Missionnaire au «Pays du ciel bleu»

Mongolie: Rencontre avec Mgr Wenceslao Padilla, préfet apostolique d’Oulan-Bator

Lucerne, 17 mars 2014 (Apic) Quand trois Pères de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie (CICM) débarquent en été 1992 à Oulan-Bator, capitale d’une Mongolie émergeant de sept décennies de régime communiste, «il n’y avait plus aucune structure catholique ni même aucun souvenir d’une présence catholique quelconque», témoigne Mgr Wenceslao Padilla, un missionnaire philippin âgé de 64 ans. Le préfet apostolique d’UB – comme on a l’habitude de nommer Oulan-Bator – était de passage en Suisse du 8 au 16 mars 2014 à l’invitation d’»Aide à l’Eglise en Détresse» (AED), une œuvre d’entraide catholique basée à Lucerne.

Venant de sa mission de Taipei (Taiwan), le Père Padilla débarquait alors en pleine «terra incognita» en Mongolie, cet immense pays de 1’564’116 km² et de trois millions d’habitants appelé poétiquement le «Pays du ciel bleu». Il était accompagné de deux autres confrères «scheutistes» (du nom de Scheut, un quartier d’Anderlecht, en Belgique, où fut fondée la congrégation, ndlr), son compatriote, le Père Gilbert Sales, alors âgé de 30 ans, et l’aîné de l’équipe, Robert Goessens, un Flamand de 64 ans. Leur mission: faire naître de zéro une communauté catholique au pays de Gengis Khan, le mythique fondateur de l’Empire mongol.

22 ans après, quelque 920 catholiques mongols ont été baptisés, mais une partie d’entre eux ne fréquentent plus l’Eglise: soit ils ont émigré, soit ils ne sont plus intéressés et ne cherchent plus le contact.

Dans les premiers temps, avec l’ouverture du pays, note l’évêque missionnaire, beaucoup s’approchaient de l’Eglise afin d’obtenir une aide pour étudier à l’étranger ou se faire soigner en Chine ou en Corée. Maintenant, ils passent le plus souvent par les ONG. De plus, l’Eglise catholique ne fait pas de prosélytisme et insiste sur l’importance de la préparation au baptême et de la formation catéchétique. Chaque année, une cinquantaine de personnes sont baptisées, essentiellement à Pâques et à Noël. Les Eglises évangéliques et les sectes, par contre, se développent beaucoup plus vite. Les chrétiens évangéliques sont déjà de 50 à 60’000 dans tout le pays. Les relations avec les religions traditionnelles, bouddhisme, chamanisme et islam, ainsi qu’avec les autres communautés religieuses, sont bonnes. Traditionnellement, le 21 septembre, Journée internationale de la paix décrétée par l’ONU, les diverses religions se rencontrent sur la place Gengis Khan à UB.

Apic: L’Eglise catholique semble se développer très lentement dans ce pays dont les racines puisent dans la tradition bouddhiste tibétaine et le chamanisme …

Mgr Padilla: Effectivement, l’Eglise de Mongolie est encore très jeune, et doit avant tout compter sur une septantaine de missionnaires étrangers, dont 20 prêtres. Les missionnaires, appartenant à 11 congrégations religieuses, viennent de 21 pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du Sud et d’Europe (Pologne, Italie, France, Belgique, Autriche). Nous comptons également 4 missionnaires laïcs venant du Japon, de Pologne et de Corée. Il est encore trop tôt pour ouvrir un séminaire.

Deux jeunes Mongols sont intéressés à devenir prêtres. L’un d’entre eux, qui étudie au séminaire de Daejeon, en Corée du Sud, sera ordonné diacre en décembre prochain et ordonné prêtre en 2016. L’autre est en deuxième année de philosophie.

Nombre de fidèles qui fréquentent la messe sont des étrangers: ils travaillent pour les ONG, les ambassades ou les entreprises étrangères qui sont nombreuses dans les activités minières. La prospection et l’exploitation minières – or, cuivre, uranium et charbon – sont aux mains d’importantes compagnies étrangères.

Les investisseurs étrangers sont nombreux, comme le groupe industriel français AREVA, leader mondial du nucléaire, la canadienne Ivanhoe Mines Ltd (désormais Turquoise Hill Resources), qui exploite la mine de cuivre et d’or d’Oyou Tolgoï, dans le désert de Gobi, ou le géant minier anglo-australien Rio Tinto. La multinationale affirme que lorsque l’exploitation fonctionnera à pleine capacité dans les cinq à six prochaines années, elle représentera près du tiers du PIB de la Mongolie…

Apic: On assiste donc à un développement à marche forcée!

Mgr Padilla: Effectivement, ces dernières années, UB a tellement changé! On ne reconnaît plus la ville, avec ses grands immeubles et son trafic étouffant. Presque toutes les familles ont une voiture, car elles ont un membre qui travaille à l’étranger et qui leur envoie de l’argent.

Désormais, en ville, on trouve des restaurants de tous les pays, en raison de la présence de nombreux étrangers, experts, directeurs de compagnies, ingénieurs… Les prix y sont presque aussi élevés qu’en Suisse, donc inabordables pour une très grande partie de la population locale. Nous sommes désormais dans une économie de marché globalisée. Beaucoup de biens sont importés de Chine et de Russie.

On assiste par ailleurs à une importante migration des campagnes vers les centres urbains. La population est de plus en plus urbanisée, près de la moitié vivant dans la capitale et les centres provinciaux. Les nomades ont vu à plusieurs reprises leurs troupeaux décimés par le «dzud», un hiver particulièrement rigoureux qui ne permet pas au bétail de trouver sa nourriture à travers la neige.

Alors les nomades, qui vivent dans leur yourte (ou ger, tente de feutre ronde si typique des steppes mongoles), se rapprochent des villes pour trouver du travail ou vont travailler dans les mines. Même s’il y a encore beaucoup de pauvres, il y a davantage d’emplois disponibles et le chômage a baissé. On rencontre moins d’enfants dans les rues qu’il y a dix ans. Ils sont désormais recueillis dans des centres gérés par des privés ou par le gouvernement. L’Eglise en possède deux, ainsi que deux établissements pour personnes âgées tenus par les Missionnaires de la Charité de Mère Teresa.

Apic: Quelles sont les conséquences de ce boom économique pour l’Eglise ?

Mgr Padilla: Si le pays est riche – et les élites le font sentir -, la majorité des gens sont toujours pauvres. La plupart ne sont pas prêts pour ce développement si rapide, cela va trop vite! Beaucoup de familles vivent à crédit et sont très endettées, prises par le cercle vicieux de la société de consommation. Les catholiques changent aussi, ils deviennent matérialistes et n’ont plus le temps de venir à la messe.

Comme tout le monde, ils pensent à leur carrière et veulent gagner de plus en plus d’argent. Cela touche même les collaborateurs de l’Eglise. Nous constatons que la motivation a baissé chez les premiers baptisés.

En général, on peut dire que les Mongols – grâce aux richesses de leur sous-sol – se sentent désormais très forts. Certains sont devenus orgueilleux, voir arrogants. Quant aux jeunes, ils veulent partir, ils rêvent d’Amérique ou d’Europe. C’est devenu plus difficile pour l’Eglise: maintenant, seuls les pauvres viennent à nous. Mais je suis très heureux, car comme le pape François, je pense que l’Eglise doit être pauvre et pour les pauvres! Malgré tout, l’Eglise en Mongolie a toujours besoin d’aide: elle vit grâce aux dons de Missio, de la Kindermission-Aachen, à Aix-la-Chapelle, et de l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Encadré

Eduquer les plus petits, pour changer la mentalité ambiante

Dans une interview accordée à l’Apic en 2005, Mgr Wenceslao Padilla développait l’idée, dans le but d’améliorer le niveau d’éducation dans le pays, de mettre en place un parcours de formation partant de l’école élémentaire, passant par le secondaire et le collège, jusqu’à l’Université catholique. Il estime désormais qu’il faut d’abord partir des plus jeunes, de l’école maternelle et du primaire, avant d’aller plus loin. Actuellement, les écoles catholiques accueillent près de 500 enfants, dont beaucoup ne sont pas catholiques.

«Il faut commencer avec les plus petits, afin de changer la mentalité. Nous avons dans nos écoles des enfants de 3 à 5 ans, et dès cet automne, nous offrirons l’école primaire. J’ai demandé aux sœurs salésiennes de Don Bosco, de la province coréenne des Filles de Marie Auxiliatrice (FMA), de s’en occuper». L’Eglise de Mongolie a mis sur pied d’autres petites écoles, comme celle des Sœurs de Saint Paul de Chartres.

L’idée de fonder un Collège et ensuite une Université catholique est toujours dans l’air. Mgr Wenceslao Padilla a déjà contacté le Père Adolfo Nicolas, Supérieur général des jésuites à Rome. «Il s’est montré ouvert, mais m’a demandé de commencer par l’école primaire!» Du côté du gouvernement, souligne l’évêque d’Oulan Bator, la liberté religieuse est garantie. Cependant, la législation actuelle prévoit un système de quota pour les étrangers travaillant en Mongolie: pour 25 étrangers actifs dans le pays, la règle prévoit qu’il faut employer 75 Mongols. L’Eglise catholique devrait donc en principe en engager une soixantaine de plus qu’actuellement, mais n’a pas l’argent pour assurer leur salaire. «Si le gouvernement met son règlement en application, 13 missionnaires devront partir!» JB

Encadré

Mgr Padilla, une carrière chez les scheutistes

Mgr Padilla est entrée chez les «scheutistes» – une congrégation fondée au 19e siècle à Scheut, près de Bruxelles, par le Belge Théophile Verbist – parce que dans sa ville de Tubao-La Union, le curé de paroisse était un scheutiste. Après son passage à l’école élémentaire catholique, Wens Padilla a poursuivi ses études au petit séminaire de Baguio City, puis au grand séminaire. Après son noviciat chez les CICM à Manille, il a été accepté au sein de la congrégation. Il a d’abord été directeur des vocations des scheutistes, dans la partie septentrionale des Philippines, tout en enseignant la philosophie au Mary Hurst Seminary. Il est ensuite parti comme missionnaire à Taiwan, où il est resté 15 ans, avant de choisir un nouveau terrain de mission en 1992: la Mongolie. JB

Des photos de Mgr Wenceslao Padilla sont disponibles auprès de l’apic au prix de 80.– la première, 60 les suivantes. (apic/be)

Pour en savoir plus: https://www.facebook.com/KircheInNotCHFL

17 mars 2014 | 17:47
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 7 min.
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