Colloque consacré au prêtre et théologien suisse Maurice Zundel
Louvain-la-Neuve : cent ans après sa naissance,
Louvain-la-Neuve, 23 avril 1997 (APIC) Quelque 130 personnes ont participé, le 19 avril à Louvain-la-Neuve, au colloque organisé à l’occasion du centenaire de la naissance de Maurice Zundel, prêtre et écrivain suisse (1897-1975), qui consacra sa vie à percer «la crise actuelle du monde et de l’Eglise».
Le colloque de Louvain-la-Neuve, présidé par le Père Pierre Bogaert, secrétaire académique de la Faculté de Théologie de l’Université catholique de Louvain (UCL), s’inscrivait dans le sillage d’autres manifestations organisées pour le centenaire de Maurice Zundel : en janvier à Neuchâtel, sa ville natale ; en mars à Paris; et tout récemment au Canada. Il s’agissait de montrer l’actualité de la pensée de ce théologien pour comprendre Dieu, vivre en Eglise et pratiquer la justice dans la société; de faire entendre un langage chrétien jugé compréhensible et crédible pour des personnes de divers milieux; de favoriser une présentation renouvelée du christianisme, en dialogue avec la culture contemporaine; d’honorer la mémoire d’un prêtre à la pensée ouverte et neuve, mais aussi à la présence humble et généreuse, selon ceux qui l’ont fréquenté.
La saveur de l’Evangile
Dans la vie de Maurice Zundel, quatre points saillants ont été relevés par Paul Abela, membre fondateur et secrétaire général des Amis de Maurice Zundel. D’abord, une «fidélité sans faille à l’Eglise catholique», malgré le milieu protestant de sa jeunesse, malgré l’exil que lui valurent ses audaces de jeune prêtre et l’incompréhension de la hiérarchie, ce qui le mena de 1925 à 1946 à Paris, puis en Egypte et au Liban.
Au-delà de ce qui paraissait «audacieux» aux fidèles genevois du jeune prêtre ordonné en 1919, pointait déjà un immense intérêt pour tout ce qui touche l’homme: les découvertes de la science, les formes variées de l’art, mais aussi la condition sociale des ouvriers et des femmes. De cet intérêt, les dons du pasteur, du poète et du mystique ne sont pas séparables, pas plus que sa foi en un Dieu «Amour». A la lumière de cet «Amour», il se mit à relire toute la Bible, la théologie reçue et les dogmes de l’Eglise. Il était convaincu que la vraie liberté est expérience de Dieu.
Le Père jésuite Bernard de Boissière, éditeur de nombreux textes inédits et enregistrements de M. Zundel, a gardé de son ami le souvenir d’un homme dont la vie faisait un avec le message. Ecrivain de «génie» selon le mot du pape Paul VI, il avait souhaité, en toute modestie, que l’on brûle à sa mort tout ce qu’on trouverait dans sa chambre. Il lui plaisait que l’homme devienne «créateur» à l’image de Dieu. Il savait écouter et perdre du temps pour vivre la présence de l’Autre dans l’amour. Face aux risques d’étouffement qu’il percevait dans les institutions, il proposait avant tout la saveur de l’Evangile pour en vivre.
Liberté d’un mystique
«Nous l’avons dit mille fois, nous avons à nous faire Homme, nous avons à devenir libres.» Cette phrase résume bien, selon le Franciscain Eric Mercier, la conception de la liberté que prônait M. Zundel : une liberté qui est toujours en avant, passe par une «désappropriation» de soi, exige dépassement des réactions instinctives comme des rôles sociaux. Vivre une telle liberté, c’est avancer sur un chemin d’émerveillement : on en vient à ne plus se regarder pour s’effacer «devant une Présence qui nous comble en nous révélant à nous-mêmes», le mystique associant ici la relation à l’autre et la rencontre de Dieu.
Ainsi comprise, la liberté va nécessairement de pair avec la responsabilité, a relevé à son tour Jean Palsterman, professeur émérite de théologie morale à l’UCL. Elle pousse l’homme à devenir «sujet», à se décentrer pour se centrer sur l’autre, s’ouvrir au monde, rencontrer Dieu.
Ce mode relationnel révèle également que Dieu est vulnérable; il en résulte du même coup une responsabilité particulière de l’Homme envers Dieu. Dieu ne s’impose donc pas à l’homme comme une «vérité-brique», mais il se fait reconnaître dans la vérité d’une présence : une «vérité-jour», où Dieu transparaît plus qu’il n’apparaît.
Liberté d’un mystique
André Girard, physicien et ancien directeur à l’Office National d’Etudes et de Recherches Aérospatiales, a toujours apprécié le regard «humaniste» porté sur la science par M. Zundel. A présent que l’ère du scientisme semble dépassée, nombre de scientifiques reconnaissent volontiers que l’objet de leur recherche est moins de dire «ce qui est» que «ce que l’homme peut en dire par sa raison».
Le dialogue avec la science est, pour M. Zundel, inscrit dans la logique du Dieu incarné en Jésus Christ. Son Credo reliait d’ailleurs un «Je crois en l’homme» au «Je crois en Dieu». «C’est en pénétrant dans l’univers interpersonnel que l’on découvre que même le protoplasme humain a quelque chose de sacré», écrivait-il. Ce qui suscitait à nouveau son sens de la responsabilité : si le Dieu de la Bible est fragile comme tout ce qui vit, il est essentiel de mettre l’homme en responsabilité devant l’univers. Ici encore, c’est l’appel au «dépassement» du «moi biologique» qui frappe l’ingénieur bénédictin qu’est François-Xavier Tran, professeur invité à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de la Vrije Universiteit Brussel. De même, la métaphore de la «symbiose» employée par le prêtre suisse pour unifier l’expérience humaine n’est pas sans pertinence aux yeux du biologiste, qui évoque l’expérience symbiotique de vérité et liberté vécue par un chercheur en laboratoire, à partir d’une «osmose» entre science et foi.
Sacrement de Dieu
C’est durant son séjour à Paris, à partir de 1927, que M. Zundel écrivit «Le Poème de la Sainte Liturgie». Il avait «pris congé du thomisme», dira-t-il plus tard, pour «écouter la Vérité telle qu’elle se présentait à moi»: «Toutes mes études ont été remises en question : étant libre, je pouvais expérimenter sur moi-même et un grand travail s’est accompli.» «Le Poème de la Sainte Liturgie», que l’abbé Giovanni Battista Montini, le futur pape Paul VI, fit traduire en italien, révèle une pensée sensible à la portée signifiante et mystérieuse du monde. Pour Maurice Zundel, souligne André Haquin, professeur de théologie des sacrements et d’histoire de la liturgie à la Faculté de Théologie de l’UCL, le monde tout entier peut devenir «sacrement de Dieu».
Avant beaucoup d’autres, en effet, ce prêtre s’était forgé une vision de l’Eglise que le concile Vatican II développera plus tard dans sa Constitution dogmatique «Lumen Gentium». Son approche des sacrements détonnait sur la présentation fort juridique et administrative de l’époque. Il pressentait la diversité des «signes» du mystère du salut et de l’homme lui-même, ce que le liturgiste appelle aujourd’hui : la «sacramentalité (apic/cip/mp)