Madagascar: L’ancien rédacteur en chef de «La Liberté» a lancé Radio Haja, «Radio Dignité»

Une radio locale malgache résiste dans la tourmente politique

Antsirabé, 3 mai 2002 (APIC) Alors que «l’île rouge» est toujours en proie aux convulsions politiques, sur les Hauts Plateaux de Madagascar, Radio Haja est entrée en résistance. La radio communautaire lancée il y a trois ans par José Ribeaud, ancien rédacteur en chef du quotidien fribourgeois «La Liberté», est dans le collimateur de commandos à la solde d’un régime agonisant. Pour protéger «leur» radio, paysans des alentours et citadins d’Antsirabé se relaient nuit et jour.

Chaque nuit, rapporte José Ribeaud, une cinquantaine d’hommes – des paysans de la brousse et des habitants de la ville d’Antsirabé, à quelque 130 km au sud de la capitale Antananarivo – patrouillent pour protéger les installations et les collaborateurs de Radio Haja. La station catholique, dont le nom signifie «Dignité» en langue malgache, est l’une de radios libres issue de la floraison des émetteurs locaux – près de 130 dans toute la Grande Ile – née de la volonté de liberté de la population malgache. Ces émetteurs communautaires ne sont pas tous encore légalisés, mais il sera difficile de les fermer, car la population a pris goût à la liberté.

Tout a commencé en 1991 avec la création de Radio «Feon ’ny Vahoaka» (Voix du Peuple), lancée par l’opposition lors de la grande grève, pour faire pièce au silence de la radio nationale sur les événements. Dès lors, la compétition entre les stations FM a sévèrement mis à mal le monopole d’Etat.

Radio Haja, «la voix des sans voix»

En trois ans d’existence, Radio Haja s’est imposée sur les Hauts Plateaux de Madagascar comme la voix des sans voix. Prise dans les troubles et les incidents qui ont suivi l’élection controversée à la Présidence de la République, elle continue de diffuser un programme informatif et éducatif qui dérange une classe dirigeante aux abois.

Sa situation est si précaire, son existence si menacée qu’elle doit compter sur la protection de ses auditeurs pour assurer la sécurité du personnel, rapporte José Ribeaud, co-fondateur de Radio Haja. «Dénoncer la corruption, diffuser la vérité, exiger la transparence du fonctionnement des pouvoirs publics, dire aux plus déshérités qu’ils ont des droits et des devoirs de citoyens libres, en un mot leur donner une dignité, telle est la mission prioritaire de Radio Haja.»

Le paysan qui a perdu un zébu

Concrètement, la station – créée à l’initiative de l’évêque du diocèse d’Antsirabé – diffuse chaque jour de 5h30 à 22h30. Le programme se compose principalement de trois éléments. D’abord une animation en direct qui permet de donner la parole à tout un chacun. Ce peut être un paysan qui a perdu un zébu ou une sage-femme qui donne des conseils, un vieux sage qui raconte la vie d’antan ou un jeune en quête de travail.

Le second élément est fait d’émissions à caractère éducatif: lutte contre l’endettement, chronique judiciaire, danger des feux de brousse, violence dans la vie quotidienne, émancipation de la femme, droits humains, vie communautaire, traditions et spécificités de la culture locale, etc. La troisième composante du programme, la plus importante sans doute et la plus suivie, est constituée par les bulletins d’information à heures fixes et par les débats sur des thèmes d’actualité. Ils portent aussi bien sur la politique locale que sur l’éducation, le dialogue oecuménique, le tourisme écologique, la vie sociale, la santé, l’environnement, etc.

Transistors solaires ou à dynamo

Dans la plupart des villages et dans les quartiers périphériques, il n’y a ni eau courante, ni électricité, ni téléphone et à plus forte raison pas de télévision. Pendant la saison des pluies, la plupart des pistes sont impraticables et bien des localités sont coupées du monde. La radio est donc le seul lien avec l’extérieur. Mais à elles seules, les piles d’un appareil représentent le salaire de plusieurs jours de travail pour un paysan ou un ouvrier.

Pour permettre aux populations isolées et miséreuses de capter ses programmes, Radio Haja distribue gratuitement des transistors solaires et à remontoir qui actionnent une dynamo. Ce sont des missionnaires, des instituteurs, des responsables de la communauté rurale locale qui en prennent soin. Ces appareils résistants et pratiques sont fabriqués en Afrique du Sud. Ils coûtent l’équivalent de 60 francs suisses la pièce.

Modérer les passions, calmer les esprits, balayer les rumeurs

Pendant la période de haines tribales, d’insécurité et de chasse aux sorcières que traverse actuellement Madagascar, la radio de proximité confirme son rôle irremplaçable pour rappeler les valeurs chrétiennes, informer une population qui vit dans la crainte, modérer les passions, calmer les esprits, balayer les rumeurs et pour donner la parole aux personnes les plus lucides, les plus modérées et les plus aptes à réconcilier les frères ennemis, affirme le co-fondateur de Radio Haja.

«Car comme toujours, ce sont les plus pauvres, les plus ignorants, les plus exploités qui sont les premières victimes de la lutte pour le pouvoir. A Madagascar, cette lutte est d’autant plus dramatique que le pays est au bord de la faillite, conséquence d’un régime qui a fait passer les intérêts personnels de la classe dirigeante avant le bien commun, le développement durable et la justice», lance José Ribeaud. Dans un tel contexte, la radio locale devient un protagoniste de la vie associative et du débat démocratique. Elle s’impose aussi comme outil de la lutte contre la violence, la pauvreté, l’asservissement, et l’humiliation. (apic/jr/be)

3 mai 2002 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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