et laïcs permanents du canton de Fribourg
Matran: Session pastorale des prêtres (240191)
Fribourg 1991. Feu la chrétienté ?
Matran, 24janvier(APIC) Près de 150 prêtres, religieuses et permanents
laïcs ont participé du 22 au 24 janvier à la Maison St-Joseph de Matran à
la traditionnelle session pastorale fribourgeoise sur le thème «L’Evangile
et l’Eglise en terre fribourgeoise». Pour évangéliser, ou plutôt réévangéliser le pays de Fribourg, a souligné d’emblée le chanoine Jean-Claude Crivelli, l’un des organisateurs, il est nécessaire de connaître l’histoire,
les coutumes, le mode de vie de vie de sa population, et se rappeler que
cette région de tradition catholique n’est pas isolée d’un environnement
suisse et européen également marqué par la sécularisation.
Pour baliser cette problématique et en tirer des orientations pastorales, les organisateurs avaient invité l’historien Francis Python, de l’Université de Fribourg, auteur de l’ouvrage «Mgr Etienne Marilley et son clergé à Fribourg au temps du Sonderbund 1846-1856», et le sociologue Roland
Campiche, de l’Institut d’Ethique Sociale (IES) de la Fédération des Eglises protestantes de la Suisse. C’est forts des analyses fournies par l’histoire et la sociologie religieuse que les participants ont tenté, en conclusion, de traduire ces apports en options pastorales à partir du texte du
Synode 72 «Une Eglise diocésaine pour l’homme d’aujourd’hui».
A cette occasion, le théologien Marc Donzé a décrit la tension entre le
respect de l’Homme et l’annonce de l’Evangile : on veut prendre les gens
tels qu’il sont, sans les bousculer, alors qu’autrefois, c’était l’apologétique, il fallait en faire des chrétiens. Pour passer des options à la réalisation, il a encore souligné la nécessité de développer un plan pastoral.
Une «République chrétienne»
Dans une conférence très fouillée, l’historien Francis Python a voulu
apporter un éclairage historique sur les rapports tissés entre l’Eglise, la
société et l’Etat dans le canton de Fribourg aux XIXe et XXe siècle. «Fribourg 1991. Feu la chrétienté ?», s’est-il demandé en préambule, en faisant
référence à Emmanuel Mounier. Il a remarqué que durant longtemps la société
et l’Eglise ont été plutôt traditionalistes, qu’on a eu affaire dans ce
canton à une «société chrétienne» et à une «République chrétienne» où
l’Eglise s’appuyait sur le bras temporel pour maintenir le caractère chrétien de la société. Mais, à la fin des années 50, le modèle paroissial
«clérical et autoritaire» n’ayant pas fait sa mue, et l’action catholique
ayant été négligée, il s’est demandé si l’on n’avait pas «raté là quelque
chose». Une forme de civilisation se terminait progressivement, «mais a-ton eu l’audace et les moyens de préparer son remplacement ou s’est-on crispé à la défendre?»
F. Python s’est ainsi demandé pourquoi, malgré l’échec de la laïcisation
de l’Etat cantonal – alors que sous l’influence radicale la laïcisation
réussissait au niveau fédéral (1848, 1874) – l’Eglise à Fribourg n’a pu empêcher, malgré la résistance offerte, la sécularisation que nous connaissons aujourd’hui. Si le régime de collaboration avec l’Etat, «idéal pour
l’Eglise», a bien résisté jusqu’aux années 60, pourquoi cette sécularisation a-t-elle été si brutale ? Il y a maintenant, a-t-il souligné, un rejet
de cette symbiose passée entre l’Eglise et l’Etat, et l’on veut se démarquer de ce que l’on qualifie d’autoritarisme. «N’a-t-on pas trop insisté
sur la christianisation des institutions, alors que la société changeait,
n’y a-t-il pas eu là un déséquilibre ?». Un exposé dense, qui a permis de
dessiner une grille de lecture de la réalité contemporaine, car si l’histoire ne résoud pas les problèmes, «elle permet de les poser de façon plus
correcte».
Religion «à la carte»
Les Eglises sont-elles des comités sans troupes, des institutions
obsolètes, la religion a-t-elle toujours une pertinence sociale, s’est demandé pour sa part Roland Campiche, présentant l’étude du Fonds national de
la recherche scientifique «Pluralité confessionnelle, religiosité diffuse,
identité culturelle en Suisse». Cette recherche d’envergure montre que la
religion garde toujours une place privilégiée en Suisse, même si la majorité des croyants se composent leur propre «menu».
«Un protestant ou un catholique aujourd’hui en Suisse peut parfaitement
être membre d’une paroisse, être adepte de la méditation transcendantale et
lire tous les matins son horoscope dans son quotidien préféré», a lancé le
chercheur lausannois pour illustrer les résultats parfois surprenants de
cette étude réalisée par l’IES à Lausanne en collaboration avec l’Institut
de sociologie pastorale de l’Eglise catholique à St-Gall (SPI).
Le directeur de l’IES affirme que l’analyse du religieux «en terme de
perte ou de gain» (baisse de la pratique, etc.) ne rend pas compte de façon
adéquate du changement dans le champ religieux depuis la guerre et réduit
le religieux à sa dimension institutionnelle. Il a donc mis l’accent sur
la «recomposition du champ religieux» : dans la société moderne, la religion ne constitue plus le principe unitaire à partir duquel s’organise la
société dans son ensemble, mais elle garde cependant une importance primordiale. Ceux qui se déclarent sans religion ne représentent que 4,6 % des
individus interrogés, alors que plus de 90 % affirment appartenir aux deux
principales Eglises de Suisse, les Eglises catholique et réformée.
Pas de «retour du religieux»
Cela montre aussi que le phénomène des sectes et des «nouveaux mouvements religieux» ainsi que le fondamentalisme et l’intégrisme ne touchent
qu’une petite minorité, contrairement à ce qu’un certain «battage médiatique» tendrait à accréditer. Il faut cependant reconnaître que sur la base
des tendances statistiques, vers l’an 2’000, près de 20 % de la population
sera enregistrée sous la rubrique «sans confession». «Ce qui, encore une
fois, ne veut pas dire sans religion», a-t-il tenu à préciser. Cela signifie tout de même que le lien social aux Eglises est atteint.
D’après cette enquête, effectuée auprès de 1500 Suisses et étrangers au
bénéfice d’un permis de séjour, l’individu compose lui-même son système de
croyances et «négocie» le lien qu’il désire avoir avec une organisation religieuse. Ainsi, son identité religieuse n’est plus exclusivement formée
d’éléments proposés par une Eglise et l’individu sélectionne parmi les modèles disponibles celui qui lui convient le mieux, construisant une sorte
de «puzzle». L’étude a cependant montré que si les Eglises ne contrôlent
plus totalement le «champ religieux», elles restent les principales productrices de réponses aux attentes religieuses de la population.
L’enquête révèle un consensus impressionnant à propos de l’action sociale des Eglises, malgré un relâchement évident du lien de l’individu à l’institution et une érosion constante de la pratique religieuse. Le professeur
Campiche a cependant tenu à souligner combien il est difficile de mesurer
l’état plus ou moins religieux d’une population et qu’il est incomplet
d’analyser cette réalité uniquement à partir des taux de pratique, ce qui
réduirait la religion à sa seule composante institutionnelle. Et le théologien protestant de conclure : «La recomposition de la religion, oui, la décomposition, non». (apic/be)