L’indifférence croissante: un des principaux défis du diocèse
Lugano: Interview de Mgr Giuseppe Torti, évêque démissionnaire de Lugano
Bernard Bovigny et Samuel Heinzen, de l’Apic
Lugano, 11 avril 2003 (Apic) Mgr Guiseppe Torti, évêque de Lugano, fait le point sur son diocèse alors qu’il vit probablement les dernières semaines de son épiscopat au Tessin. Un des principaux défis que rencontrera son successeur est l’indifférence de la population, une attitude que l’évêque juge «extrêmement nocive, car elle génère un aplanissement où toute valeur disparaît».
Mgr Torti a officiellement annoncé le 6 janvier 2003 l’acceptation de sa démission pour limite d’âge. Agé de 75 ans, il conserve la direction du diocèse jusqu’à l’entrée en fonction de son successeur. Mgr Giuseppe Torti avait succédé en 1995 à Mgr Eugenio Corecco, dont il était le bras droit.
Apic: Quels sont les principaux défis que devra affronter votre successeur?
Mgr Torti: La chose la plus préoccupante est l’indifférence croissante, problème que nous avons largement abordé dans notre diocèse durant l’année jubilaire. L’indifférence est extrêmement nocive, car elle génère un aplanissement des valeurs. Contre cette attitude négative et passive, nous sommes tous appelés à réagir, à tous les niveaux: religieux, politique, culturel. Je pense que l’indifférence est le véritable ennemi à combattre.
Autre défi, en lien avec le précédent, je considère particulièrement important d’intensifier l’engagement pour une catéchèse attentive et actualisée. Nous sommes dans un contexte social où les messages affluent, l’ignorance se déverse, et d’autres formes culturelles et religieuses s’expriment.
Durant ces dernières années, suivant la route tracée par mes prédécesseurs, une attention particulière a été portée aux jeunes. J’estime que la pastorale des jeunes, des familles et des vocations, tout comme la formation continue, sont les domaines de travail actuels les plus importants.
Apic: La presse, quasi unanime, souligne que vous avez su rebâtir l’unité dans le diocèse. Cela a-t-il été une de vos priorités?
Mgr Giuseppe Torti: J’ai accepté d’être évêque, en juin 1995, pour accomplir un service d’unité. J’ai trouvé un diocèse marqué par le précieux témoignage qu’avait donné l’évêque Eugenio Correco à travers sa maladie. La maladie a été, comme il le soulignait lui-même, son enseignement le plus précieux.
Apic: Mais son épiscopat a été marqué par des polarisations .
Mgr Giuseppe Torti: J’estime que Mgr Corecco a eu des initiatives courageuses. Parmi ses projets, il y a en particulier la Faculté de théologie de Lugano, qui constitue un précieux héritage. Cette Faculté s’est renforcée et a atteint un niveau académique reconnu excellent.
M’engager pour ce projet a été notamment un geste de reconnaissance et d’affection envers l’évêque Eugenio. Je salue par là l’importance de son oeuvre. Du point de vue pastoral, je peux souligner en particulier son engagement pour les jeunes et pour la catéchèse. Ce sont là autant de chemin à suivre.
Apic: Le Tessin: un canton, une seule langue, une Eglise catholique nettement dominante dans le paysage religieux. Peut-on parler d’un diocèse uni, et de ce point de vue facile à diriger?
Mgr Torti: La mission de l’Eglise locale, où qu’elle se trouve, est d’annoncer le salut et de soutenir les personnes et la communauté dans leur engagement et leur témoignage. Ce sont les modalités et la stratégie qui changent, que ce soit par rapport à l’époque, au contexte historique et à la situation culturelle particulier.
Le diocèse de Lugano n’échappe pas à la règle. Il a lui aussi ressenti les changements sociaux et culturels des dernières décennies. Nous sommes passés très rapidement d’une culture paysanne à une société très dynamique, où les communications sont rapides, les échanges également, et l’attachement au territoire moins ressenti. Dans ce contexte, l’action pastorale devient plus difficile et il faut être capable de trouver la stratégie adéquate. Elle n’est cependant pas facile à trouver ni à appliquer, tant pour le diocèse que pour les autres institutions.
Apic: Beaucoup de catholiques attendaient de votre part des directives concernant l’engagement d’assistants pastoraux laïcs dans les paroisses. Or, il semble que vous ayez agi avec une certaine retenue. S’agit-il d’un dossier délicat?
Mgr Torti: Le discours sur les assistants pastoraux laïcs est lié à une option communautaire et à la co-responsabilité de tous, en tant que baptisés. Il ne s’agit pas en conséquent d’introduire cette forme de collaboration uniquement pour répondre à la baisse du nombre de prêtres. Dans cette perspective, il faut former une communauté accueillante et responsable, où la communion qui se vit avec sincérité devient un témoignage.
Pour répondre concrètement à votre question, je peux dire que dans le diocèse de Lugano deux expériences significatives ont été menées en ce qui concerne le service des agents pastoraux laïcs. Elles se situent dans deux réalités complètement différentes. Il s’agit d’un couple marié actif dans une vallée où 17 petites communautés sont confiées à un même curé, et d’un agent pastoral dans une paroisse de ville.
Il ne faut pas oublier, pour être très pratique, le problème du financement. Pour un assistant pastoral laïc, en particulier s’il a charge de famille, un salaire de prêtre ne suffit pas. Or, le diocèse de Lugano ne bénéficie pas de l’impôt ecclésiastique, ni d’une contribution publique, et bon nombre de paroisses connaissent des difficultés financières.
Apic: Vu la moyenne d’âge élevée des prêtres, quelle forme prendra la pastorale paroissiale dans 5 à 10 ans? Verrons-nous des équipes pastorales, formées de prêtres et de laïcs, pour des ensembles de paroisses, comme dans la plupart des autres régions de la Suisse?
Mgr Torti: Le nombre de prêtres est un élément dont il faut tenir compte. Mais l’important, comme je l’ai dit, c’est l’effort continu de relecture de la situation et des exigences, pour donner les réponses pastorales adéquates, au vu des rapides changements socioculturels.
Un pas a été fait dans ce sens avec l’institution de secteurs pastoraux, conçus non pas tellement pour donner une réponse à la baisse du nombre de prêtres, mais pour promouvoir une «pastorale d’ensemble» dans une authentique perspective de communion. Un discours qu’il n’est pas facile de faire passer.
Ces secteurs ne sont pas encore parvenus à s’ancrer dans notre réalité diocésaine. C’est le défi des années à venir. C’est du reste ce que soulignait Mgr Corecco dans sa lettre pastorale du 4 novembre 1994, quelques mois avant sa mort. Son message, près de 10 ans après, conserve sa pleine actualité: C’est le rôle de la sagesse de savoir passer d’une «pastorale de conservation» à une «pastorale de mission».
Apic: Il semble que la vente d’actions du «Giornale del Popolo» appartenant à l’Eglise catholique ait garanti l’existence du journal pour plusieurs années. Mais il est difficile d’imaginer que le Tessin puisse maintenir longtemps trois quotidiens. Et le «Giornale del Popolo», avec un tirage d’environ 27’000 numéros, est le plus petit des trois.
Mgr Torti: Le «Giornale del Popolo», comme d’autres quotidiens ailleurs en Suisse, rencontre des difficultés, liées en particulier à la baisse des recettes publicitaires. Pendant ces dernières années, le diocèse, propriétaire du journal, a réussi à résoudre ces difficultés. Mais la pérennité du journal demandait encore d’autres solutions. Dans cette perspective, un actionnariat a été récemment constitué. La fidélité au projet du fondateur du journal sera sauvegardée notamment en ce qui concerne sa ligne éditoriale.
Apic: Considérez-vous toujours le «Giornale del Popolo» comme un «quotidien catholique»?
Mgr Torti: Au-delà des changements structurels intervenus ces derniers mois, je tiens à répéter que ce quotidien reste absolument fidèle à sa ligne éditoriale, laquelle est ancrée dans une conception chrétienne d’orientation catholique. Il s’agit donc de promouvoir le débat et l’approfondissement des grands thèmes de la vie, dans une attitude d’écoute et de respect des diverses opinions. Mais dans l’effort de présenter l’actualité du message évangélique, qui est une référence pour notre société et pour la compréhension de sa réalité.
Cette ligne confirme et actualise la mission même du journal, en pleine fidélité à sa tradition et à son passé. Je suis convaincu de l’importance de ce quotidien voulu par l’évêque Aurelio Bacciarini en 1927. C’est pourquoi j’ai toujours considéré qu’il était de mon devoir de la soutenir et d’en assumer la continuité.
Apic: La Faculté de théologie de Lugano coûte chaque année 500’000 francs au diocèse. Le Tessin pourra-t-il longtemps se permettre d’avoir une telle Faculté?
Mgr Torti: Oui, j’y tiens, car cette Faculté donne beaucoup à notre diocèse, mais aussi, si j’ose le dire, à l’Eglise. En premier lieu, il s’agit d’une institution importante pour la formation de ceux qui se préparent au sacerdoce dans le diocèse. Il ne faut pas oublier qu’avec l’ouverture de la Faculté de théologie, il a été possible de rouvrir le séminaire diocésain à Lugano. En outre, la Faculté est à disposition des paroisses et des secteurs pastoraux, pour des rencontres sur la catéchèse et pour la formation, de même que pour la messe.
Il y a enfin un aspect important à souligner. Notre Faculté accueille et aide concrètement, par l’octroi de bourses d’études, plusieurs séminaristes et prêtres provenant de diocèses pauvres, donnant ainsi une contribution concrète à ces Eglises locales. Ces étudiants, une fois leur formation achevée, retournent dans leur diocèse d’origine. Mais durant leur présence au Tessin, ils sont actifs dans la pastorale de notre communauté.
Apic: Le nombre de fidèles est en baisse constante, et les contributions versées par l’Etat semblent insuffisantes. Quelles solutions préconisez- vous pour assurer le financement de l’Eglise catholique?
Mgr Torti: Je ne suis pas un expert en finances. Je peux seulement dire que durant ces années, il y a eu un engagement rigoureux pour présenter dans la clarté et la transparence notre situation financière. Je peux souligner que le diocèse n’est riche en rien, comme c’est le cas également pour la très grande majorité, si ce n’est la totalité, de nos paroisses.
Cela nous oblige à rechercher des moyens pour assurer les charges pastorales dans les secteurs. La nouvelle loi sur l’Eglise catholique, récemment approuvée et qui entrera en vigueur prochainement, contient notamment la base légale pour un financement public du diocèse. C’est un pas certainement important pour les finances de l’Eglise.
Apic: Les spéculations pour votre succession apparaissent déjà, autant dans la presse que dans le public. Quelles qualités devrait avoir le prochain évêque de Lugano? Quelles tendances ecclésiales devra-t-il représenter?
Mgr Torti: Je répondrai en premier lieu en assurant au nouvel évêque de Lugano, qui qu’il soit, mon affection et ma reconnaissance, parce qu’en acceptant la nomination, il assume une grosse charge et accomplit un grand sacrifice. Je ne m’arrêterai pas sur les qualités requises, elles sont déjà exprimées dans le canon 378 du Code de droit canonique.
J’ajoute cependant, par expérience personnelle, l’importance d’avoir une bonne santé. Il s’agit d’un facteur non négligeable pour une charge toujours plus absorbante, qui s’effectue à 360 degrés. Regardant en outre notre réalité, je me permets de réclamer la condition de la «tessinité». Je veux dire par là une chose très simple: aimer cette terre dans laquelle on est né, ou que l’on a rejoint pour diverses raisons. BB
Encadré:
Curé de Bellinzone durant 35 ans
Mgr Torti est né le 1er février 1928 à Ronco sur Ascona, au Tessin. Il a été ordonné prêtre le 7 juin 1952. Giuseppe Torti a d’abord été curé de Bellinzone durant 35 ans, avant d’assumer en 1987 la direction de la Caritas diocésaine jusqu’en octobre 1991, date à laquelle Mgr Corecco l’appelle à ses côtés comme vicaire général. Mgr Torti avait été nommé en 1987 chanoine théologien du chapitre de la cathédrale de Lugano et en août 1989 pro-vicaire général du diocèse.
Il succède à Mgr Eugenio Corecco comme évêque de Lugano le 9 juin 1995. Au sein de la Conférence des évêques suisses, Mgr Torti est responsable du dicastère de la communication sociale De santé relativement fragile ces dernières années, il est hospitalisé en janvier puis en mars 2001. Démissionnaire en janvier 2003, il reste à la tête du diocèse de Lugano jusqu’à la désignation et l’entrée en fonction de son successeur. BB
Des photos de Mgr Torti sont disponibles à l’agence CIRIC, Chemin des Mouettes 4, CP 405, CH-1001 Lausanne. Tél. ++41 21 613 23 83 Fax. ++41 21 613 23 84 E-Mail: ciric@cath.ch
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