Messe préconciliaire en rite tridentin | photo d'illustration | © James Bradley
Vatican

Messe tridentine: le pape François est-il en rupture avec Benoît XVI?

«Je me vois contraint de révoquer la faculté concédée par mes Prédécesseurs», déclare le pape François dans la lettre aux évêques qui accompagne le motu proprio Traditionis Custodes, publié le 16 juillet 2021. En dépit des apparences, le pontife argentin entend, comme son prédécesseur Benoît XVI, demeurer fidèle à la réforme liturgique voulue lors du Concile Vatican II.

Augustin Talbourdel, I.MEDIA

Ce qui, pour certains, passe pour le document le plus important du pontificat de Benoît XVI — le motu proprio Summorum Pontificum sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de Vatican II, publié en 2007 —, vient d’être radicalement révisé par le pape François. Pourtant, les deux pontifes partagent la même volonté: rester fidèle à Vatican II et préserver l’unité de l’Église catholique. Pourquoi, de cette coïncidence de pensée, résulte-t-il une telle divergence de méthode?

Les racines d’une querelle liturgique

4 décembre 1963: Paul VI promulgue solennellement Sacrosanctum Concilium, la constitution sur la liturgie adoptée par les Pères conciliaires avec une majorité écrasante de 2147 voix contre 4. Parmi les participants au débat, le jeune Joseph Ratzinger, conseiller théologique de l’archevêque de Cologne. Le Bavarois de 36 ans ne cache pas son enthousiasme. Les vœux du Mouvement liturgique* ont été en grande partie accomplis : la liturgie accorde un rôle plus important à la parole de Dieu et à la «participation active, consciente et fructueuse» des fidèles.

Favorable à l’usage de la langue vernaculaire lors des célébrations, le futur Benoît XVI sait néanmoins tous les risques que présente cette réforme liturgique. Dès la publication du Missel romain par Paul VI en 1969 et jusqu’à son ultime modification par Jean Paul II en 2002, Ratzinger s’emploie à rappeler la «lettre de Vatican II», par opposition au prétendu «esprit du Concile». De même, tout au long de son pontificat, de 2005 à 2013, il prône une lecture de Vatican II selon une «herméneutique de la réforme», et non une «herméneutique de la rupture».

Cette lecture, critiquée par Benoît XVI dans son discours du 22 décembre 2005 à la Curie, affirme à tort «que les textes du Concile comme tels ne seraient pas encore la véritable expression de l’esprit du Concile», établissant une distinction erronée entre Église pré-conciliaire et post-conciliaire. À l’inverse, une interprétation authentique des documents conciliaires comprend le Concile comme un renouveau de «l’unique sujet du Peuple de Dieu en marche» qui «grandit dans le temps et se développe, restant cependant toujours le même».

Fidélité à Vatican II: deux approches non contradictoires

La distinction introduite par Benoît XVI dans Summorum Pontificum entre les deux formes du rite romain, ordinaire et extraordinaire, relève donc de cette volonté de prôner le «renouveau dans la continuité». Désireux de répondre aux nombreux catholiques qui, acceptant le «caractère contraignant du Concile Vatican II», subissent les «déformations de la Liturgie» et souhaitent retrouver la «forme de la sainte Liturgie qui leur était chère», Benoît XVI rend possible un usage plus large du Missel de 1962, soulignant qu’il n’y avait aucune contradiction entre «l’une et l’autre édition du Missale Romanum«.

Avec ce motu proprio, le pape François inscrit de fait sa propre décision dans le sillage immédiat de celle de Benoît XVI et, au-delà, de Vatican II. Si le pontife argentin reconnaît, comme son prédécesseur, que les dérives liturgiques sont parfois «à la limite du supportable», il souligne avec davantage d’insistance un «usage instrumental du Missel romain de 1962, toujours plus caractérisé par un rejet croissant non seulement de la réforme liturgique, mais du Concile Vatican II». Or, «douter du Concile Vatican II, poursuit l’évêque de Rome, revient à douter des intentions des Pères (…) et, en dernière analyse, douter de l’Esprit Saint lui-même qui guide l’Église».

Une seule expression de la lex orandi

Désireux autant que Benoît XVI de demeurer fidèle aux souhaits des Pères conciliaires, le pape François a justement recours au Concile Vatican II pour éclairer le sens de la décision de réviser la concession faite par ses prédécesseurs. Dans la nouvelle messe publiée par Paul VI et rééditée par Jean Paul II, le 266e pape voit la «plus haute expression» de la réforme liturgique voulue par le Concile.

Renouvelé au lendemain de Vatican II «dans la fidèle obéissance à la Tradition», le rite romain n’admet donc qu’une seule expression de la lex orandi, et non deux. Empruntant une idée déjà suggérée par Benoît XVI auparavant, le pontife argentin déclare à «ceux qui souhaitent célébrer avec dévotion selon la forme liturgique antérieure» qu’ils n’auront «aucun mal à trouver, dans le Missel romain réformé selon l’esprit du Concile Vatican II, tous les éléments du rite romain, en particulier le canon romain, qui en constitue l’un des éléments les plus caractéristiques».

L’unité de l’Église: au-delà du conflit liturgique 

Si Benoît XVI estimait, dans sa lettre aux évêques, que la crainte que l’autorité du Concile soit «amenuisée» par Summorum Pontificum était »infondée», il jugeait en revanche que la fidélité au Missel ancien n’est qu’un «signe distinctif extérieur». Pour lui, les raisons de la fracture, sont à rechercher plus en profondeur.

Ces raisons profondes sont soulevées avec force par le pape François. Rappelant les motifs évidents qui ont poussé ses prédécesseurs à concéder la possibilité d’utiliser le Missel romain de 1962, le pontife actuel fait valoir les quatorze ans d’expérience qui séparent Summorum Pontificum de son propre motu proprio. Entre-temps, la situation a changé: comme le révèlent les réponses aux questionnaire soumis en 2020 par la Congrégation pour la doctrine de la foi aux conférences épiscopales, la visée pastorale des décisions prises par Jean Paul II et Benoît XVI a été «gravement négligée».

Les soupçons de Benoît XVI quant aux véritables motifs du recours à la liturgie ancienne se trouvent confirmés par le pontife argentin. Ce dernier dénonce, chez les traditionalistes, «la relation étroite entre le choix des célébrations selon les livres liturgiques antérieurs au Concile Vatican II et le rejet de l’Église et de ses institutions au nom de ce qu’ils jugent être la «vraie Église»«. L’ »usage déformé» qui a été fait du motu proprio de Benoît XVI est «contraire aux raisons qui l’ont conduit à accorder la liberté de célébrer la messe avec le Missale Romanum de 1962».

Un renouveau dans la continuité

«Contraint de révoquer la faculté concédée par ses Prédécesseurs», le pape François trouve une justification historique de sa décision dans l’exemple-même de la promulgation du Missel de saint Pie V. Au lendemain du Concile de Trente (1545-1563), le pape Pie V s’est vu contraint d’abroger tous les rites antérieurs existants et d’établir un seul Missale Romanum pour toute l’Église latine. Durant les siècles suivants, le Missel de Pie V a été la principale expression de la lex orandi du Rite romain, «remplissant une fonction unificatrice dans l’Église».

De même, estime l’évêque de Rome, «sans vouloir contredire la dignité et la grandeur de ce rite», les évêques réunis à Vatican II ont demandé que le Missel de Pie V soit réformé, dans le sillage des propositions de Pie XII dans son encyclique Mediator Dei (1947). De la fidélité à la volonté des Pères et du rassemblement des fidèles autour d’une seule et même prière dépend l’unité du Corps du Christ, conclut le pape François. (cath.ch/imedia/at/mp)

Messe préconciliaire en rite tridentin | photo d'illustration | © James Bradley
18 juillet 2021 | 10:23
par I.MEDIA
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