Les Irakiens de la plaine de Ninive ne se préoccupent guère des risques de contamination du Covid-19 | © Hugues Lefèvre
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L’insouciance des chrétiens de la plaine de Ninive face au Covid-19

À quelques heures de la visite du pape François en Irak, les visages masqués sont bien rares dans la plaine de Ninive, au nord du pays. Alors que les contaminations augmentent, certains craignent une forte recrudescence de l’épidémie après le passage du pape François.  

Il n’y a «pas de virus ici; pas à Qaraqosh». Isam Daaboul, le maire de la plus grande ville chrétienne d’Irak, est tout sourire quand on l’interroge sur la situation sanitaire dans sa ville. À dire vrai, la question de la propagation du Covid-19 ne semble pas être un sujet pour lui – comme pour la majorité des personnes rencontrées dans la plaine de Ninive. Pourtant, le gouvernement de Bagdad a mis en place des mesures sanitaires pour tenter d’enrayer la propagation d’un virus qui toucherait chaque jour près de 4’000 Irakiens. Mais force est de constater que les «gestes barrières» et le port du masque dans la région sont loin d’être respectés.   

Dimanche prochain, le 7 mars, le pontife argentin passera une heure dans la ville de Qaraqosh où quelque 25’000 chrétiens sont revenus après trois ans d’exil forcé. En comptant d’autres chrétiens venus des alentours, ils pourraient être entre 30’000 et 40’000 à se rassembler aux abords de l’artère principale de la ville par laquelle le successeur de Pierre atteindra la cathédrale syriaque catholique Al Tahira.

Ces derniers jours, des dizaines de mètres de barrières ont été fixées de part et d’autre de la rue pavoisée aux couleurs de l’Irak et du Vatican. Elles doivent permettre de retenir la foule afin que le pape ne soit pas en contact direct avec elle. Il risque toutefois de se passer ce que le pontife disait redouter en janvier dernier: qu’un immense attroupement se constitue à l’arrivée de la délégation papale et qu’il favorise une diffusion du virus.  

«Le Covid a peur de nous!» 

Les autorités locales ont d’abord plaidé pour que le pontife déambule en papamobile – le Vatican aurait refusé. Le pape remontera finalement la grand-rue dans une Mercedes prêtée par un haut responsable kurde. «Nous avons obtenu que les vitres ne soient pas teintées», se console Mgr Petros Mouché, récemment vacciné. L’archevêque syriaque catholique de Mossoul se montre lui aussi très décontracté sur la question du virus. «Le Covid a peur de nous!», sourit-il, avant de préciser qu’un lieu a tout de même été prévu pour recevoir d’éventuels malades. «Mais il est vide!», insiste-t-il, confiant.

Les chiffres officiels contredisent pourtant cette étonnante sérénité. Plus encore, il est très probable qu’ils ne reflètent qu’une partie de la réalité des contaminations en Irak. «D’abord, parce que vous ne trouvez pas de test en dessous de 50 dollars et que les gens n’ont pas d’argent pour se faire dépister», explique une expatriée française vivant à Erbil. Ensuite, parce que, dans cette culture orientale, la maladie est une chose honteuse; «alors on reste chez soi et on attend sans rien dire», poursuit la jeune femme, très remontée par le fait que la visite du pape n’ait pas été ajournée. «On n’aurait jamais osé faire cela en Europe!», s’agace-t-elle.  

«Ce n’est pas le bon moment» 

Au nord de la plaine de Ninive, quelques langues se délient timidement parmi les chrétiens qui s’interrogent sur la pertinence d’une telle venue en pleine pandémie. «On aurait aimé le recevoir dans d’autres circonstances; ce n’est pas le bon moment», lâche un syriaque catholique à la sortie d’une messe à Alqosh, déçu qu’il ne puisse y avoir de grands rassemblements. «Nous ne pourrons pas aller le voir à cause des restrictions», s’attriste en ce sens Tara, une autre paroissienne de l’église Saint-Georges.  

Dimanche prochain, le 7 mars, le pontife argentin passera une heure dans la ville de Qaraqosh | © Hugues Lefèbvre

Dimanche prochain, eux n’iront ni à Qaraqosh, ni à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, où le pape doit célébrer une messe. Là, pour appliquer les mesures de distanciation sociale, seules 10’000 places ont été allouées sur les 30’000 que compte le complexe. Étonnamment, les billets ne sont pas partis en un temps record. «Les gens, particulièrement les personnes âgées, craignent de devoir attendre trop longtemps», observe un jeune qui a œuvré à l’organisation. Il reconnaît aussi que la peur du Covid a pu dissuader un certain nombre de venir au stade.  

Dès lors, le Covid-19 ne serait donc pas – comme on peut l’entendre – une «invention» du gouvernement pour étouffer les tensions politiques et sociales qui secouent l’Irak. D’ailleurs, certains peuvent attester que la région a bien été frappée par le virus. À Bartella, ville de la plaine de Ninive située à quelques kilomètres de Mossoul, Sandro et son père racontent avoir contracté la maladie en novembre dernier. «Ça allait…», commente rapidement le jeune homme qui estime tout de même que 60% de la population de sa ville a été touchée. «Seules deux ou trois personnes sont mortes», affirme-il, un masque sur la bouche, car «avec les variants… on ne sait jamais».  

Le ratio avancé au doigt mouillé par le jeune homme étonne mais la démographie irakienne pourrait apporter quelques éléments de réponse. «En Irak, 40% de la population a moins de 14 ans, et seulement 3,5% a plus de 65 ans», détaille le Père Olivier Poquillon, dominicain de Mossoul. Le virus pourrait donc largement se diffuser sans toutefois provoquer d’hécatombe.  

Pour autant, si la visite du pape venait à provoquer une explosion des contaminations dans la plaine de Ninive, les habitants qui éprouveraient des complications ne pourraient se tourner vers des centres de santé adaptés. Dans cette plaine ravagée par le passage de Daech, on préfère ne pas trop y penser. (cath.ch/imedia/hl/bh)

Les Irakiens de la plaine de Ninive ne se préoccupent guère des risques de contamination du Covid-19 | © Hugues Lefèvre
5 mars 2021 | 12:52
par I.MEDIA
Temps de lecture: env. 4 min.
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