Victoire de la liberté contre l’obscurantisme religieux
Liban: Accusé d’avoir avili l’islam, le chanteur Marcel Khalifé est acquitté
Beyrouth, 16 décembre 1999 (APIC) Accusé par les instances musulmanes sunnites d’avoir avili l’islam pour avoir mis en chanson un verset du Coran, le chanteur Marcel Khalifé a bénéficié mercredi d’un non lieu. Les partisans du compositeur progressiste, massés depuis le matin devant le Palais de justice de Beyrouth, ont laissé éclater leur joie à l’annonce du verdict du juge pénal unique, Ghada Bou Karroum. C’est une amère défaite pour les partisans de l’application de la «charia», la loi islamique, au Liban, qui accusaient le chanteur de «blasphème».
Pour la première fois en effet, la justice libanaise reconnaît que la «charia» ne constitue pas une «super-loi» et ce qui peut être condamné dans l’islam ou dans d’autres religions n’est pas forcément un délit au regard de la loi. A moins qu’il n’y ait un texte explicite dans ce sens. Dans l’atmosphère actuelle d’intolérance religieuse, ce verdict audacieux «fera date dans l’histoire de la justice libanaise tant il est courageux et clair», rapporte jeudi le quotidien libanais «L’Orient-Le Jour». Cette décision, établissant une distinction claire entre préceptes religieux et lois laïques est extrêmement importante, car pour nombre de musulmans, cette distinction n’existe pas.
Quant à savoir si le fait de mettre en musique un verset du Coran est contraire à l’islam, la juge estime que cela ne relève pas de ses compétences. «La chanson ne porte aucune atteinte au texte du Coran et n’exprime aucun mépris», peut-on toutefois lire dans le verdict du juge unique.
Soutien massif des milieux intellectuels et artistiques
Marcel Khalifé, un sympathisant de gauche d’origine maronite âgé de 48 ans, a reçu un soutien massif de la part des milieux artistiques et intellectuels libanais mais aussi d’autres pays du monde arabe visés par l’intolérance religieuse. Nombre de jeunes, qui ont suivi passionnément ce procès, ont exprimé leur refus du «diktat des religions» et de l’»obscurantisme religieux». De nombreux intellectuels arabes, dont le poète Mahmoud Darwiche, ont fait le déplacement du Liban pour soutenir le combat du chanteur pour la liberté.
«Je suis heureux que la justice libanaise se soit innocentée d’un acte d’accusation qui la plaçait dans le box des accusés en qualité d’instrument de répression de la liberté, de la culture et de l’art», a-t-il lancé à l’annonce de son acquittement. Khalifé, qui ne s’était pas rendu au tribunal, était représenté notamment par des avocats musulmans. Il était accusé d’avoir porté atteinte à l’islam pour avoir mis en musique et chanté un texte du célèbre poète national palestinien Mahmoud Darwiche.
Le chanteur n’a pas dénaturé la religion
La juge a ordonné l’arrêt de toutes les procédures légales contre le chanteur «sacrilège» au yeux de l’establishment sunnite libanais. Il risquait jusqu’à trois ans de prison. Khalifé a pourtant décidé de ne plus chanter le poème controversé pour éviter de blesser les sentiments religieux de quiconque. Pour la juge, en mettant en musique un poème contenant un verset du Coran, «Je suis Joseph, ô Père», Khalifé n’a pas avili l’islam. Le chant est en effet considéré comme un moyen d’expression et pour constituer un crime, il doit dénaturer une religion. Dans le cas de la chanson incriminée, Khalifé l’interprète avec beaucoup de piété et de ferveur, respectant sa valeur humaine et morale. Dans ces conditions, selon le jugement, il n’y pas crime et seul le non-lieu s’impose. (apic/orj/be)