Le siège de Protestinfo, au Chemin des Cèdres, à Lausanne | © ProtestInfo
Suisse

Mobilisation contre les licenciements à ProtestInfo

Le récent licenciement des deux journalistes de l’agence de presse protestante romande ProtestInfo fait des vagues. Une centaine de personnalités principalement du monde protestant ont signé une lettre ouverte fustigeant une atteinte à la liberté de la presse.

«C’est avec inquiétude, consternation et tristesse que les soussignés ont appris la décision du Conseil exécutif de la Conférence des Églises romandes (CER) mettant fin aux rapports de travail avec les deux journalistes de ProtestInfo, Anne-Sylvie Sprenger et Lucas Vuilleumier», relève la lettre ouverte adressée au Conseil exécutif de la CER et au Conseil Synodal de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV). Le texte, rendu public le 20 octobre 2025, a été paraphé par plus de cent personnalités protestantes de Suisse romande, notamment issues des milieux académiques et médiatiques. Y figurent des noms bien connus, tels que celui de la journaliste Isabelle Falconnier, directrice exécutive du Club suisse de la presse, de Denis Müller, professeur honoraire à l’Université de Genève, de Michel Grandjean, autre professeur honoraire à l’Université de Genève, ou encore d’Isabelle Moncada, journaliste à la RTS.

Quel équilibre entre liberté éditoriale et responsabilité institutionnelle?

La lettre ouverte réagit aux licenciements d’Anne-Sylvie Sprenger et de Lucas Vuilleumier, annoncés mi-octobre 2025. Le texte, véhément, parle de décision «brutale», «irresponsable», voire «inique» de la part des décideurs protestants.

Yves Bourquin, référent pour le département médias au sein de la CER, a expliqué dans un communiqué que la décision découlait «d’une divergence persistante quant à la manière d’assurer la mission de Protestinfo dans son équilibre entre liberté éditoriale et responsabilité institutionnelle». Il a ainsi démenti qu’il s’agisse «d’un désaccord sur le droit légitime d’investigation journalistique».

Les signataires de la lettre assurent en tout cas que les licenciements n’ont rien à voir avec l’engagement ou la compétence des deux journalistes. «Tous les lecteurs de la presse romande connaissent la qualité du travail journalistique d’Anne-Sylvie Sprenger et de Lucas Vuilleumier.»

Exercice de censure?

Une remarque accueillie avec joie par Lucas Vuilleumier. «Cela fait vraiment du bien de constater que la qualité de notre travail est reconnue par de nombreuses personnalités dans le monde protestant romand, assure-t-il à cath.ch. Le plus important est peut-être de voir nos méthodes de travail réhabilitées, notamment par des personnes connaissant bien le milieu médiatique. Cela montre bien que ces méthodes, qui ont été critiquées par des personnes non éveillées aux choses journalistiques, correspondent tout à fait aux standards de la profession.»

La journaliste Anne-Sylvie Sprenger | © Medias-pro

Pour les signataires de la lettre ouverte, c’est bien la liberté journalistique qui est au cœur du problème. Ils pointent du doigt un cas précis. «L’enquête qu’ils menaient et qui a provoqué leur licenciement est en lien avec une affaire d’abus sexuel que le Conseil synodal de l’EERV s’est longtemps refusé à traiter et qu’il cherche par tous les moyens à étouffer, affirme la lettre ouverte.» Les auteurs du texte font référence à un premier article de ProtestInfo publié en juillet 2024. Selon le texte, suite à une dénonciation concernant un professeur de théologie de l’Université de Lausanne, l’Église réformée et l’État de Vaud se seraient accordés secrètement pour passer les faits sous silence. Certains observateurs estiment que la suite de l’enquête, devant être publiée prochainement, a été à l’origine des licenciements.

Conflit d’intérêts?

La lettre ouverte qualifie la mesure «d’abus de pouvoir caractérisé». D’après les informations transmises par des journaux romands, un membre du Conseil synodal de l’EERV, mis en cause dans une enquête des journalistes licenciés, serait intervenu en sa qualité de président du Conseil exécutif de la CER afin que soit mis fin aux rapports de travail avec les journalistes qui menaient l’enquête. «Ce mélange des fonctions est inadmissible», déplorent les signataires. Ils rappellent que ProtestInfo appartient à Médias-Pro et qu’elle dépend donc de la CER, et non d’une Église particulière. L’objectif étant de mettre un pare-feu entre les Églises et l’agence de presse, et donc de garantir son indépendance journalistique. «Au mépris de ce dispositif institutionnel, un membre du Conseil synodal de l’EERV a usé de sa double casquette (membre du Conseil synodal de l’EERV et présidence de la CER) pour faire sauter ce pare-feu et demander au Conseil exécutif de la CER de licencier les journalistes», accuse la lettre. «Invoquer pour cela une rupture du lien de confiance est abusif: le conflit d’intérêts est patent.»

Le journaliste Lucas Vuilleumier | © DR

Dégâts d’image?

«Qu’aujourd’hui encore, des instances ecclésiales puissent mettre fin à des rapports de travail parce que des journalistes les ont confrontés à leurs propres contradictions et demi-mesures est scandaleux», martèlent les signataires. «Nous nous insurgeons quand des patrons de presse interviennent pour déterminer la ligne rédactionnelle des organes de presse qu’ils possèdent ou pour influencer la façon dont leurs titres traitent certains sujets (…) Il est inconcevable que des instances ecclésiastiques fassent montre du même comportement.»

Les signataires rappellent que la liberté est une condition nécessaire à un travail journalistique de qualité. «Une agence de presse n’est pas au service d’une institution, mais au service de l’intérêt public, cet intérêt dût-il écorner l’image qu’une institution aimerait donner d’elle-même. En licenciant Anne-Sylvie Sprenger et Lucas Vuilleumier, le Conseil exécutif de la CER sape cette indépendance et prive d’éventuels successeurs de toute crédibilité auprès des rédactions des organes de presse romands. En outre, il met en danger tout le travail de presse des Églises protestantes romandes, en particulier la collaboration rédactionnelle avec la RTS dans le cadre de RTS-Religion.»

Pour les signataires, cette affaire «nuit gravement à la crédibilité des Églises protestantes». Ils demandent finalement au Conseil exécutif de la CER d’annuler ces licenciements et de garantir à l’avenir l’indépendance et la neutralité du travail de ProtestInfo. (cath.ch/com/arch/rz)

Le siège de Protestinfo, au Chemin des Cèdres, à Lausanne | © ProtestInfo
20 octobre 2025 | 17:15
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 4  min.
EERV (87), Journalisme (64), Médias (148), Protestants (51), Protestinfo (12)
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