Moscou: un évêque orthodoxe explique les liens qu’il a eus avec le KGB

Fribourg, 14 juillet (APIC) «Oui, j’ai collaboré avec le KGB,(…) mais je

n’ai jamais été un agent infiltré, ni un délateur», a déclaré l’archévêque

Chrysostome de Vilnius qui est à la tête du diocèse du patriarcat de Moscou

en Lituanie. Dans un entretien publié par l’hebdomadaire en langue russe

édité à Paris Russkaia Mysl (la pensée russe), l’archevêque Chrysostome affirme avoir la conscience tranquille. Il note aussi qu’à l’exception de

certains cas notoirement connus, les évêques orthodoxes russes ont accompli

leur travail pastoral dans les limites fort étroites qui leur étaient concédées et, parfois même au-delà. L’assemblée de l’épiscopat orthodoxe russe

a d’ailleurs confié à une commission le soin de faire la lumière sur les

liens qui ont pu exister entre la hiérarchie et le KGB.

Se fondant sur son expérience personnelle, l’archévêque Chrysostome

estime que «l’existence de relations entre l’épiscopat et le KGB n’est pas

un crime en soi», dans la mesure où les responsables religieux étaient bien

obligés d’avoir «des contacts avec toute personne exerçant un pouvoir quelconque».«Il était impossible d’agir autrement», affirme-t-il, car à l’époque aucune ordination ne pouvait être faite sans l’aval des autorités civiles. Personnellement, il reconnaît avoir été contacté quand il est devenu

évêque et avoir reçu alors un nom de code. Les évêques étaient régulièrement invités par les autorités à donner leur appréciation des affaires ecclésiales, à dresser un bilan de la situation de leurs diocèses respectifs

et à rendre compte de leurs voyages à l’étranger.

Cependant l’archevêque Chrysostome nuance son propos quant à la nature

de cette coopération. Comme de nombreux autres évêques, il déclare avoir

agi par souci tactique, estimant sauver l’Eglise par quelques compromis.»Je

n’ai par contre jamais été ni un agent infiltré, ni un délateur», affirmet-il. Ces concessions m’ont permis de mener mon ministère pastoral comme

j’entendais , notamment en matière d’ordinations sacerdotales, poursuit-il.

Il cite notamment le cas du père Georges Edelstein, proche des milieux de

la dissidence religieuse, qu’il a ordonné prêtre alors que ce dernier avait

successivement essuyé plusieurs refus de la part d’autres évêques.

L’archevêque reconnaît que certains membres du clergé ont aussi pu agir

sous la contrainte parce qu’ils étaient tenus par le KGB qui exploitait

leurs faiblesses et leurs fautes. D’autres enfin, qui étaient guidés par la

seule ambition personnelle, doivent être considérés comme de véritables

taupes. Ils ont souvent fait  » une carrière époustouflante «, à l’exemple

du métropolite Methode de Voronège, ordonné évêque en 1980, à l’âge de 31

ans, et promu métropolite en 1988, dont l’ordination a été imposée au

Saint-Synode et qui s’est illustré par de graves malversations lorsqu’il

dirigeait les services de l’économat du patriarcat.

Abordant les révélations parues dans la presse russe, l’archevêque Chrysostome considère qu’il s’agit d’»une campagne d’agitation» qui a pour but

de «jeter le discrédit sur l’Eglise». De façon paradoxale, les critiques

les plus vives à l’égard de la hiérarchie émanent à la fois d’anciens dissidents et d’ex-responsables soviétiques convertis au libéralisme. «Ceux

qui hier encore étaient athées ainsi que les anciens membres du KGB, ceuxlà même qui nous forçaient à collaborer en utilisant leurs pouvoirs «s’indignent le plus des contacts entre l’Eglise orthodoxe et le KGB. Parmi les

auteurs de ces attaques, ajoute l’archévêque, on trouve également le Père

Yakounine, qui, «s’occupe uniquement de politique», et le Père Edelstein

qui «déclare à qui veut l’entendre: «J’ai été ordonné par un agent du

KGB»«.

Pour l’archevêque Chrysostome, c’est à l’Eglise elle-même d’opérer sa

purification et sa régénération interne, dans le respect de ses règles propres et de sa tradition canonique.»Si quelqu’un a agi de manière indigne,

nous devons, de nous- mêmes, lui appliquer les mesures adéquates». Cela a

déjà été fait avec l’évêque Gabriel, ancien supérieur du monastère de

Pskov, puis l’évêque de Khabarovsk, connu pour son autoritarisme et ses

liens avec le KGB, suspendu a divinis en 1990 et relégué dans un monastère.

«Ensuite, au fur et à mesure des informations, à partir de documents

écrits, nous devrons étudier ces problèmes de manière plus approfondie»,

poursuit-il.

Agé de 58 ans, Mgr Chrysostome (Martiskin) a longtemps été considéré

comme l’un des évêques les plus actifs de l’Eglise orthodoxe russe. Ordonné

en 1972, il a d’abord été auxiliaire du patriarche de Moscou, puis responsable du diocèse de Koursk. A la même époque, il figure parmi les principaux collaborateurs du très influent métropolite Nicodème de Leningrad

qu’il assiste dans les relations extérieures du patriarcat. Ses déclarations à l’étranger où il critique à mots couverts la situation religieuse

en URSS lui valent de tomber en disgrâce en 1984. Il est alors éloigné et

nommé évêque du diocèse d’Irkoutsk, en Sibérie. Depuis 1990, il est à la

tête du diocèse de Lituanie et, en janvier 1991, il a publiquement dénoncé

l’intervention des troupes soviétiques lors des évènements sanglants de

Vilnius.(apic/sop/ak)

14 juillet 1992 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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