La théologienne française Marie-Jo Thiel a reçu le doctorat honoris causa de l'Université de Fribourg | © Raphaël Zbinden
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M.J. Thiel: «Il nous faut un nouveau style d’Eglise»

«La crise systémique de l’Eglise n’est pas terminée.» Tel a été le leitmotiv de la théologienne française Marie-Jo Thiel, le 14 novembre 2022, à l’Université de Fribourg. A l’occasion de la remise de son doctorat honoris causa, l’éthicienne a relevé la nécessité pour l’Eglise de «reconnaître sa vulnérabilité», en particulier face aux abus sexuels.

«A l’occasion de l’affaire Santier, j’ai découvert la ‘strip confession’», affirme Marie-Jo Thiel sur le ton de l’indignation. Ce scandale révélé par l’hebdomadaire français Famille chrétienne ,en octobre dernier, a été au centre de la thèse présentée par l’universitaire. Son langage précis et ferme a convaincu la soixantaine de personnes réunies à l’Université de Fribourg, qui l’ont longuement applaudie. La distinction honoris causa lui a été décernée en reconnaissance de ses précieux apports dans l’étude des abus sexuels au sein de l’Eglise catholique.

«Strip confession»

Les scandales qui ont récemment secoué la France ont ainsi naturellement été au cœur de sa prise de parole. Dans ce cadre, «l’affaire Santier» a servi de «cas clinique» pour ausculter l’état de santé de l’Eglise en France et dans le monde. Nombre de «maladies» ont ainsi été décelées, ce qui a fait dire à la théologienne que «la crise systémique de l’Eglise n’est pas terminée».

L’affaire touchant l’ancien évêque de Créteil (région parisienne) illustre en effet parfaitement bien un fonctionnement typique et «mortifère» de l’Eglise-institution. Le prélat a à plusieurs reprises utilisé le stratagème de la ‘strip confession’, dans les années 1990, pour satisfaire ses pulsions sexuelles. Dans le cadre du sacrement de la réconciliation, il demandait à de jeunes hommes d’enlever un vêtement à chaque péché avoué. Une fois qu’il n’en restait plus, les confessés recevaient l’absolution.

Santier ténébreux

Pour Marie-Jo Thiel, la réponse donnée à ce scandale montre que les évêques n’ont pas pris la mesure du problème, même après le rapport de la CIASE, en octobre 2021, qui a mis au jour l’ampleur des abus, les nombreux dysfonctionnements dans l’institution, et provoqué une onde de choc internationale.

L’éthicienne a rappelé que l’affaire avait été révélée par la presse et non par l’Eglise. La communication de la Conférence épiscopale sur le sujet a été «extrêmement tardive et partielle». A tel point que certains évêques ont eux aussi appris la nouvelle par les médias.

«Le cléricalisme et le patriarcalisme bloquent l’annonce de l’Evangile»

Mgr Santier était sous le coup de mesures disciplinaires imposées par Rome depuis déjà octobre 2021. Pendant ce temps, l’information a circulé uniquement en interne. «Comment se fait-il que Mgr Aupetit [l’ancien archevêque de Paris, ndlr] n’ait pas révélé l’affaire lorsqu’il a été au courant? Pour au moins permettre à d’autres victimes de se faire connaître». Et effectivement, suite à la diffusion du scandale, l’archevêque de Rouen Mgr Dominique Lebrun annonçait en octobre 2022 cinq autres cas d’abus commis par Mgr Santier.

La démission de l’ancien évêque de Créteil avait été officiellement déclarée «pour raisons de santé». «La non-transparence a partout prévalu», note Marie-Jo Thiel. Le choc des scandales n’a ainsi pas profondément bouleversé les vieux schémas et mécanismes en vigueur dans l’Eglise.

Légèreté des sanctions

La théologienne strasbourgeoise relève également la légèreté des sanctions contre Mgr Santier. Ce dernier a uniquement fait l’objet de «mesures disciplinaires» de la part de Rome. Il a rejoint une congrégation de religieuses, tout en étant toujours autorisé à célébrer la messe.

Marie-Jo Thiel étudie depuis de nombreuses années les abus sexuels en milieu ecclésial | © Raphaël Zbinden

Si le comportement de l’évêque n’a pas été d’une extrême gravité d’un point de vue pénal, il en va autrement sur le plan ecclésial. «C’est un cas d’emprise spirituelle et d’instrumentalisation des sacrements». Marie-Jo Thiel, s’étonne ainsi que dans le cas des ‘strip confessions’ de Mgr Santier – qui se déroulaient de plus devant le tabernacle – il n’ait pas été fait mention de pratiques sacrilèges, voire d’excommunication. Le Père blanc et psychothérapeute Stéphane Joulain a qualifié ce genre de cas de «péchés contre la grâce et l’Esprit Saint», note l’universitaire française.

Eloge de la vulnérabilité

L’éthicienne a pointé du doigt les structures de l’Eglise. Les évêques concentrent encore l’ensemble des pouvoirs. Lorsqu’un cas survient concernant un collègue, ils se retrouvent à la fois dénonciateurs, juges, frères et amis. «Une position intenable».

L’abus sexuel n’est souvent que l’étape ultérieure des abus de pouvoir et spirituels, encouragés par la hiérarchie verticale de l’Eglise, où le sacerdoce est considéré comme une position de supériorité. Le cléricalisme et le patriarcalisme ambiants y «bloquent l’annonce de l’Evangile». «Les croyants sont infantilisés, l’égalité baptismale n’est que théorique», affirme Marie-Jo Thiel.

«Comment les gens peuvent comprendre que l’on empêche les divorcés-remariés de communier et qu’on laisse un évêque sacrilège célébrer la messe?»

Selon la chercheuse, le principal péché de l’Eglise a été de nier sa «vulnérabilité». Cette «perméabilité nous permet de construire notre identité personnelle et collective», affirme la théologienne. Un état qu’il n’est pas toujours facile d’assumer et qu’il convient de regarder «humblement et courageusement» en face. On peut alors y découvrir de «nouvelles sources d’humanisation (…) reconnaître un Dieu qui a consenti à cette vulnérabilité, afin de rejoindre tout être humain». Pour Marie-Jo Thiel, «nous avons finalement oublié que l’Eglise était sainte, mais aussi pécheresse». Elle déplore au passage «la faillite d’une certaine théologie morale sexuelle.»

Un peuple de Dieu abandonné

De tout cela résulte une profonde crise de confiance au sein du peuple de Dieu, devenu «une brebis sans berger». «Comment les gens peuvent comprendre que l’on empêche les divorcés-remariés de communier et qu’on laisse un évêque sacrilège célébrer la messe?» La chercheuse déplore les très nombreuses «victimes collatérales» des scandales d’abus. Notamment les «plus de 90% de prêtres qui font de réels efforts». Ainsi qu’un peuple de Dieu «fatigué et abattu» par les doutes et les suspicions. «Les sorties d’Eglise sont principalement du fait de la non-écoute, de l’intransigeance des responsables ecclésiaux.»

La lueur du Synode

Malgré ce diagnostic sombre, «l’Esprit agit toujours dans l’Eglise», assure Marie-Jo Thiel. Mais son action ne se verra pas sans notre effort. Elle appelle à continuer d’écouter les victimes et de faire mémoire de la crise des abus. Les investigations, ainsi que l’étude de ce phénomène doivent absolument se poursuivre.

La théologienne voit des lueurs d’espoirs notamment dans le processus synodal. «C’est une sortie de l’infantilisation des fidèles, le pape François invite chacun à assumer sa responsabilité personnelle.» Elle y voit les prémices d’un «nouveau style d’Eglise, plus horizontal, où la vulnérabilité est reconnue, et où il est possible de reconstruire solidairement.» (cath.ch/rz)

La théologienne française Marie-Jo Thiel a reçu le doctorat honoris causa de l'Université de Fribourg | © Raphaël Zbinden
15 novembre 2022 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 5 min.
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