Mère Teresa, acclamée comme une «sainte vivante», sera enterrée samedi à Calcutta
Deuil national dans plusieurs pays
Calcutta/New Delhi, 7 septembre 1997 (APIC) Alors que les hommages appuyés à «l’ange des slums» de Calcutta parviennent des autorités gouvernementales du monde entier – du président Clinton à Boris Eltsine – les petites gens de l’immense métropole du Bengale – toutes religions confondues – se sont rendus par milliers pour saluer la mémoire de Mère Teresa, décédée d’une crise cardiaque vendredi soir à l’âge de 87 ans. La police a dû barrer des rues pour contenir la foule éplorée venant rendre un dernier hommage à la religieuse vêtue de son typique sari de coton blanc au liseré bleu.
Acclamée de longues années durant comme une «sainte vivante», dont on réclame déjà la béatification, elle sera enterrée samedi à Calcutta et trouvera sa dernière demeure dans la «Maison de la Mère», sa modeste résidence au siège de la congrégation de Missionnaires de la Charité, l’ordre qu’elle a fondé à la fin des années 40 et qui fut reconnu par le Vatican en 1950. Le président indien Kumar Gujral lui a rendu hommage dimanche en l’église St-Thomas de Calcutta et a déposé une gerbe de fleurs sur le corps embaumé de la religieuse, tandis que l’Inde décrétait deux jours de deuil national et mettait les drapeaux en berne. Samedi prochain, «l’ange des slums» aura droit a des funérailles d’Etat, avec parade militaire, en présence du président indien. L’Albanie, pays dont est originaire sa famille, a quant à elle décrété trois jours de deuil national et mit le drapeau national berne pour une semaine.
Malgré les controverses, toujours fidèle à sa mission auprès des plus déshérités
Même si l’action de Mère Teresa a été diversement appréciée au cours des années – les fondamentalistes hindous l’accusaient de prosélytisme chrétien et d’autres milieux lui reprochaient son opposition à toute contraception et sa ferme condamnation de l’avortement – elle n’a pourtant jamais laissé les jugements que l’on portait à son égard la détourner de sa mission première: exprimer concrètement l’amour de Dieu en accompagnant les malades, notamment les malades du sida, les déshérités et les mourants.
Qu’elle soit célébrée par les grands de ce monde, couverte d’honneurs et de distinctions – Prix international Jean XXIII en 1963, Prix John Kennedy en 1971, Prix Templeton pour le progrès en religion en 1973, Prix Albert Schweitzer en 1975, Prix Nobel de la Paix 1979, Prix de l’UNESCO pour l’éducation à la paix, Citoyenne d’honneur des Etats-Unis et de la Ville de Rome en 1996, etc. -, ou en butte à la critique de certains intellectuels, journalistes ou professionnels de l’humanitaire, Mère Teresa n’a jamais dévié. La toute petite femme en sari blanc bordé de bleu, courbée et chenue, regardait les gens avec des yeux pleins d’amour: elle ne s’est jamais écartée de la mission qui l’inspirait depuis l’enfance, absolument convaincue que la main de Dieu la guidait dans tout ce qu’elle entreprenait.
Sa mort survient moins d’une semaine après celle de Diana, princesse de Galles. Elle la connaissait depuis 1992 et elle était devenue pour elle une amie. Elles s’étaient rencontrées pour la dernière fois le 18 juin dernier à New York.
Une vocation précoce
Née Agnès Gonxha Bojaxhiu, en 1910 dans la ville de Skopje, en Macédoine alors Usküb, sous occupation turque, elle était l’un des trois enfants d’une famille aisée d’origine albanaise. Son père, Köle Bojaxhiu, est pharmacien et milite pour le rattachement de la ville de Skopje à l’Albanie. Coup dur pour la famille en 1919: la police serbe abat le Père d’Agnès, alors âgé de 46 ans, la ville de Skopje étant devenue serbe en 1912.
Dès son plus jeune âge, elle se sent doublement appelée – par la vie religieuse et par l’Inde. En 1928, elle rejoint les Sœurs de Notre-Dame de Lorette en Irlande et se retrouve bientôt enseignante d’histoire et de géographie dans leurs écoles à Darjeeling et Calcutta. Après avoir prononcé ses vœux, elle est nommée à la tête de Sainte-Marie, une école de Lorette pour les enfants bengalis à Calcutta. L’école jouxte le pensionnat chic de la congrégation qui accueille les filles des fonctionnaires coloniaux. Cette proximité fait naître un malaise croissant en sœur Marie Teresa de l’Enfant Jésus, nom qu’Agnès prend en devenant religieuse, en hommage à la «petite Thérèse» de Lisieux.
Un deuxième appel: aller vers les plus pauvres de Calcutta
Le 10 septembre 1946, alors qu’elle est en retraite, elle ressent ce qu’elle décrit ultérieurement comme «un deuxième appel», aller dans les taudis de Motijhil à Calcutta et travailler auprès des plus pauvres et plus déshérités de la ville. Cette date est célébrée comme le Jour de l’inspiration par les Missionnaires de la Charité, ordre religieux qu’elle a fondé pour promouvoir cette vocation. Deux ans plus tard, elle quitte les sœurs de Notre-Dame de Lorette et fonde, avec l’approbation de son évêque et du pape Pie XII, une nouvelle congrégation, approuvée par Rome en 1950.
En 1952, elle ouvre «Nirmal Hriday» – littéralement «lieu du cœur pur» – un foyer pour les mourants, et peu après «Shishu Bhavan», le premier de nombreux foyers d’enfants. En 1968, les Missionnaires de la Charité s’implantent à Rome – en réponse à un appel du pape Paul VI – et rapidement la congrégation ouvre d’autres centres sur les cinq continents. A l’heure actuelle, les Missionnaires de la Charité sont quelque 4’000 dans près de 140 pays du monde, où elles possèdent plus de 560 maisons. En Suisse, on les trouve depuis plusieurs années à Zurich et elles se sont installées tout récemment à Lausanne.
De très bonnes relations avec Jean Paul II
Mère Teresa entretenait de très bonnes relations avec le pape Jean Paul II. Bien que soutenant sa position contre la contraception et surtout contre l’avortement dans tous les pays où elle était présente, elle a réussi à se situer à l’écart des conflits moraux et théologiques qui divisaient son Eglise. Femme et personnalité au sein de l’Eglise catholique, elle a refusé d’entrer dans le débat sur l’ordination des femmes.
Personnalité modeste, qui ne cherchait pas les honneurs, Mère Teresa s’est toujours montrée audacieuse et volontaire quand il s’agissait de promouvoir sa propre vision de l’amour de Dieu. Lorsque Margaret Thatcher, alors Premier ministre britannique, la reçoit au 10 Downing Street en 1989, Mère Teresa n’hésite à dénoncer les conditions de vie des sans-abri de Londres auxquels les Missionnaires donnent nourriture et couvertures, laissant Mme Thatcher décontenancée.
A un journaliste américain en visite au mouroir de Calcutta, lui disant qu’il ne ferait pas ce travail même pour un million de dollars, Mère Teresa répondit: «Moi non plus, je ne le ferais pas pour cette somme. Mais je le fais par amour de Dieu. Le pauvre qui souffre est pour moi le corps du Christ». Pour elle, l’essentiel n’était pas ce que l’on dit, mais ce que l’on fait, surtout aux plus pauvres. A ceux qui comparaient son action à une goutte d’eau dans l’océan de la misère humaine, elle répondait: «Certes, mais si elle n’y était pas, elle manquerait à l’océan!»
Un Prix Nobel qui va aux pauvres
La détermination qui l’animait était aussi visible dans la manière dont Mère Teresa gérait l’ordre des Missionnaires de la Charité. Ce n’était pas la femme des réunions et des décisions par consensus. Elle était une religieuse de la vieille école qui marchait devant et s’attendait à ce que les autres suivent. Mais elle a travaillé dur – même si c’était souvent sans succès – pour dissiper tout culte de la personnalité autour d’elle, insistant pour que le crédit en revienne à Dieu. En acceptant le Prix Nobel de la paix 1979, elle a dit: «Personnellement, j’en suis indigne. Je l’accepte avec reconnaissance au nom des pauvres.»
Malgré le nombre de gens qu’elle a aidés et qu’elle a inspirés dans le monde entier, Mère Teresa est longtemps restée une figure controversée en Inde, son pays d’adoption, qui la traite pourtant aujourd’hui, toutes tendances confondues, comme une héroïne nationale. Le Sankaracharya (prophète) de Puri, prêtre dont le rang est le plus élevé en Inde, l’a accusée en 1995 de se servir de ses œuvres pour convertir des hindous au christianisme. «Si Mère Teresa veut réellement servir l’humanité», avait-il dit, «elle devrait arrêter de convertir des hindous au christianisme.»
Une religieuse indienne lui succède
Mais le succès des Missionnaires de la Charité, qui réussissent à financer leur réseau mondial toujours plus vaste de projets et à attirer des vocations, est un legs du pouvoir magnétique de la vision de Mère Teresa. A l’heure où de nombreux ordres religieux catholiques luttent pour trouver de nouvelles vocations, les Missionnaires de la Charité se multiplient, leurs objectifs clairement définis et leur mode de vie souvent dur devenant un signe attractif de contradiction dans un monde de plus en plus matérialiste et incertain. Cet héritage, c’est Sœur Nirmala, une religieuse catholique indienne de 63 ans, née au Népal et convertie de l’hindouisme, qui devra le gérer. Elle a étéé élue à la succession de Mère Teresa le 12 mars dernier. (apic/kna/eni/be)