/lb)