«Mixité et péché sont intimement liés»
Egypte: Les salafistes dessinent les contours d’un Etat islamique
Le Caire, 13 janvier 2012 (Apic) Les salafistes, la frange la plus extrémiste des musulmans égyptiens, qui ont remporté entre 24 et 25% des suffrages aux dernières législatives, dessinent un Etat islamique, dénonce le journal «Egypt Independent». Les islamistes, à la veille du 1er anniversaire des manifestations du 25 janvier qui ont fait tomber le régime, multiplient les déclarations inquiétantes pour la population laïque. Les salafistes jouissent désormais, d’une légitimité politique plus grande depuis les élections législatives.
Abdel Moneim al-Shahat, important responsable du parti Al-Nour, d’orientation salafiste et porte-parole du mouvement à Alexandrie, a déclaré le 12 janvier à la télévision que l’islam interdisait de saluer les chrétiens coptes à l’occasion de leurs fêtes.
«Slate Afrique», un journal en ligne, spécialisé sur l’Afrique, citant «Egypt Independent», rapporte qu’ils réclament la fin des cimetières mixtes, de sorte que les hommes et les femmes soient enterrés dans des endroits séparés.
Des cimetières pour les hommes et des autres pour les femmes…
L’un des députés du mouvement nouvellement élu a prôné l’application des lois islamiques au système bancaire, qui interdirait des investissements dans les alcools, les jeux d’argent ou tout autre activité bannie par l’islam. La vente d’alcool, le port de tenues indécentes des femmes sur les plages seraient également prohibés.
«Mixité et péché sont intimement liés», ont estimé ces extrémistes. Ils veulent donc cloisonner l’espace public, afin d’éviter la rencontre des deux sexes.
«Ils veulent même interdire les visites de sites archéologiques où les statues sont nues», s’est indigné un professionnel du tourisme, qui a participé à une manifestation en décembre avec d’autres, au pied des Pyramides, pour tirer la sonnette d’alarme. Les hommes ne sont pas complètement épargnés par les salafistes, qui veulent leur interdire de porter une cravate. Les coiffeurs ne doivent pas raser la barbe des hommes, selon leur plan.
Ce sont surtout les femmes qui sont visées. Pas question qu’elles mettent un pantalon, «à moins qu’elles ne soient en compagnie de leur mari, frères ou père». Les fous de Dieu ont cependant déclaré qu’ils ne forceraient pas une femme à porter le niqab, le voile intégral. Ce qui n’exclut cependant pas l’obligation qui leur sera faite de porter un foulard sur les cheveux. Ils considèrent aussi le maquillage, les parfums et autres accessoires féminins comme de l’adultère, n’autorisant tout au plus que l’usage du kôhl pour le maquillage, mais seulement à la maison.
Crainte dans les milieux touristiques
Toutes ces mesures commencent à faire peur aux banquiers et aux guides touristiques, qui pensent aux conséquences qu’aurait un Etat islamiste pour cette importante branche de l’économie égyptienne. Dans ce cas, le secteur touristique serait le secteur le plus touché. Il emploie environ 12% de la population. «C’est la première source de devises du pays, avec 14 milliards de dollars en 2010».
Le ministre égyptien du Tourisme, Mounir Fakhri Abdel-Nour, s’inquiète déjà des répercussions possibles. «La chute des recettes touristiques, environ 2 milliards et demi de dollars de janvier à fin mai, a contribué à la baisse des avoirs en devises de l’Egypte, qui sont passés depuis la révolution de 36 à 20 milliards de dollars». Une écrivaine égyptienne, Fatma Naout, a fustigé l’»obsession du corps féminin» chez les salafistes.
Selon un décorateur égyptien, cité par Slate Afrique, «les représentants des salafistes qui parlent à la télévision se concentrent trop sur le sexe et les tentations sexuelles». Ils doivent s’intéresser plutôt à l’honnêteté dans les affaires et à la propreté des rues, a-t-il préconisé. Dans une lettre ouverte publiée dans le quotidien égyptien «Al Masri El Youm» le 12 décembre dernier, Fatma Naout, s’interroge si «dans le cerveau d’un salafiste, il y a autre chose que les femmes?»
«Toutes les fatwas salafistes se résument en une idée et une seule, que les femmes rejettent: à savoir qu’une femme n’est qu’un corps, une enveloppe charnelle non douée de raison, un instrument de plaisir, un foyer de tentation ambulant». En conclusion, a-t-elle lancé aux salafistes: «Pourquoi n’enterrez-vous vivantes, les femmes pour avoir la paix?»
Promotion de la Vertu et Prévention du vice
Par ailleurs, des femmes qui organisaient un salon de beauté à Benha, dans le delta du Nil, ont chassé des salafistes qui, dans une démarche semblable à celle de la police des mœurs en Arabie Saoudite, étaient descendus dans les lieux, pour vérifier si l’établissement était conforme à la loi islamique sur les femmes, a rapporté «al Arabiya», cité par «Slate Afrique». Mais au lieu de se conformer aux demandes des salafistes ou d’appeler à l’aide, les femmes ont pris les choses en mains et les ont bouté hors du salon. Les salafistes ont été battus à coups de canne et expulsés du salon, devant une foule de badauds étonnés. D’autres inspections étaient par ailleurs organisées dans d’autres commerces pour vérifier également s’ils étaient bien «halal».
Ce même groupe aurait également détruit des décorations de Noël, jugeant les festivités «haram», c’est-à-dire interdite selon l’islam. Ce groupe de justiciers moralisateurs s’est réuni au sein d’un comité, qu’ils ont dénommé groupe pour la Promotion de la Vertu et de la Prévention du vice. (apic/ibc/be)