Mgr Raymond Poisson est président de la Conférence des évêques catholiques du Canada depuis 2021 | © Michael_Swan/Flickr/CC BY-ND 2.0
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Mgr Poisson décrypte les enjeux du voyage du pape au Canada

Préparatifs, attentes des peuples autochtones, perspectives d’avenir… Mgr Raymond Poisson, président de la Conférence des évêques catholiques du Canada, revient sur les enjeux du voyage apostolique du pape François au Canada (24-30 juillet 2022). Un déplacement moins axé sur «la formulation d’excuses» que sur «la réalisation de gestes concrets de réconciliation», explique l’évêque de Saint-Jérôme et de Mont-Laurier.

Qu’attend l’Église au Canada de ce voyage?
Raymond Poisson: Pour nous, et c’est l’intention du pape aussi, ce voyage est une nouvelle étape après la visite de la première délégation à Rome, en mars-avril dernier, avec quelque 150 frères et sœurs autochtones. Cela a donné l’occasion au pape d’entendre les témoignages mais aussi de s’unir aux évêques du Canada en livrant des excuses pour des erreurs commises par des membres de l’Église catholique dans la gestion des écoles résidentielles.

Cette nouvelle étape n’est pas tant axée sur la formulation d’excuses que sur la réalisation de gestes concrets de réconciliation dans cette marche que nous poursuivons avec nos frères et sœurs autochtones, pour le bien de toute la société canadienne. L’Église catholique fait office ici de leader dans la question de la réconciliation.

Quels sont les points d’attention de l’organisation?
Dans l’itinéraire du Saint-Père, beaucoup d’espace est réservé à des moments de rencontre avec les autochtones. La préparation a été faite en lien avec les organismes nationaux autochtones officiels. Dans chacun des rassemblements, il y a un pourcentage qui se veut représentatif de la présence des autochtones dans la population générale.

De grands rassemblements auront lieu, à Lac Ste-Anne le 26 juillet pour la fête de sainte Anne, et le 28 juillet au sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré, au Québec. Ce sont deux lieux importants, à la fois pour les autochtones et les non-autochtones, en raison de la figure de la grand-mère de Jésus.

«Le pape a décidé dans son for interne d’aller jusqu’au bout de sa mission, et nous prenons ça comme un cadeau»

Le Saint-Père aura deux lieux de résidence à partir desquels il pourra rayonner: nous avons choisi Edmonton dans la province de l’Alberta, province de l’ouest qui a la plus grande concentration d’autochtones et qui a eu le plus grand nombre d’écoles résidentielles dans l’histoire canadienne. Et puis Québec, qui est le siège de la fondation de l’Église en Amérique. Avec ces villes, le pape verra les deux réalités, anglophone – dans l’ouest – et francophone – dans l’est. Ce qui n’est pas simple, car voyager au Canada, c’est se déplacer dans un espace plus vaste que l’Europe!

Quelles précautions sont prises pour la santé du pape, qui s’est vu contraint d’annuler des déplacements ces derniers mois?
Nous réservons au Saint-Père des déplacements réduits. Nous avons favorisé des grands rassemblements à l’intérieur, sans avoir à monter de podium extérieur. En outre, la pandémie n’étant pas terminée, on privilégie la participation par le biais des médias. Comme de coutume, le Saint-Père se déplacera avec une suite de 35 personnes. Il y aura ses médecins, sa sécurité. Nous demeurerons à Edmonton au grand séminaire, et à Québec à l’archevêché, tout est équipé.

Ce voyage est évidemment un gros effort pour le pape – rien que de rester assis 7 ou 8 heures dans un avion sera difficile pour lui. Mais il y tient, il a décidé dans son for interne d’aller jusqu’au bout de sa mission et nous prenons ça comme un cadeau.

Qui sont les peuples autochtones que le pape rencontrera?
Il existe trois grands groupes: les Métis, les Premières nations et les Inuits. Les Métis et les Premières nations résident un peu partout dans le sud du pays. Les Inuits ont pour territoire le grand nord. Pour les rencontrer, le pape a accepté très généreusement de faire une halte à Iqaluit, une petite ville (entre 7’000 et 8’000 habitants, ndlr) qui est la capitale de leur territoire, avant de rentrer à Rome.

Le pape se rendra dans la ville d’Iqaluit, au nord du Canada | © Johannes Zielcke/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0

Chez nos frères et sœurs autochtones, il y a énormément d’intérêt pour cette visite. Un intérêt qui n’a cessé de grandir depuis deux ans et demi, lorsque j’ai parlé pour la première fois au Saint-Père de la venue d’une délégation à Rome et d’un voyage de sa part, en décembre 2019. Le pape a été très intéressé par cette pédagogie. Sa venue sur place est d’ailleurs l’un des appels du rapport de la Commission de vérité et de réconciliation du gouvernement (active entre 2008 et 2015, ndlr).

Pouvez-vous nous décrire l’Église catholique au sein de la société canadienne?
Le Canada compte 10 provinces, avec des territoires, des cultures très différents. Du côté du Canada français, au Québec et dans l’Atlantique, il y a une situation de respect mutuel, d’accueil, d’ouverture, de dialogue. Depuis les années 60-70, on peut voir au Québec une certaine idée de la laïcité qui considère le phénomène religieux comme quelque chose de privé, qui ne peut pas s’exprimer en société, sur la place publique.

Au Québec, de tradition, tout le monde ou presque est catholique. Il y a 70-75 % de baptisés mais seulement 2% viennent tous les dimanches à l’église. Mais nos jeunes populations de souche conservent toujours un œil et un cœur favorables à leur Église. De plus en plus de familles demandent le baptême de leur bébé, c’est notable, ils font un choix préférentiel pour les valeurs de l’Évangile. Ce qui ne veut pas dire qu’ils pratiquent très souvent.

«Nous ne connaissons pas beaucoup nos frères et sœurs autochtones et vice-versa.»

C’est un défi d’accueillir ce monde-là, qui cherche. Les vocations sont rares. Les prêtres étrangers nous rendent un grand service mais ce n’est pas la solution de l’avenir. Une Église doit être capable de se donner elle-même ses ressources, sinon c’est une Église qui vieillit et qui disparaît.

Le pape rencontrera aussi le Premier ministre Justin Trudeau, dont les positions sur certains thèmes sociétaux comme l’aide médicale à mourir, l’avortement, la question du genre, donnent lieu à des différends avec l’Église.
Monsieur Trudeau est un politicien. Mais même dans son discours officiel, quand il y a eu la découverte des cimetières dans les écoles résidentielles [les pensionnats autochtones, ndlr], il a été le premier à dire au micro devant tous les médias: «Je suis catholique et ça me fait mal, ça me fait souffrir». Chez nos compatriotes, comme chez les Occidentaux vivant en 2022, on ressent une affection pour l’Église et en même temps une indépendance, une critique à l’égard de l’institution. Les Canadiens sont un peu déchirés entre les valeurs du monde contemporain et celles de l’Église. Il y a un fossé qui se creuse. Mais à mon sens il n’y aura pas d’échange sur ces sujets de société entre Monsieur Trudeau et le pape François, sinon en privé.

Au Québec, nous avons tourné la page des débats, mais pas baissé les bras. On sait ce que l’Église pense, mais elle accueille; elle ne juge pas, elle n’impose pas à l’ensemble de la société. Prenons l’exemple de l’aide médicale à mourir, qui est toujours présentée comme étant un acte de compassion. Si je dis que j’y suis opposé, je suis vu comme dénué de compassion. Ce n’est pas le temps d’argumenter, nous ne sommes pas dans les bonnes circonstances. Notre rôle est de concentrer nos efforts, notre énergie dans les soins palliatifs, pour être présents, pour accompagner, chérir, calmer, et laisser la vie aller son cours.

Et après la visite du pape, quelles sont les perspectives?
Nous ne connaissons pas beaucoup nos frères et sœurs autochtones et vice-versa. Nous avons pensé à diverses initiatives qui vont nous permettre de construire une société différente, j’espère pour le meilleur. Nous avons mis sur pied un fonds de 30 millions de dollars canadiens – ce qui est beaucoup pour l’Église du Canada – pour des projets de réconciliation avec nos frères et sœurs autochtones. Il s’agit de mieux se connaître, à travers des échanges de culture, des projets de monuments, d’avenir. Après le voyage, nous lancerons cela. (cath.ch/imedia/ak/rz)

Mgr Raymond Poisson est président de la Conférence des évêques catholiques du Canada depuis 2021 | © Michael_Swan/Flickr/CC BY-ND 2.0
17 juillet 2022 | 17:00
par I.MEDIA
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