Sri Lanka : Les ONG s’insurgent contre l’ordination de 2’600 jeunes moines bouddhistes de moins de 10 ans
Lutter contre les abus sexuels sur les enfants dans les monastères
Sri Lanka, 19 octobre 2010 (Apic) 2’600 jeunes garçons devraient être ordonnés moines bouddhistes, en mai prochain, le jour qui commémore la naissance, l’éveil et la mort du Bouddha. Les ONG et différents mouvements de défense des droits de l’enfant crient au non respect de la liberté individuelle et y voient des victimes toutes désignées pour les abus sexuels, rapporte l’agence Eglises d’Asie.
Des militants des droits de l’homme ont critiqué le projet de D. M. Jayaratne, Premier ministre et ministre du Culte bouddhique et des Affaires religieuses au Sri Lanka, d’ordonner en mai prochain 2’600 jeunes garçons comme moines bouddhistes. Le jour de Vesak, fête majeure du bouddhisme theravada (*), correspond à la pleine lune de mai et commémore le triple événement de la naissance, de l’éveil et de la mort du Bouddha. Ce jour anniversaire des 2’600 ans de l’illumination du Bouddha, selon le calendrier religieux sri-lankais, est à l’origine du choix symbolique de 2’600 nouvelles recrues pour le clergé bouddhique.
Déclin de la religion d’Etat
Le Premier ministre a justifié cette ordination de masse par un programme du gouvernement visant à sortir les jeunes de la pauvreté, tout en promouvant davantage le bouddhisme, selon des informations de la BBC. Le gouvernement est préoccupé de la baisse du recrutement dans les monastères bouddhiques et d’un début de « déclin » de la religion d’Etat, a révélé D. M. Jayaratna. Sur les 10’346 temples que compte le Sri Lanka, plus de 400 ont un effectif insuffisant, a-t-il souligné, et bon nombre d’entre eux, surtout dans le nord et l’est du pays, ont dû fermer.
Le 16 octobre, le ministre des cultes a expliqué à la BBC que les 2’600 jeunes recrues des monastères bouddhiques seraient soutenues financièrement et pourraient même aller à l’université. Le gouvernement prévoit aussi d’apporter une aide financière à leurs familles, a-t-il précisé.
Atteinte aux droits de l’enfant
Les ONG et différents mouvements en faveur des droits de l’homme ont dénoncé l’opération comme une atteinte grave aux droits de l’enfant. Les futurs moines sont trop jeunes – le plus souvent moins de 10 ans – pour faire un choix de vie, argumentent-ils. Ce sont des victimes désignées pour les abus sexuels notoires qui ont cours dans les temples. Même si les autorités se refusent à admettre la réalité et l’importance de la pédophilie dans les monastères bouddhiques, les associations spécialisées dans l’aide à l’enfance rappellent que le Sri Lanka est fréquemment rappelé à l’ordre pour son non-respect de la Convention des droits de l’enfant (CIDE) et son système peu répressif concernant les abus sexuels commis sur des enfants (**).
Le service de protection de l’enfance du Sri Lanka (NCPA) a procédé, ces dernières années, à l’arrestation d’un grand nombre de bonzes soupçonnés d’abus sexuels sur mineurs. Un seul d’entre eux a pu être condamné ; son dossier comportait trop de plaintes venant des familles et des enfants, pour être réfuté.
Mettre fin à l’esclavage sexuel des enfants-moines
D. M. Jayaratne a assuré que tous les jeunes moines seraient sous la protection et la surveillance du gouvernement. Le Pr. Harendra de Silva, précurseur au Sri Lanka de la reconnaissance des abus sexuels, s’est élevé contre le projet gouvernemental : « Je condamne fermement ce que je considère comme étant un crime envers nos enfants ». Le gouvernement devrait développer l’économie du pays, plutôt que « d’autoriser les abus sexuels sur les enfants », a ajouté ce spécialiste en pédiatrie, fondateur et ancien président du NCPA.
Hiranthi Wijemanne, qui représente le Sri Lanka au sein d’un panel d’experts des Nations Unies pour les droits de l’enfant, a déclaré que les moines leaders du bouddhisme au Sri Lanka doivent montrer l’exemple en s’opposant à de telles initiatives. « Je pense que c’est notre devoir de s’opposer à l’ordination de jeunes garçons : c’est une violation des droits de l’enfant », a-t-elle exprimé. Elle remarque que rarement, des enfants issus de familles aisées sont ordonnés si jeunes.
L’ethnologue sri-lankais, le Pr. Gananath Obeysekara, s’étonne que « tous ceux qui font la promotion de ce grand projet ne proposent pas un de leurs fils ou petits-fils pour être ordonné bonze… ». Dans un article diffusé par le groupe Secular Sri Lanka (***) et intitulé : « Le temps est venu de mettre fin à l’esclavage sexuel des enfants-moines au sein du clergé bouddhiste », l’ethnologue dénonce l’extrême jeunesse des recrues au sein des monastères, victimes toutes désignées pour les abus sexuels, car plus vulnérables. (apic/eda/ggc)
(*) L’école du Theravada ou « petit véhicule », née au Sri Lanka avant de se répandre dans une grande partie du sud-est asiatique, est considérée comme la plus stricte et la plus ancienne tradition bouddhique. Le bouddhisme theravada, religion d’Etat, est intimement lié au pouvoir, s’appuyant sur la croyance selon laquelle le Bouddha aurait confié aux Cinghalais la mission de transformer l’île en citadelle du bouddhisme dans sa forme pure et originelle.
(**) Bien qu’il ait ratifié la CIDE en 1991, le Sri Lanka compte parmi les pays les plus dénoncés par les Nations Unies pour ses violations répétées des droits de l’enfant. Le 1er octobre 2010, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a publié son rapport annuel, où il « fait part de son inquiétude » concernant la non-application de la CIDE dans la législation nationale, la discrimination envers les enfants des minorités ethniques ou religieuses, ceux de sexe féminin, ceux appartenant aux basses castes. Le comité de l’ONU déclare être « gravement préoccupé » par la fréquence et l’augmentation des abus sexuels au sein des institutions et de l’impunité dont jouissent les coupables. A ses yeux, « en dépit de l’ampleur de l’exploitation sexuelle des enfants et des abus dans le pays (…), la législation sri-lankaise ne protège pas les enfants de manière adéquate ».
(***) Le groupe Secular Sri Lanka lutte pour une laïcisation de l’Etat.
(****) Le bonze ou bhikku (›mendiant’ en pali) doit franchir différentes étapes avant de devenir moine. Tout d’abord « acolyte » (samanera en pali), il doit respecter les dix commandements nécessaires à son état (s’abstenir de tuer, voler, mentir, boire de l’alcool, avoir des relations sexuelles, etc.), avant de devenir « moine complet » (upasampada). (apic/eda/ggc)