Un pays délabré Dans une rue de Douala | © Jacques Berset
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Mgr Samuel Kleda demande de sauver le Cameroun «de sa mort lente»

A l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 2025, Mgr Samuel Kleda alerte sur le climat social délétère qui prévaut au Cameroun. Dans sa lettre pastorale rendue publique le 8 aout 2025, l’archevêque métropolitain de Douala appelle à une prise de conscience générale de tous les acteurs sociaux «en vue de réconcilier les cœurs et de normaliser la vie sociale».

L’élection afin d’élire le président de la République du Cameroun a lieu le 12 octobre 2025. Âgé de 92 ans, vieil homme à la santé chancelante, Paul Biya est à la présidence du Cameroun de manière ininterrompue depuis novembre 1982. Il prétend se représenter pour un huitième mandat, porté par son groupe de partisans.

Un pays «malade dans tous les domaines»

Mgr Samuel Kleda est l’une des voix qui, face à un pays «malade dans tous les domaines», alerte sur «les signes avant-coureurs de la mort lente du pays». Il dénonce les «souffrances atroces qui frappent particulièrement les plus pauvres et les plus faibles, pris en otage par des chaînes de la corruption et de l’injustice».  

Dans sa lettre pastorale, l’archevêque de Douala rappelle que choisir un président de la République est un devoir citoyen qui engage l’avenir de tout un pays. Il considère ce devoir comme étant une voie inévitable pour «poser les jalons d’une société nouvelle et prospère, fondée sur la paix et la justice, et tournée vers le bien-être de nous tous».

Invitation «à un changement de mentalité et d’attitude»

Le peuple camerounais va aux urnes dans un contexte marqué par de multiples maux qui l’affligent. Le message de Mgr Kleda est d’abord une invitation «à un changement de mentalité et d’attitude, à une transformation intérieure profonde, à un nouveau cheminement et à un renouvellement de notre vie pour être des artisans de paix» (Mt 5, 9).  

Mgr Kleda pointe du doigt ce qui ronge le pays et provoque «un mécontentement généralisé dans les cœurs des citoyens en cette période préélectorale». Il s’agit «des actes anti évangéliques qui sont institués dans la gestion de notre pays».

Des actes anti évangéliques à la base du malaise

L’archevêque de Douala dresse une liste de ces malaises: la mauvaise gouvernance et la corruption; la démocratie dévoyée; la pauvreté généralisée et le chômage; l’immigration clandestine; le délabrement du réseau routier; l’accès difficile à l’eau et à l’électricité; la gestion nébuleuse du pétrole; les injustices dans l’exploitation minière; les crises dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et sécuritaire à l’Extrême Nord, où sévissent les djihadistes de Boko Haram.

Le constat est amer. «A maintes reprises, nous avons dénoncé la corruption dans notre pays, sans qu’une action efficace des pouvoirs publics soit mise en place en vue de son éradication». 

L’élite se gave quand «la grande majorité de citoyens crève de faim»

Mgr Kleda regrette que ce fléau soit présent dans tous les domaines de la vie sociale jusque dans la vie ordinaire: l’administration, l’éducation, la finance, les marchés publics, l’armée, la police, la gendarmerie, la justice, la religion, la santé publique. 

Il déplore également le pillage et le gaspillage des ressources publiques qui servent à entretenir un «train de vie exponentiel des membres du gouvernement, alors qu’une grande majorité de citoyens crève de faim».

Accroissement des inégalités sociales

La pauvreté au Cameroun est un facteur très préoccupant. Mgr Kleda constate que la fracture entre les gouvernants et les citoyens se creuse chaque jour, «à cause de l’accroissement des inégalités sociales, le refus de promouvoir un développement humain intégral profitable à tous». Pour lui, le défi les dirigeants camerounais doivent relever réside dans « le respect et la mise en application de la notion du bien commun ». Concrètement, il va falloir que les richesses nationales profitent à tous les citoyens. Mgr Kleda dénonce en outre le scandale de la misère d’une majorité des Camerounais face à l’opulence arrogante d’une minorité.

Le verdict est sans appel pour Mgr Kleda qui constate que le citoyen camerounais n’est plus au cœur des préoccupations de ses dirigeants. Par contre, «l’accent est plutôt mis sur l’individu, le groupe, le clan, l’ethnie, le lobby». Cet état de chose sacrifie la majorité de la population, la poussant vers la paupérisation et la misère qui détruit le Cameroun et hypothèque «l’avenir des millions de personnes, surtout des jeunes».  

Non à une démocratie dévoyée

La tolérance, le dialogue, la transparence, la justice et la vérité font partie du jeu démocratique. Mais cela n’est pas une réalité au Cameroun, dénonce Mgr Kleda, qui affirme que la démocratie dans ce pays est «entachée par la violence institutionnelle, les intimidations, l’absence de transparence, de vérité et de justice».

Pour lui, une démocratie où «les acteurs politiques sont méprisés, brutalisés, embastillés, est vouée à l’échec». En même temps, il fustige le fait que «les acteurs politiques camerounais ne dialoguent pas», ce qui ne permet pas «de consolider le vivre – ensemble dans la paix».

L’immigration clandestine: douloureux exode des cerveaux 

Face à avenir sans perspectives, la jeunesse camerounaise se voit contrainte de partir «vers d’autres cieux à la recherche d’un emploi décent et de meilleures conditions de vie et d’éducation que leur pays, le Cameroun, ne peut leur offrir».

L’archevêque de Douala déplore que «cet exode des cerveaux vide notre pays, des jeunes intelligents, qualifiés, des scientifiques, des ingénieurs, des professionnels de la santé au profit des pays offrant de meilleures conditions de vie et de travail». Les jeunes camerounais qui s’engagent sur les chemins de l’immigration périssent dans la mer. Ces morts, décrète Mgr Kleda, non sans regret, «l’histoire les portera un jour dans la conscience des gouvernants».

Une gestion opaque des ressources

Bien que le Cameroun regorge d’énormes potentialités hydrauliques, l’accès à l’eau potable est encore loin d’être satisfaisant dans le pays. Même constat en ce qui concerne l’électricité. Cette carence, s’indigne Mgr Kleda, contraste for malheureusement avec «de nombreux projets de développement énergétique, tels que les barrages hydroélectriques» qui ont été conçus «pour enrichir les fonctionnaires véreux à travers les rétrocommissions».

Il y a un grave manque de transparence dans la gestion des différentes ressources du pays. Mgr Kleda constate par exemple que la gestion du pétrole camerounais reste «tout un mystère, car le domaine des hydrocarbures est confisqué par un groupe d’individus qui s’attribue des marchés d’exploration, de forage, les contrats pétroliers, la commercialisation».

Revenus pétroliers confisqués

Il dénonce cette pratique qui nuit au développement économique et social du pays, car les revenus pétroliers ne profitent pas équitablement à toute la population. Mgr Kleda trouve inadmissible le fait que les hydrocarbures soient, «non pas au service de l’économie nationale, mais, la chasse gardée d’un cercle restreint du pouvoir politique qui s’attribue les marchés, les postes et s’arroge tous les droits et privilèges alors que la majorité croupit dans la misère». Il en va de même du secteur minier.

La violence subsiste dans les régions anglophones

Des violences meurtrières, entre l’armée et les rebelles séparatistes, subsistent dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun. La crise anglophone qui a éclaté en 2017, depuis que des groupes paramilitaires indépendantistes ont décrété la naissance de l’État fédéral d’Ambazonie.

Depuis octobre 2017, les régions anglophones ont plongé dans un chaos effrayant qui, en quelques années, a causé des milliers de morts, un grand nombre d’enlèvements et quelque 800’000 déplacés, faisant de cette zone le théâtre d’une des crises les plus graves et les plus ignorées au monde.

Mgr Andrew Nkea Fuanya, président de la Conférence épiscopale et archevêque de Bamenda |  © Jacques Berset

Terreur de Boko Haram dans l’Extrême Nord

Dans ces régions anglophones, il y a d’une part, les «Amba Boys», qui «tuent, commettent des attentats, agressent et kidnappent», et d’autre part, il y a «la brutalité de l’armée, qui rase des villages entiers pour un simple soupçon de soutien (apporté à l’ennemi)». Entre les deux, une population civile qui vit dans la terreur depuis des années, déplore Mgr Andrew Nkea Fuanya, président de la Conférence épiscopale et archevêque de Bamenda, chef-lieu du département de la région du Nord-Ouest.

Dans l’Extrême Nord du Cameroun, le groupe terroriste de la secte Boko Haram sème terreur et désolation. Face à ces situations extrêmement douloureuses et inquiétantes, Mgr Kleda demande au gouvernement de n’épargner aucune mesure pour «réinstaurer la paix dans toutes les régions en crise».  (cath.ch/vaticannews/be)

Un pays délabré Dans une rue de Douala | © Jacques Berset
10 août 2025 | 10:14
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 6  min.
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