Arsenii (2e dep. la dsroite), sa mère, (2e dep. la gauche) Olena et Elena et uen bénévole | © Alexis Gacon
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Montréal: Saint-Michel-Archange, repaire chancelant des Ukrainiens

À Montréal, une église catholique continue d’accueillir et d’aider les réfugiés, mais elle est en sursis. Ses deux coupoles menacent de s’effondrer. Ses bénévoles, eux, tiennent bon. Avant l’invasion russe, le Canada hébergeait la seconde diaspora ukrainienne, après la Russie. Les Ukrainiens tissent leur toile au pays depuis plus d’un siècle. 160’000 réfugiés sont arrivés depuis le déclenchement de la guerre.

Alexis Gacon, à Montreal, pour cath.ch,

Natalia se tient sur les marches du perron de l’église Saint-Michel-Archange, à Montréal. Elle est arrivée il y a un mois, en provenance de Lviv. «C’est difficile, mais ça va mieux, on a trouvé à se loger et mon fils a déjà un travail.» Avec sa fille adolescente, Khrystyna, elle guette la porte d’entrée d’une des salles de la bâtisse. À l’intérieur, son fils est parti tenter de trouver un frigo parmi les objets offerts aux réfugiés par la paroisse. «On en a besoin, et d’un four aussi. On a rien, l’appartement est vide.» Depuis l’arrivée des réfugiés fuyant l’invasion russe, l’église, repaire de la communauté ukrainienne de Montréal, s’est transformée en caverne d’Ali Baba. Une des salles abrite désormais une friperie aux milles trouvailles pour les réfugiés ukrainiens. Une autre regorge d’appareils ménagers. Lors de notre passage, une dizaine de femmes étaient en train d’éplucher ses rayons.

Parmi les bénévoles qui s’assurent qu’elles trouvent ce dont elles ont besoin, il y a Arsenii Pivtorak, un jeune homme longiligne de vingt ans, qui se donne corps et âme. L’étudiant en urbanisme, barman dans une salle de concert et passionné de danse ukrainienne, explique comment l’église aide à la fois les Ukrainiens qui ont quitté le pays en guerre pour rejoindre le Québec, et ceux qui sont sur le front. Dans une salle, tout est stocké pour les réfugiés. Dans une autre, les marchandises, notamment des médicaments, sont remisées avant de partir pour l’Ukraine. «Ce qui est fou, c’est que tout fonctionne à la confiance. Au départ, on ne connaissait pas les associations ukrainiennes auxquelles on envoyait le tout. Mais là, on sait que le tout se rend à bon port», s’enthousiasme Arsenii. 

La pile de cartons de flacons de shampoing frise les deux mètres | © Alexis Gacon

Le jeune homme sourit en nous montrant une montagne de cartons, qui frise les deux mètres, d’une marque de shampoing. «Quand on a reçu tout ça, on n’en revenait pas. On se disait, c’est fou, ils manquent de plein de choses, mais ils auront les cheveux propres!» Sa mère, qui a transmis à son fils ses yeux rieurs, admet avoir été complètement débordée au départ par l’afflux de dons, parfois insolites, lors des premiers jours après l’invasion. «Les boîtes remplissaient la nef. Cétait très difficile de s’organiser. Puis les dons ont ralenti peu à peu. Mais ça reste un travail de bénévolat 24h sur 24. Des chauffeurs de camion de déménagement peuvent nous appeler en soirée pour nous dire qu’ils arrivent devant l’église pour livrer un don.» Parfois, elle ne parvient à quitter l’église que lorsque minuit approche.

Des Ukrainiens au Canada depuis le 19e

À l’église, qui appartient à l’Éparchie ukrainienne catholique de Toronto et de l’est du Canada, toutes les générations d’Ukrainiens du Québec se mélangent. Comme celle d’Olena, la trentaine, arrivée il y a six mois pour fuir les bombes qui tombaient sur Lviv. Depuis qu’elle est dans la Belle Province, elle aide ses compatriotes qui continuent de débarquer au pays. Ou celle d’Elena, la cinquantaine, au Canada depuis 1995, qui roule près de quatre heures deux fois par semaine pour venir trier les vêtements qui arrivent à la paroisse. «Ils ont besoin de nous», dit-elle.

Le Père Pivtorak entouré de bénévoles | © Alexis Gacon

L’histoire commune de l’Ukraine et du Canada n’a pas commencé l’année dernière. À la fin du XIXe siècle, des Ukrainiens ont commencé à immigrer ici. Ottawa avait lancé en un appel en 1896 aux cultivateurs d’Europe de l’est pour repeupler l’ouest et ses terres agricoles. Parmi eux, certains Ukrainiens se sont arrêtés à Montréal, s’installant notamment dans les quartiers ouvriers de Pointe-Saint-Charles ou autour du boulevard Saint-Laurent. Les autres ont choisi l’Alberta, le Manitoba et la Saskatchewan. Depuis, d’autres vagues se sont ajoutées. Désormais, 1,4 million de Canadiens sont d’origine ukrainienne. La dernière arrivée massive est celle des réfugiés de l’invasion russe. Pour eux, Ottawa a mis sur pied un programme d’accueil d’urgence. Près de 160’000 Ukrainiens sont arrivés au pays par l’intermédiaire de celui-ci.

L’église, roc chancelant de la communauté

Depuis le début de la guerre, le nombre de personnes qui viennent assister aux messes à Saint-Michel-Archange a presque doublé, frisant les 70: sa fréquentation est donc au beau fixe. Mais pourtant, l’église, roc de la communauté, vacille. Surtout ses deux coupoles, en fait. «Je prie tous les jours pour recevoir de l’aide», clame le Père Yaroslav Pivtorak, qui est aussi le père d’Arsenii (le mariage des prêtres est permis chez les catholiques ukrainiens). Les briques grises de la façade s’effritent, le béton se désagrège et les coupoles risquent de s’effondrer. En cause, l’eau qui s’infiltre chaque jour un peu plus à travers le toit. L’année dernière, une inspection, relatée par le journal montréalais La Presse +, s’est conclue par un «rapport dévastateur», selon les termes du journal, quant à l’état du bâtiment.

L’église Saint-Michel-archange est chancelante | © Alexis Gacon

Les travaux ne peuvent attendre. «Il faut les faire d’urgence, oui, mais ça dépend de l’argent qu’on obtient», songe, dubitatif, le Père Pivtorak. Car pour l’instant, les deniers manquent à l’appel. «On a reçu un don de 10’000 dollars d’une banque et lancé un sociofinancement (financement participatif)», ajoute Arsenii, mais ça ne suffit pas. Les travaux d’ensemble sont évalués à près d’un demi-million de dollars canadiens, et pour l’instant, le sociofinancement a permis d’amasser moins de 8’000 dollars. Pendant un temps, le Père pensait qu’il allait devoir fermer l’église temporairement. Finalement, des petits travaux, prévus ce mois-ci, devraient permettre de retarder pour quelques mois les plus grands, en solidifiant les tours des coupoles. Citée par le quotidien La Presse +, la mairie de Montréal dit suivre la situation de près et soutient que «le maintien des activités de cette église est important (…)».

Un sursis pour le Père Pivtorak, qui a connu une année éprouvante. «Je suis fatigué d’avoir les échos de la guerre chaque jour. Et on a appris une nouvelle difficile aujourd’hui», avec la destruction partielle du barrage hydroélectrique de Kakhovka, en Ukraine, contrôlé par les forces russes. «Je n’en finis pas de m’inquiéter pour mon pays.» Arsenii, lui, garde un éternel soleil dans les yeux. «Je ne me demande pas si l’Ukraine va se reconstruire, je le sais. J’ai juste hâte que ça arrive, que cela soit fini. Qu’on accueille à nouveau tout le monde dans notre pays, comme on sait le faire.» (cath.ch/alg/bh)

Une diaspora importante
Plus de 1,3 million de Canadiens sont originaires d’Ukraine, une des plus grandes diasporas au monde et leur impact sur la vie religieuse du pays est tout sauf négligeable. Edmonton, par exemple, compte quatorze églises ukrainiennes catholiques et orthodoxes. Des communautés immigrantes sont installées ici depuis deux siècles, avec l’arrivée de paysans au pays, qui avaient été invités à cultiver les terres arrachées aux Premières Nations. La diaspora grandit et ils peuvent compter sur la solidarité de cette communauté, ancrée de longue date. ALG

Arsenii (2e dep. la dsroite), sa mère, (2e dep. la gauche) Olena et Elena et uen bénévole | © Alexis Gacon
25 juin 2023 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture: env. 5 min.
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