Félix Moser, doyen de la Faculté de théologie de l'université de Neuchâtel (Photo: Pierre Pistoletti)
Suisse

L'ultime réflexion de la Faculté de théologie de Neuchâtel

Neuchâtel, 13 juin 2015 (Apic) Dans l’univers académique, la théologie étonne: beaucoup se demandent comment se justifie, aujourd’hui encore, ce «discours sur Dieu» à un tel niveau? C’est cette question de fond qu’a souhaité aborder le doyen Felix Moser à l’occasion de la fermeture de la Faculté de théologie de l’Université de Neuchâtel, dans un colloque aux allures de testament.

L’intitulé de cette série de conférences, qui ont rassemblé plus d’une centaine de participants du 10 au 12 juin 2015, en indiquait l’horizon de réflexion: «Entre la mémoire et l’oubli: la pertinence de la théologie protestante». Une pertinence mise à mal en premier lieu par un argument économique, selon Pierre-Luigi Dubied, professeur de théologie pratique et ancien vice-recteur de l’Alma Mater de 1991 à 1995.

Otages d’un monde sans horizon

Dans sa «dernière intervention publique», lors du dernier jour de ce colloque, il a ainsi fustigé «le primat de l’argument économique [qui] envahit tout l’espace public». «On ne s’interroge plus sur la finalité, on se satisfait des mots tabous de compétitivité, de croissance, d’innovation, de performance, de profit. On nous met jour après jour sous l’emprise de cette nécessité économique. Et nous n’y pouvons rien: le poids de cet argument est matériellement écrasant. Nous voilà otage d’un monde qui a perdu tout horizon.»

Or, selon le professeur, «Il existe un au-delà de l’immédiateté, un au-delà sans lequel toute démarche scientifique ne s’explique, ni ne se justifie. La théologie telle que nous la concevions, se comprenait ainsi. Avec sa disparition, c’est une discipline qui avait vocation de s’occuper des questions sans réponse qui disparaît – des questions qui se posent à chaque être humain, mais qui ne sont pas susceptibles de recevoir des réponses générales, uniques, définitives et objectives. Il n’en reste pas beaucoup de ces disciplines-là à l’Université de Neuchâtel», regrette-t-il.

Une discipline académique?

C’est au fond le rôle de la théologie – une discipline qui se distingue radicalement des autres domaines d’étude par son objet et sa finalité – dans le cadre académique qui a été abordé dans ce colloque d’adieu.

Une place tout-à-fait pertinente pour Andreas Dettwiler, professeur de nouveau testament à la Faculté de théologie protestante de Genève. «La théologie apporte à l’Université une triple fonction critique. Elle rappelle aux autres disciplines que la question du sens est constitutive de la condition humaine». D’autre part, «elle critique toutes les approches réductionnistes de la réalité, que l’on sait infiniment complexe». Enfin, «elle apporte une critique rigoureuse du scientisme, cette revendication d’une explication scientifique totalisante de la réalité qui exclut toute autre approche».

Rempart à l’intégrisme

Plus encore, Didier Halter, directeur de l’Office Protestant de la Formation (OPF), voit dans son insertion académique la garantie de son ouverture, un enjeu qui dépasse les Eglises. «Il est de l’intérêt de l’Etat de voir la production d’un discours qui a une vocation normative de s’élaborer dans le dialogue avec les autres disciplines universitaires, de se construire à l’aide d’outils académiques reconnus, afin que ce discours puisse naturellement s’inscrire dès le départ dans la conversation sociétale dans son ensemble et puisse ainsi contribuer au vivre ensemble. Sans cela, la production d’un tel discours court le risque de s’enfermer dans un processus autocentré qui dérive non seulement sur le repli sur soi, sur le refus plus ou moins avoué d’un vivre ensemble, voire sur la sectarisation. Refoulé aux marges, un discours à vocation normative ressurgit inévitablement en pulsion violente. Lorsque l’Etat exclut la théologie de l’Académie, il prend le risque du surgissement de la violence religieuse», avertit Didier Halter.

Inversement, il est de l’intérêt de l’Eglise que la théologie reste dans l’Académie. «Non pas d’abord pour former les pasteurs, explique le directeur de l’OPF, mais pour pouvoir conserver son identité protestante par le positionnement critique de ce discours, acquis dans le contexte académique. Ainsi, l’institution ecclésiale évite la dérive vers l’intégrisme institutionnel ou émotionnel, ou pire encore, une combinaison des deux.»

L’avenir neuchâtelois de la théologie

Si ce colloque marquait la fermeture de la Faculté, il ne signifiait pas pour autant la suppression pure et simple de l’enseignement théologique à l’Alma Mater neuchâteloise. «La Faculté de théologie n’a pas le monopole de la théologie académique», selon Jean-Jacques Aubert, vice-directeur de l’Université. «Maintenant que nous fermons, nous allons construire. La Faculté de Lettres est tentaculaire, elle s’étend des sciences sociales à la philologie. Elle peut constituer un nid pour la théologie.»

Le professeur de philologie classique et d’histoire ancienne reconnaît que l’argument économique a joué un rôle dans la fermeture de la Faculté, sans être – selon lui – aussi déterminant que l’affirme Pierre-Luigi Dubied. «Si l’argent manque, il faut en trouver ailleurs. Il y a des possibilités: les legs, les dons, la participation de l’EREN [l’Eglise Réformée Evangélique du canton de Neuchâtel, ndlr]. Il y a des statuts moins coûteux que celui de professeur ordinaire, comme les Privat-docents». Le vice-recteur envisage «une myriade de possibilités pour réintroduire dans le cadre académique un enseignement, une recherche, une pensée de type théologique qui ne font pas appel à des dépenses colossales».

«Si la Faculté ferme ses portes, le mandat qui lui incombe continue», soutient le doyen Felix Moser. «La tâche théologique est encore largement devant nous». (apic/pp)


La réaction de François-Xavier Amherdt, professeur de théologie pratique à l’Université de Fribourg:

Félix Moser, doyen de la Faculté de théologie de l'université de Neuchâtel
13 juin 2015 | 08:27
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture: env. 4 min.
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