Liban: Le procès du chanteur-compositeur Marcel Khalifé suscite un tollé général
L’artiste «sacrilège» a osé chanter un verset du Coran
Beyrouth, 6 octobre 1999 (APIC) Le procès du chanteur-compositeur Marcel Khalifé, poursuivi pour «atteinte à l’islam» parce qu’il a osé chanter un verset du Coran, suscite un tollé général dans tout le Liban. Hommes politiques, personnalités religieuses, journalistes, artistes, tous font front contre la procédure judiciaire lancée à la suite d’une plainte de Dar el-Fatwa, la plus haute instance religieuse sunnite du Liban.
Mardi, près de 2000 personnes se sont rassemblées au siège de l’Ordre de la presse pour exprimer leur solidarité avec Marcel Khalifé, un artiste à la stature et l’audience internationales, rapporte mercredi le quotidien de Beyrouth «L’Orient-Le Jour». Au premier rang des personnalités présentes, le ministre du Travail et des Affaires sociales, Michel Moussa, des députés, des syndicalistes, ainsi que de nombreux artistes, hommes de lettres et responsables politiques. Khalifé est accusé d’avoir insulté l’islam dans sa chanson «Ô Père, je suis Joseph».
Interdit par al-Azhar
Selon l’acte d’accusation du juge d’instruction Abdel Rahman Chéhab, Khalifé s’est rendu coupable d’avoir chanté un verset du Coran. Le mufti de la République, cheikh Mohammed Rachid Kabbani, chef de la communauté sunnite, a confirmé être à l’origine des poursuites. «Tout arrangement musical d’un verset coranique est interdit par al-Azhar (plus haute instance sunnite musulmane en Egypte, qui fait autorité dans le monde musulman) afin d’empêcher toute atteinte à l’islam», a-t-il souligné.
La manifestation de protestation a défié les censeurs: les 2’000 personnes présentes ont entonné avec Khalifé la chanson qui lui a valu l’action en justice engagée contre lui. Les manifestants ont repris en chœur le passage incriminé, «J’ai vu onze astres et le soleil et la lune se prosternant devant moi», tiré du Coran. Ils ont ensuite signé une pétition de solidarité avec Marcel Khalifé, se déclarant prêts à encourir le même accusation pour que triomphe la liberté de pensée.
Beyrouth, «capitale culturelle du monde arabe», se sent offensée par ce procès
Plusieurs personnalités ont rappelé que Beyrouth, sacrée cette année «capitale culturelle du monde arabe», ne saurait tolérer que l’on porte ainsi atteinte à la liberté d’expression. Même des dignitaires chiites, comme l’ancien guide spirituel du Hezbollah, sayed Mohammed Hussein Fadlallah, n’ont pas suivi le diktat de Dar el-Fatwa. «Nous n’autorisons pas, en général, l’interprétation musicale du Coran, mais lorsqu’un poème est relatif à des aspects humanitaires et comprend un mot ou un verset, nous n’y voyons aucune atteinte au Coran», a indiqué le dignitaire chiite.
Le cheikh chiite a estimé que la chanson de Khalifé «exprime des préoccupations humanitaires en rapport avec l’homme opprimé, à l’exemple des rudes épreuves de Joseph avec ses frères». Joseph, fils d’Abraham, est un des personnages des trois religions monothéistes, christianisme, islam et judaïsme.
Dissensions au sein de l’islam: les chiites critiquent l’initiative du mufti de la République
L’initiative de cheikh Kabbani a été critiquée par un autre dignitaire religieux chiite, cheikh Mohammed Hassan el-Amine, qui rappelle qu’un passage du poème est inspiré d’un verset coranique, «ce qui était très courant dans la littérature et la poésie arabes pendant l’ère musulmane, et rien ne justifie qu’on l’accuse de porter atteinte au texte coranique». De son côté, le président du parlement libanais, Nabih Berry, a qualifié les poursuites engagées contre Khalifé à «des poursuites contre le Liban, tout le Liban». L’écrivain Élias Khoury a déclaré pour sa part: «Nous n’accepterons jamais que Beyrouth sombre dans l’obscurantisme et qu’elle devienne, à l’instar d’autres villes arabes, une cité sans liberté». L’ancien ministre Michel Eddé fustige cette tentative d’étouffer la liberté au Liban et «d’imposer graduellement au Liban un régime qui rappellerait celui des talibans et où la bêtise le disputerait à l’obscurantisme le plus opaque et au fanatisme le plus aveugle». (apic/orj/be)