Nicolas Betticher est aujourd'hui curé de la paroisse Bruder Klaus à Berne | © Maurice Page
Suisse

Nicolas Betticher: 'Praedicate Evangelium' n'est pas une révolution»

La réforme de la Curie romaine décidée par le pape François n’est pas une révolution mais une évolution dans la bonne direction, estime l’abbé Nicolas Betticher.

Pour le spécialiste du droit canonique, les changements décisifs devraient venir d’un nouveau concile. Les évêques suisses pourraient néanmoins aller de l’avant dès maintenant.

Raphael Rauch, kath.ch / traduction adaptation Maurice Page

Certains spécialistes du droit canonique considèrent la réforme de la Curie du pape François comme une ‘révolution’. Et vous?
Nicolas Betticher: Pour moi, ce n’est pas une révolution, mais une bonne évolution. Tous les dicastères continuent à travailler pour le pape, qui porte la responsabilité finale et prend toutes les décisions importantes. A première vue, il n’y a pas grand-chose de nouveau. Sauf que si des laïcs, hommes et femmes, deviennent effectivement chefs de dicastère et font ainsi partie du «conseil pontifical», on pourrait imaginer qu’ils auront une influence importante au sein de la Curie. Et c’est là que je vois le caractère explosif de ce document.

En quoi est-il explosif?
Supposons que le pape crée un ‘conseil des ministres’. Celui-ci se compose de tous les chefs de dicastères. Dans ce conseil siégeront des cardinaux, des évêques, des prêtres, des diacres et des laïcs, des femmes et des hommes. Une nouvelle dynamique peut naître de cette diversité. Des hommes et des femmes, des personnes ordonnées ou non parlent ensemble et conseillent le pape.

«Un Concile Vatican III pourrait conduire à une véritable séparation des pouvoirs».

A quoi pourrait conduire cette nouvelle dynamique?
De cette dynamique pourrait naître une conviction selon laquelle on pourrait établir une séparation des pouvoirs. C’est-à-dire qu’un évêque n’incarnerait plus à la fois les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais confierait par exemple l’exécutif ou le judiciaire à une femme. Un Concile Vatican III pourrait conduire à une véritable séparation des pouvoirs. Car il faut bien un concile pour diviser les munera (les trois ministères du Christ: munus docendi (magistère de l’enseignement) munus regendi (gouvernement pastoral) et munus sanctificandi (ministère sacerdotal) NDLR)

Pourquoi faut-il un concile pour cela? Un pape ne pourrait-il pas le décider sans concile?
Oui, mais il est toujours préférable qu’une décision importante soit portée par un grand nombre. Et un concile laisse beaucoup de place au dialogue. C’est précisément ce que souhaite le pape François. Je souhaite un concile composé de femmes et d’hommes, de chrétiens ordonnés ou non.

«Un poste de direction sans pouvoir de décision, c’est encore trop peu».

Revenons à la thèse de la révolution. Si une femme dirige à l’avenir la Congrégation pour la doctrine de la foi ou la Secrétairerie d’État, ne serait-ce pas une révolution?
Si des laïcs ne peuvent pas prendre de décisions, ce n’est pas encore une révolution à proprement parler. Mais encore une fois, c’est un premier pas positif.

Il s’agirait ici de faire la distinction entre ministère ordonné et ministère de direction. Ce que nombre de catholiques demandent.
Oui, mais un ministère de direction sans pouvoir de décision, c’est encore trop peu. Selon le droit canonique, le pouvoir de décision reste uniquement entre les mains du pape. Sur ce point, les choses n’ont donc pas beaucoup bougé.

«En raison d’une situation d’urgence, les évêques pourraient décider d’une solution d’urgence».

Que signifie ce document pour les diocèses suisses?
«Praedicate Evangelium» concerne la Curie et non pas le diocèse de Rome. Néanmoins, on peut en tirer des analogies avec les diocèses. La plupart des évêchés suisses ont déjà des femmes et des hommes laïcs à des postes de direction. Mais le pouvoir de décision revient toujours à l’évêque – comme au pape dans la Curie.

Que pourraient faire concrètement les évêques suisses?
Une séparation générale des pouvoirs n’est actuellement pas possible en raison du droit canonique existant. Mais les évêques pourraient décider d’une solution d’urgence – en raison des abus de pouvoir. Ils pourraient décider de mettre en place un tribunal indépendant qui déciderait alors librement. On pourrait ainsi commencer dès maintenant à séparer les pouvoirs, en détachant le pouvoir judiciaire de la responsabilité des évêques. Et le droit d’urgence deviendrait un droit particulier. (cath.ch/kath.ch/rr/mp)

Nicolas Betticher
Docteur en droits civil et canonique, Nicolas Betticher a été en tant que laïc, adjoint du vicaire épiscopal à Fribourg, porte-parole de la Conférence des évêques suisses, chancelier puis, après son ordination sacerdotale, curé de la cathédrale et vicaire général du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. Il est aujourd’hui curé de la paroisse Bruder Klaus à Berne et office comme vicaire judiciaire de l’officialité interdiocésaine de Suisse. Depuis fin 2020, il est incardiné dans le diocèse de Bâle. MP

Nicolas Betticher est aujourd'hui curé de la paroisse Bruder Klaus à Berne | © Maurice Page
3 avril 2022 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 3 min.
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