Mgr Gmür au Forum sur «Evangile et prophétie»
Fribourg: Pour une nouvelle évangélisation prophétique de la Suisse
Fribourg, 2 décembre 2011 (Apic) Le 3e Forum «Eglise dans le monde», qui se tient à l’Université de Fribourg du 1er au 3 décembre, fait écho au «mouvement des indignés» qui conteste l’ordre actuel du monde. Consacré à «Evangile et prophétie – 500 ans après le sermon de l’Avent d’Antonio Montesino», ce symposium s’inspire de l’engagement du dominicain qui militait au XVIe siècle pour la défense des Indiens d’Hispaniola opprimés par l’empire espagnol.
Citant, en introduction des débats, l’essai passionné de Stéphane Hessel, «Indignez-vous !», le professeur Mariano Delgado a affirmé que le sermon prophétique de Montesino faisait partie de ces moments qui devraient rester vivants dans la mémoire collective. Cette courageuse mise en garde du prêtre dominicain sur l’île d’Hispaniola, lors de l’Avent 1511, montre qu’un christianisme «prophétique» est l’une des racines spirituelles irrécusables de notre civilisation, a lancé le doyen de la Faculté de théologie de Fribourg.
Le recteur Guido Vergauwen, saluant la présence du Père Bruno Cadoré, maître de l’Ordre des dominicains et grand chancelier de la Faculté de théologie de Fribourg, a souligné qu’»Evangile et prophétie sont des éléments essentiels de notre tradition dominicaine». Et de souligner que «face à la Loi et à l’Etat qui sont voués à l’économie dans ses effets aveugles et dominateurs, l’Eglise est appelée à proclamer prophétiquement l’économie du salut, une exigence eschatologique de paix et de justice». Le Père Vergauwen a encore exprimé le souhait que «ce Forum contribue à ce que la voix de Montesino et l’appel prophétique de l’Evangile ne restent pas sans écho dans nos déserts d’aujourd’hui».
Pour une nouvelle évangélisation prophétique de la Suisse
C’est dans le contexte d’une sécularisation des pays d’ancienne tradition chrétienne, où la foi est de moins en moins vivante, que Mgr Felix Gmür a souligné la nécessité d’une «nouvelle évangélisation prophétique» de la Suisse. Si un prochain synode des évêques sur la nouvelle évangélisation se tiendra à Rome en octobre 2012, il s’agit pour l’évêque de Bâle de bien prendre conscience de la réalité présente au plan local. S’inspirant du document «Proposer la foi dans la société actuelle», publié par Conférence des évêques français en 1996 déjà, et du «Plan pastoral de développement du diocèse de Bâle», Mgr Gmür a relevé la nécessité de s’adresser à des groupes cibles aux besoins divers. Et d’insister sur les formes nouvelles que doit prendre la proposition de la foi et sur l’importance de la diaconie.
«Nous devons évangéliser en fixant des priorités, ni en regardant vers le passé, ni en spéculant sur un avenir que nous ne connaissons pas». Mgr Felix Gmür a constaté que, depuis longtemps, on n’a plus affaire en Suisse à une «Eglise multitudiniste» (»Volkskirche»), où tout le monde faisait partie d’une communauté imprégnée de culture chrétienne. La foi était alors transmise de façon toute naturelle. L’urbanisation du pays a brutalement accéléré le phénomène de sécularisation.
De plus, il existe en Suisse un phénomène socioculturel qui a de profondes racines dans l’histoire: «Tout le monde croit qu’il est compétent sur tout, le Suisse est capable de discuter de tout». Ce qui ne rend pas la tâche de l’Eglise plus facile….
Certes, a-t-il relevé, les enquêtes montrent que l’intérêt pour la religion est toujours là, mais le fait religieux se décline de moins en moins dans l’institution. L’Eglise atteint peu les plus jeunes. «A la messe, on voit surtout les plus de 65 ans». Même des fêtes importantes dans les familles, comme un baptême par exemple, sont concurrencées par les activités de loisirs…
La multiculturalité, une chance pour l’Eglise suisse
On constate ainsi un changement de paradigme. Le lien social est devenu plus faible, et ce retrait sur la sphère privée touche également les autres institutions dans la société. Passant d’une Eglise de la majorité à une Eglise de personnes engagées, on est désormais face à une pluralité d’expressions religieuses. Mgr Gmür a alors souligné les chances qui s’offrent, à l’ère de la globalisation, à cette Eglise suisse caractérisée par la multiculturalité. «Les migrants amènent beaucoup de vie dans l’Eglise». 30% des catholiques ont un arrière-plan de migration, avec des jeunes biculturels, voire transculturels.
Dans cette nouvelle réalité, l’Eglise doit être exemplaire. «L’Eglise est crédible là où ses représentants sont crédibles», relève l’évêque de Bâle, en reconnaissant la fatigue et «l’embourgeoisement» d’une minorité d’assistants pastoraux et de prêtres «à la mentalité de fonctionnaires».
Mgr Gmür estime que les pasteurs ne doivent pas répandre des théories sur Dieu, mais témoigner de Dieu. Il est plus facile de connaître Dieu par l’expérience qu’intellectuellement. L’Eglise doit donc changer sa manière de parler, car nombreux sont ceux qui ne comprennent plus ce qu’elle veut dire. «Les prophètes allaient vers les gens, là où ils étaient, en parlant la langue des gens».
Notons que le 3e Forum de Fribourg «Eglise dans le monde» (Cf. www.unifr.ch/ird) présente toute une palette de conférenciers de haut niveau, comme le Père Bruno Cadoré, grand chancelier de la Faculté de théologie, qui a parlé jeudi soir de l’Evangile et de la prophétie dans la tradition dominicaine, ou Mgr Raul Vera, évêque dominicain de Saltillo, au Mexique, qui parle sur «Evangile et prophétie en Amérique latine». Le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens et ancien évêque de Bâle, parlera samedi matin 3 décembre de l’Evangile et de la prophétie dans l’enseignement des papes depuis le Concile Vatican II. JB
Encadré
Dans le cadre du 3e Forum «Eglise dans le monde», la Faculté de théologie a décerné vendredi 2 décembre son Prix «Las Casas», du nom de l’évêque Bartolomé de Las Casas (1484-1566), frère dominicain et fameux défenseur des Indien. Il a été remis au théologien Patrick Huser, de Kerns (canton d’Obwald), qui travaille comme délégué du CICR à Kaboul. Il visite les prisonniers de guerre en Afghanistan. Ancien étudiant en théologie de l’Université de Fribourg, il a été honoré pour une thèse sur la pensée de Las Casas en matière de droit international et ses fondements canoniques, obtenue à la Faculté de théologie de Lucerne.
Patrick Huser ne pouvant être présent à Fribourg, c’est son directeur de thèse, le professeur Adrian Loretan, professeur de droit canonique et ecclésiastique de l’Université de Lucerne, qui a reçu cette distinction au nom de son ancien élève. (apic/be)