75 ans après sa mort, le spectre de Lénine divise les Russes

Moscou: Faut-il enterrer Lénine ?

Moscou, 5 août 1999 (APIC) – 75 ans après la mort de Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, son corps, embaumé et exposé dans un mausolée sur la place Rouge, est le sujet d’une vive controverse politique en Russie.

Lénine, qui a mené la révolution bolchevique en 1917 et devint le chef du premier gouvernement soviétique, est un héros national encore très vénéré par des communistes de Russie. Le sort de ses retes pourrait être un enjeu crucial en vue des prochaines élections législatives et présidentielle.

«Il sera enterré», a déclaré le président Boris Eltsine à un journal de Moscou le mois dernier. «La question est de savoir quand.» Dans une interview, publiée le 4 août, Alexander Voloshin, proche collaborateur d’Eltsine, a confirmé que le corps de Lénine allait être enlevé du mausolée. Il s’est toutefois refuser à donner une date. Du côté de l’Eglise orthodoxe russe on soutient la proposition d’enterrer les restes de Lénine, mais on aborde la question avec grande prudence.

Un débat qui dure depuis des années déjà

Le débat sur l’enterrement de Lénine a commencé avec la désintégration de l’empire soviétique. En 1990, Mark Zakharov, directeur de théâtre très connu, disait déjà que «nos ancêtres orthodoxes ne voudraient pas avoir un temple païen sur la Place Rouge».

Le patriarche de l’Eglise orthodoxe russe, Alexis II, a alimenté la discussion le 24 avril dernier. A l’issue d’une procession sur la Place Rouge – qui en russe signifie aussi belle place – le patriarche avait déploré, lors d’une interview télévisée, que cette «belle place» soit utilisée comme cimetière. Douze autres dirigeants soviétiques, dont Staline, sont en effet enterrés derrière le mausolée de Lénine. Et les cendres de plusieurs autres personnalités, dont le premier cosmonaute russe Youri Gagarine, reposent à l’intérieur de la muraille du Kremlin, qui abrite aussi une immense tombe de Bolcheviks tués durant la révolution de 1917.

«Il est immoral que des spectacles de rock et d’autres manifestations se déroulent à côté des morts, ici sur la Place Rouge», avait dit le patriarche. «J’espère que l’on construira prochainement une sorte de panthéon ou un monument pour accueillir les restes de personnalités aussi importantes».

La nécessité de donner à Lénine un enterrement «chrétien» est aussi l’une des raisons motivant son déplacement de la Place Rouge. L’ancien dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev s’est prononcé récemment en faveur de l’enterrement de Lénine «si cela était fait de façon chrétienne». Même s’il n’y pas de normes canoniques concernant la sépulture, la tradition orthodoxe veut qu’on mette les corps en terre, a indiqué à l’agence œcuménique ENI Vsevolod Chaplin, porte-parole du patriarcat de Moscou.

Des opposants farouches

La nièce de Lénine, qui est sa plus proche parente survivante, Olga Oulianova, est vivement opposée au déplacement du corps de son illustre oncle, et à l’idée de lui faire un enterrement chrétien. Les communistes qui s’opposent aussi au déplacement du corps de Lénine soulignent que la Place Rouge, y compris le mausolée, est considérée comme un lieu historique protégé par l’UNESCO. Quant aux scientifiques qui ont passé toute leur vie à préserver le corps – Moscou possède un Institut qui se consacre à cette tâche – ils avancent que le corps ne devrait pas être enterré, dans l’intérêt de la science.

Mais Boris Eltsine, qui se décrit comme volontiers comme «le fossoyeur du communisme», tient à son projet de faire enterrer Lénine, pour marquer ainsi la fin du communisme. En 1997, il avait promis un référendum à ce sujet, mais rien n’a été fait. Les observateurs estiment que l’enterrement de Lénine s’inscrit dans une stratégie gouvernementale en vue des élections législatives de décembre 1999 et de l’élection présidentielle de juillet 2000.

Viktor Ilyukhin député communiste au parlement imagine même que le gouvernement a l’intention de provoquer en sous-main une rébellion contre l’enterrement afin d’avoir un prétexte pour interdire le parti communiste ou annuler tout simplement les élections. Le dirigeant communiste G. Ziouganov a menacé le mois dernier d’entreprendre une «action d’urgence» si le Kremlin ne renonçait pas à son projet d’enterrement.

Selon un sondage réalisé en avril par un institut indépendant, 53 % des Russes se prononcent en faveur de l’enterrement de Lénine (contre 42 % en juillet 1998) et 35 % y sont opposés (ils étaient 44 % l’an dernier). Selon cette même enquête, 38 % des Russes parlent de Lénine de façon positive, 22 % ne se prononcent pas, et seulement 14 % ont une opinion négative. Ce qui explique aussi en partie la position prudente de l’Eglise sur ce sujet. (apic/eni/mp)

5 août 1999 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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