La maternité de substitution est une affaire très florissante en Ukraine (Photo d'illustration:Annie Devine/Flickr/CC BY-NC 2.0)
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Mères porteuses en Inde: l'enfer du décor

Hausse des meurtres, des vols d’enfants et des destructions d’embryons…tel est le bilan, en Inde, 14 ans après la légalisation de la grossesse pour autrui (GPA). Devant les premières dérives, le gouvernement a imposé des restrictions à ce «commerce», qui ont engendré le développement de réseaux souterrains aux méthodes passablement immorales.

Madhumati Thakur, une jeune Indienne de 22 ans, a été assassinée mi-juin 2016 à l’ouest de l’Inde, par des trafiquants d’ovules accessoirement voleurs d’enfants. Issue d’un milieu pauvre, la jeune femme aurait été approchée par d’autres femmes ayant cherché à la convaincre de donner ses ovules contre rémunération. Face à son refus, elles l’auraient assassinée et volé son bébé âgé d’à peine un mois. Celui-ci a été retrouvé sain et sauf par la police dix jours après le meurtre.

Le trafic d’ovules ainsi que la gestation pour autrui (GPA) prospèrent en Inde, rapporte Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. Si ce «commerce» aide des femmes pauvres à sortir de la misère et certains couples à devenir parents, il permet surtout aux cliniques et aux intermédiaires de s’enrichir.

Un énorme business

En 2002, une loi autorisant la GPA et la rémunération des mères porteuses a été votée en Inde. Des cliniques se sont très vite spécialisées dans cette «industrie», répondant aux nombreuses demandes d’adoption domestiques et étrangères. En juillet 2015, Le Journal International rapportait que 25’000 couples étrangers se rendaient chaque année en Inde pour utiliser les services de mères porteuses, représentant 85% des clients. «C’est un énorme business, rapporte Jose K. George, professeur du droit de la famille à la Christ University de Bangalore, au sud de l’Inde. L’économie de certaines localités du nord-ouest de l’Inde repose entièrement sur cette activité.»

Si la GPA est interdite dans de nombreux pays (notamment en France, en Allemagne, et en Espagne), elle est autorisée aux Etats-Unis et en Inde, mais, dans ces deux pays, les frais engagés pour une GPA n’atteignent pas les mêmes plafonds. Là où une GPA peut coûter jusqu’à 80’000 dollars aux Etats-Unis, elle revient à «seulement» 30’000 dollars en Inde. Aux yeux des étrangers, les cliniques spécialisées indiennes présentent de forts atouts: des médecins qualifiés et anglophones, des donneuses d’ovules qui sont présentées comme ayant été soigneusement sélectionnées – d’un âge généralement inférieur à 25 ans, de rang social élevé, ayant réalisé de bonnes études –, et des mères porteuses dont les tarifs sont cinq fois inférieurs à ceux qui se pratiquent aux Etats-Unis, rapporte une enquête publiée le 1er avril dernier par le quotidien britannique The Guardian.

Porter un enfant pour rembourser ses dettes

La rémunération proposée à une mère porteuse en Inde tourne aux alentours de 8’000 dollars, une somme qui équivaut à environ sept années de revenu en milieu rural. En Inde, où plus de 20% de la population vit sous le seuil de pauvreté, cette somme attire de nombreuses femmes. Il n’est pas rare qu’elles acceptent, parfois sous la contrainte de leur entourage, de porter un enfant pour rembourser des dettes. De plus, si les cliniques mettent en avant l’excellence de leurs services, dans la réalité, les conditions réelles faites aux femmes dont l’utérus est ainsi utilisé sont loin d’être reluisantes, assure EdA. La «compensation financière» proposée aux mères porteuses ou à celles qui vendent leurs ovules est minime par rapport aux bénéfices retirés par les cliniques et les agents intermédiaires.

Dans l’affaire du meurtre de Madhumati Thakur, c’est une femme ayant elle-même vendue autrefois ses ovules et porté un enfant pour autrui qui était à la tête du groupe de trafiquants. Elle approchait les femmes ayant besoin d’argent pour les convaincre d’entrer à leur tour dans ce «business». Selon l’enquête de police, elle touchait 20’000 roupies (300 dollars environ) de la vente d’ovules d’une femme, qui ne retirait de cette somme qu’une compensation de 5’000 roupies.

Opposition de l’Eglise

Devant les proportions considérables du marché et pour éviter les abus, une première loi a été votée en 2012 interdisant aux célibataires et aux couples homosexuels étrangers d’avoir recours à des mères porteuses en Inde. En octobre 2015, le gouvernement indien a fait part de son intention d’interdire complètement aux étrangers la possibilité de recourir aux services de mères porteuses. A ce jour, si aucune autre loi n’a été votée, des mesures ont été prises. Les étrangers ne peuvent ainsi plus obtenir de visas médicaux leur permettant d’entrer dans le pays en vue d’une GPA, et le Conseil indien de recherches médicales (Indian Council of Medical Research) interdit aux cliniques d’offrir des services de GPA aux étrangers.

Mgr Thomas Dabre, évêque catholique de Pune, à l’ouest de l’Inde, a approuvé en 2015 ces mesures de restriction prises par le gouvernement indien. Il déclarait notamment: «Quelle que soit la situation, l’Eglise est opposée à la GPA car une telle pratique va à l’encontre des lois éthiques et morales. (…) Louer son corps n’est pas moral car cela participe de la marchandisation du corps humain».

Ces restrictions favorisent cependant, étant donné l’ampleur des profits en jeu, le développement de réseaux souterrains. «Mettre un terme à l’industrie des mères porteuses par une loi peut s’avérer compliqué dans une société qui vénère la fortune et perçoit l’argent comme le bonheur ultime», souligne le professeur Jose K. George. Malgré des conditions plus difficiles, les candidates restent nombreuses.

«Machines à bébés»

Le trafic d’enfants, qui ne date pas de la GPA – 135’000 enfants disparaissent tous les ans en Inde –, connaît aussi un nouvel essor. Des enfants, parfois volés au berceau comme dans le cas du fils de Madhumati Thakur, sont vendus comme personnel de maison ou aux réseaux de prostitution. Mais certaines petites filles sont maintenant vendues pour devenir de véritables «machines à bébés», mettant parfois au monde, une fois devenues pubères, plus de dix enfants pour le compte d’autrui.

«Malgré des stratégies marketing ratées qui ont tenté de présenter le ›business’ autrement que comme une marchandisation du corps humain, l’industrie des mères porteuses dessert la vie. On ne considère plus l’enfant comme un don mais comme un produit à fabriquer», déclare à l’agence d’information catholique AsiaNews Pascoal Carvalho, médecin catholique à Bombay, à l’ouest de l’Inde, et membre de l’Académie pontificale pour la vie. «Les dizaines de milliers d’embryons détruits et les dangers encourus par les parents engagés dans ces trafics, le meurtre de cette femme à Pune, révèlent la triste réalité qui se cache derrière tout ce système de mères porteuses – la défaite des valeurs intrinsèques de la vie humaine», commente-t-il. (cath.ch-apic/eda/rz)

La maternité de substitution est une affaire très florissante en Ukraine (Photo d'illustration:Annie Devine/Flickr/CC BY-NC 2.0)
5 juillet 2016 | 14:56
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 4 min.
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