L'origine des gangs criminels haïtiens
Environ 300 gangs contrôlent 80% de la capitale haïtienne, a rapporté fin janvier 2024 Maria Isabel Salvador, envoyée spéciale de l’ONU pour le pays des Caraïbes. Comment en est-on arrivé là? Le phénomène des bandes armées est ancré depuis longtemps dans la culture politique du pays, notent les observateurs.
Selon les habitants de Port-au-Prince, les gangs contrôlent effectivement toute la ville. Le modèle original des gangs criminels qui sévissent actuellement en Haïti est les milices des Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN), connues sous le surnom de ‘Tontons Macoutes’, créées par le dictateur François Duvalier en 1959, en tant que force paramilitaire pour réprimer la dissidence et protéger son pouvoir.
Les ‘Tontons Macoutes’ ont tué 60’000 personnes
Certains des membres les plus éminents des ‘Tontons Macoutes’ étaient des chefs vaudous, relève l’agence vaticane Fides. Ce système de croyance, pratiqué par environ la moitié de la population haïtienne, conférait aux ‘Macoutes’ un sentiment d’autorité surnaturelle aux yeux du public, ce qui leur permettait de commettre des crimes sans aucune forme de sanction de la part de la population, à tel point qu’ils étaient surnommés ‘bandis legals’ en créole. Selon certaines estimations, en 28 ans de pouvoir des Duvaliers, les ‘Tontons Macoutes’ ont tué environ 60’000 personnes. À la chute de la dynastie Duvalier, avec l’éviction du fils de François, Jean-Claude, en 1986, les ‘Tontons Macoutes’ ont été dissous.
Le gouvernement Aristide incapable d’éradiquer les bandes armées
La présidence de Jean-Bertrand Aristide, le premier président régulièrement élu en 1990 après une période de transition, n’a pas vraiment amélioré la situation. Renversé en 1991 par un coup d’État militaire, Aristide a ensuite été rétabli au pouvoir grâce à une intervention militaire parrainée par les Nations-Unies. Une fois rétabli dans ses fonctions de président en 1994, l’ancien prêtre a décidé de dissoudre l’armée et de réformer la police civile. Arrivé au terme de son mandat en 1995, Aristide ne peut pas se représenter, mais il reviendra une troisième fois au pouvoir en l’an 2000, à la faveur de l’élection présidentielle suivante.
Entre-temps les anciens ‘Tontons Macoutes’ ‘ont créé des gangs appelés ‘attachés’, au service de politiciens sans scrupules. Nombre d’anciens soldats ont rejoint ces bandes armées. Aristide a lui-même été accusé d’avoir créé sa propre milice (les ‘Chimères’) au début des années 2000 pour soutenir son camp politique. En fait, la plupart des acteurs politiques ont créé leurs propres milices armées.
Trafic de drogues et d’armes
Parallèlement ou conjointement, la création de gangs criminels était liée au trafic de cocaïne de la Colombie et du Venezuela vers les États-Unis, passant par l’île d’Hispaniola (qui comprend Haïti et la République dominicaine). Les connexions créées avec les États-Unis par le trafic illégal et celles liées à la diaspora haïtienne aux États-Unis ont ouvert la voie à d’importants flux d’armes à feu de l’Amérique du Nord vers le pays caribéen, au profit des nombreux groupes armés.
Aristide a été à nouveau déposé en 2004 lorsque des bandes paramilitaires formées de gangs locaux et d’anciens militaires et policiers exilés à Saint-Domingue ont pris d’assaut Port-au-Prince. À la tête des paramilitaires se trouvait l’ancien chef du FRAPH (Front révolutionnaire armé pour le progrès d’Haïti), le principal groupe paramilitaire ayant opéré entre 1990 et 1994. Aristide a été «escorté» hors du pays par des soldats américains et canadiens, dans une opération qu’il a qualifiée de «nouveau coup d’État».
L’ONU impuissante
Malgré le déploiement d’une force de l’ONU, la situation sécuritaire n’a fait qu’empirer. Le terrible tremblement de terre qui a frappé Haïti en 2010 a rendu les conditions de vie de la population encore plus précaires, élargissant le bassin de recrutement des gangs qui ne font que proliférer.
Les gangs se disputent le contrôle des routes de la capitale et des principaux ports par lesquels transitent les marchandises légales et illégales (en premier lieu les armes). Ils ont développé en outre une véritable industrie du kidnapping en enlevant des personnes pour les rendre contre des rançons. Parmi les victimes figurent également des prêtres et des religieux, comme tout récemment les six religieuses de la Congrégation des Sœurs de Sainte-Anne, enlevées le 19 janvier et libérées quelques jours plus tard.
L’assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021 par un commando de mercenaires colombiens et américains d’origine haïtienne a encore aggravé l’insécurité, renforçant encore une fois le pouvoir des gangs. (cath.ch/fides/mp)





