Les arrestations de chrétiens antisyriens entraînent une crise

Liban: Après la rencontre du patriarche Sfeir et le chef druze Walid Jumblatt

Beyrouth, 10 août 2001 (APIC) Les arrestations de chrétiens antisyriens entraînent une crise au Liban. Une vague d’arrestations a provoqué jeudi des manifestations au cours desquelles une vingtaine de personnes ont été arrêtées. Ces arrestations s’ajoutent à celle déjà enregistrées mardi à Beyrouth.

Des affrontements ont opposé jeudi les forces de l’ordre aux proches des quelques 250 personnes interpellées depuis mardi, ont annoncé les responsables libanais de la sécurité. Ils ont eu lieu devant le ministère de la Justice dans lequel quelque 300 avocats faisaient un sit-in pour réclamer la libération des chrétiens maronites emprisonnés selon eux illégalement. Amnesty International a également dénoncé ces arrestations.

Ont été arrêtés des partisans du général Michel Aoun, exilé en France, et de Samir Geagea, dirigeant des Forces libanaises, emprisonné au Liban, ainsi que des membres du Parti chrétien national- libéral de Dory Chamoun.

Depuis dimanche, le fossé semble s’approfondir entre le premier ministre Rafic Hariri et les Services de sécurité, proches du président Emile Lahoud, le premier ministre reconnaissant son impuissance face à eux et leur reprochant d’outrepasser leurs prérogatives.

Le chef druze Walid Jumblatt a pour sa part menacé de retirer ses trois ministres du gouvernement si les responsables de ces arrestations n’étaient pas limogés. Les arrestations ont débuté mardi, après une manifestation au cours de laquelle des chrétiens maronites ont réclamé le retrait des 25’000 soldats de Damas du Liban.

Jeudi, un organe gouvernemental de surveillance des médias réclamait pour sa part des «actions adaptées» contre la chaîne de télévision MTV, proche de l’opposition, accusée de diffuser des informations susceptibles de créer des tensions et des slogans hostiles à la Syrie.

Projet de partition?

Quant au ministre de l’intérieur, Elias Murr, il a accusé jeudi les chrétiens arrêtés de vouloir «désintégrer les systèmes militaires et de sécurité» du pays. Selon lui, l’enquête a révélé qu’ils préparaient un «projet de partition et de fédéralisme pour le pays». Un tribunal militaire a pour sa part déjà prononcé les premières condamnations: de cinq à 45 jours de prison, des peines légères au regard des accusations.

Cette vague d’arrestations et de violence survient aprèès la visite, en fin de semaine passée, du cardinal Nasrallah Pierre Sfeir, patriarche d’Antioche des maronites, avec Walid Joumblatt, chef des milices druzes responsables de terribles attaques contre la communauté chrétienne pendant la guerre civile de 1975 à 1990.

Cette rencontre est considérée par nombre de Libanais, comme un événement historique pour la réconciliation nationale. L’armée libanaise ne semble pourtant pas avoir apprécié cette initiative. D’où les rafles et des arrestations opérées depuis plusieurs jours dans les rangs de certaines forces chrétiennes libanaises.

Dimanche dernier, le cardinal Sfeir avait encouragé les différentes communautés libanaises à se réconcilier et il leur a demandé d’enterrer les différences qui ont conduit à la cruelle guerre civile qui a ravagé le pays durant 15 ans de 1975 à 1990. «N’importe quel royaume, nation ou ville divisée, finit par causer sa propre ruine», a alors déclaré le patriarche au cours d’une messe à Deir Al Kamar, dans la région de Chouf, particulèrement touchée par la guerre civile.

Le patriarche avait jusqu’ici refusé de se rendre dans la région car l’Etat n’a pas encore indemnisé les chrétiens meurtris par toutes ces années de violence ni garanti le retour des réfugiés chez eux. Le cardinal a malgré tout décidé de rendre visite à Walid Joumblatt dont les milices sont accusées d’avoir assassiné plusieurs milliers de personnes et détruit des centaines d’églises et de maisons. Le cardinal Sfeir lui a rendu visite dans sa résidence de Moukhtara pour lui demander d’accélérer le retour des chrétiens chez eux. En 1983 plus de 150’000 chrétiens ont dû abandonné le Chouf.

Le rapprochement entre le patriarche et le chef musulman druze intervient après la prise de position des deux hommes contre la présence syrienne au Liban.

Coïncidence ou riposte des «services»?

Moins de quarante-huit heures après la fin de la tournée du patriarche maronite, l’armée libanaise, plus précisément les Renseignements militaires, ont opéré des rafles dans les rangs du courant aouniste (partisan du général Aoun réfugié en France) et des Forces libanaises (FL). Près de 150 responsables, cadres supérieurs et militants de ces deux formations ont ainsi été arrêtés et conduits dans des permanences de l’armée.

Pour la première fois depuis 1994, deux hauts responsables de l’opposition chrétienne ont été appréhendés dans la foulée. Il s’agit du général Nadim Lteif, représentant officiel du courant aouniste au Liban, et de Toufic Hindi, ancien conseiller politique du leader des FL Samir Geagea. Les arrestations ont eu lieu au cours de perquisitions effectuées par une unité de l’armée, dans les locaux du courant aouniste et des Forces libanaises, à Antelias. Ces rafles ont provoqué un véritable tollé généralisé dans les milieux politiques et parlementaires ainsi que dans les rangs de l’Ordre des avocats de Beyrouth (plusieurs des personnes appréhendées étant membres du Barreau, dont le général Lteif).

Pour la plupart des députés et personnalités politiques, ces arrestations constituent «une riposte des Services de Renseignements au climat politique qui a entouré la visite du patriarche maronite au Chouf». (apic/zn/lib/pr)

10 août 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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