Liban: un ex-combattant du Hezbollah témoigne
Alors qu’un accord de cessez-le-feu fragile a été conclu entre Israël et le Hezbollah le 27 novembre 2024, cath.ch a rencontré un Libanais ex-combattant de la milice chiite qui a accepté de témoigner sur son parcours au sein du «Parti de Dieu», où il a été enrôlé comme volontaire à l’âge de 16 ans. Il a, depuis, quitté les rangs du Hezbollah et explique son choix.
Luc Balbont, de retour du Liban, pour cath.ch
Je le rassure. Avant de commencer l’interview, je l’informe que la plupart des précisions permettant de le repérer seront maquillées pour protéger la famille qui l’héberge, et surtout qu’aucune photo de lui ne sera publiée. Hassan (prénom d’emprunt) m’a accordé cet entretien grâce à l’intercession d’un ami commun. Par mesure de sécurité, l’ex-combattant du Hezbollah a d’ailleurs coupé et éloigné son téléphone durant notre échange, par crainte d’être localisé. Au Liban, l’affaire des portables et des talkies-walkies piégés par Israël a laissé des traces et marqué les esprits.
Hassan, la trentaine athlétique, est né dans une famille chiite du Liban sud, non loin de la frontière israélienne. C’est un garçon plein de vie, intelligent, attachant, curieux, avide de connaissances. Il est plein d’attention et de tendresse pour la petite fille du couple chez qui il loge depuis le début de l’offensive de l’armée israélienne; dansant et chantant avec elle, jusqu’au moment où nous nous isolons pour commencer notre entretien.
Dès les premiers jours de l’offensive israélienne fin septembre, il est remonté vers le nord du pays pour se réfugier, accueilli après les premiers bombardements dans une famille chrétienne orthodoxe de Jounieh, près de Beyrouth. Une famille qu’il connait depuis dix ans. Avec Antoine, leur fils, ils s’étaient rencontrés lors d’une conférence universitaire, tenue à l’université Saint-Joseph. Leur amitié ne s’est jamais démentie depuis. Les deux garçons partagent la même passion pour la musique, le théâtre et le sport.
Les «Scouts du Mahdi»
Hassan a 9 ans quand ses parents l’inscrivent aux «Scouts du Mahdi», le 12è imam de l’islam chiite disparu dont les fidèles attendent toujours le retour. Une association qui défend et transmet les valeurs islamiques. Outre des activités ludiques, Hassan y reçoit des cours d’histoire sur le chiisme, sa culture et ses valeurs.
En juillet-août 2006, après avoir contenu et repoussé l’armée israélienne qui avait envahi le sud de son pays, le Hezbollah jouit d’une grande notoriété au sud du Liban: enfants et adolescents des «scouts du Mahdi» rêvent tous de rejoindre ses rangs. Hassan est repéré, lors d’une fête par un membre du Parti de Dieu, suite à un poème qu’il récite sur Kerbala, lieu saint de l’Islam chiite en Irak. A 16 ans, il est admis au Hezbollah. Il commence alors à recevoir une formation militaire. La voix rêvée pour tous les jeunes de sa communauté.
Volontaire au Hezbollah
Deux choix se présentent à lui: soit devenir militaire salarié, ou devenir volontaire. Hassan qui a le désir de poursuivre des études en sciences opte pour la situation de combattant à temps partiel. Jusqu’à 24 ans, il servira les week-ends et durant ses vacances, ce qui lui permet de poursuivre son cursus universitaire. Spécialisé en ingénierie numérique, Il est logisticien et sert en Syrie et dans la région de Baalbeck au Liban, dans la plaine de la Bekaa, contre Daech (l’Etat Islamique). Le parti tente d’imposer une République islamique au Pays du Cèdre, en éliminant les autres communautés, dont les chiites, qu’il considère comme des traitres à l’islam.
Aveuglement idéologique
Commence alors une longue période de réflexion qui amène Hassan à comprendre peu à peu que la solution pour défendre une cause et faire entendre sa voix ne passe pas par la violence et les armes mais par la diplomatie et le dialogue: «Mes études en Science, menées à l’université libanaise, mes contacts avec des cultures différentes, mes lectures, mes rencontres avec des camarades chrétiens m’ont appris à regarder le monde plus ouvertement, à me sensibiliser sur l’Universel. L’attachement aveugle et exclusif d’une partie de la direction du Hezbollah à la communauté chiite, qui refuse d’entendre ou de considérer les points de vue d’autres communautés m’embarrassait de plus en plus.» A 24 ans, Hassan en proie au doute, finit par quitter le Hezbollah, tout en restant fidèle à son esprit de lutte contre l’injustice.
Dans son exil au nord, suite aux bombardements de l’armée israélienne, il est hébergé par ses amis chrétiens, dont il partage beaucoup de valeurs humaines. Pour lui «la certitude qui consiste à croire que sa religion est la seule solution pour sauver le monde est un danger. La défense de la vie, l’amour, le sens de la beauté sont des valeurs universelles que l’on trouve aussi dans les autres cultures et pas seulement dans le chiisme».
«La certitude qui consiste à croire que sa religion est la seule solution pour sauver le monde est un danger.»
Hassan se dit croyant, mais pas pratiquant. Il croit à la spiritualité universelle mais pas à la religion qui se transforme en idéologie religieuse fermée, comme chez les extrémistes. Une fermeture que l’on rencontre chez beaucoup de cadres du Hezbollah, «remis fortement en cause par la jeune génération chiite selon Hassan, les jeunes, poursuit-il, plus formés, plus éduqués que les anciens n’ont plus envie de vivre dans des idéologies guerrières.»
Aujourd’hui, l’ancien du Hezbollah milite pour le droit à l’universel. «Chez nous, trop de dirigeants sont certains de la supériorité de leur vision, dit-il. Si je combats l’injustice, je me sens détaché des idéologies des islamistes de Daech ou des colons juifs de Netanyahou, persuadés que seule leur vision peut sauver le monde de l’enfer.»
Libanais avant tout
Hassan se dit Libanais avant tout. Il défend la multiculturalité de son pays. «Je n’ai rien à voir avec le régime politique de l’Iran, soutient-il. Beaucoup de jeunes chiites partagent mon opinion.» En 2006, l’engagement des combattants du Hezbollah était de défendre le Liban envahi par Israël, comme entre 1982 et 2000, lorsque les Israéliens occupaient le sud du pays du Cèdre.
«Je n’ai rien à voir avec le régime politique de l’Iran, soutient-il. Beaucoup de jeunes chiites partagent mon opinion.»
Dès la signature du cessez-le-feu, le 27 novembre dernier, Hassan est retourné avec ses deux cousins et sa petite sœur chez lui. Pour le présent il est bloqué sur la route, car son village reste inaccessible. «Les Israéliens nous empêchent de regagner nos villages, trop proches de la frontière. Je suis impatient de retrouver ma maison; J’espère qu’elle n’a pas été détruite ou pillée. A Jounieh, nous étions à l’étroit, mais les gens qui nous ont hébergés ont été extraordinaires. Ils ont tout fait pour adoucir notre quotidien. Jamais je ne les oublierai. Cette guerre nous a appris une fois de plus que chrétiens et musulmans pouvaient vivre ensemble au Liban.»
Poursuite des bombardements
Ce cessez-le-feu reste plus fragile que jamais. Malgré sa proclamation, les Israéliens continuent régulièrement à frapper le Liban. Même s’il doute de la sincérité de Netanyahou et de son gouvernement, Hassan croit en la pérennité de la paix. «Israël continuera toujours à nous bombarder, mais à distance et de moins en moins, et surtout sans nous occuper. L’Etat juif, argumente-t-il, veut se libérer du front libanais pour reconcentrer ses forces sur Gaza, sur la colonisation de la Cisjordanie, la Syrie et surtout sur l’Iran. Sur ce front, il bénéficiera toujours de l’aval des Etats-Unis.»
Hassan croit que la juste voie d’un futur de paix est de construire un Liban citoyen, où toutes les communautés auront leur place, et travailleront ensemble en s’appuyant sur une éducation pluraliste. Chrétiens, catholiques et orthodoxes, musulmans chiites et sunnites, druzes, alaouites doivent partager, travailler et vivre ensemble. C’est la seule voie possible. (cath.ch/lbo)
Hezbollah en bref
Le Hezbollah est fondé en juin 1982, sous l’appellation de «Amal islamique», avec l’envoi par l’Iran de militaires chargés de recruter et de former au Liban des combattants dans la communauté chiite libanaise, afin de lutter contre la présence d’Israël qui venait d’envahir le sud Liban. Ce n’est qu’en 1985, qu’il prend officiellement le nom de Hezbollah ou Parti de Dieu, qui devient aussi par la suite un parti politique.
Parti chiite à l’image du régime iranien, il est dirigé de 1992 à 2024 par Hassan Nasrallah, tué par une frappe israélienne le 27 septembre dernier à Beyrouth. Décimé en grande partie depuis l’invasion israélienne au Liban de septembre 2024, le Hezbollah est actuellement dirigé par Naïm Qassem. LBO
Sunnites, chiites
Sur plus de 1,5 milliard de musulmans dans le monde, les sunnites, attachés à la tradition de la Sunna (la tradition édictée par la Prophète Mahomet), sont le courant majoritaire. Il compte environ 88 % de fidèles (90% selon les statistiques les plus hautes). Les chiites, seconde communauté, ne représentent que 10% environ des musulmans. Ils considèrent Ali comme leur premier imam après Mahomet. Majoritaires en Iran, en Irak et au Liban, les chiites se sont séparés des sunnites pour une histoire de succession. Pour eux, le pouvoir devait obligatoirement revenir à un descendant direct du Prophète. L’assassinat d’Ali, en 661, cousin et gendre du prophète, sonne la séparation entre les deux communautés. LBO