L'abbé Nicolas Glasson, vicaire épiscopal pour la culture de l'appel | © Bernard Hallet
Suisse

Nicolas Glasson: «Je n'ai pas besoin d'une Eglise seulement sympa»

Lausanne, 5 juin 2015 (Apic) L’abbé Nicolas Glasson «ne veut pas d’une Eglise seulement sympa». Le nouveau vicaire épiscopal pour les vocations du diocèse de Lausanne, Genève, Fribourg milite pour une proposition de la foi plus cohérente. Il sera présent à Lausanne le 6 juin aux Journées de prières pour les vocations organisées par le groupe Charles Journet. Il s’adressera aux jeunes pour leur parler de la vocation.

Cath.ch: Mgr Morerod vous a nommé «vicaire épiscopal pour la culture de l’appel, les vocations et la formation des séminaristes» le 13 mai. En quoi consiste cette fonction ?

Nicolas Glasson: Je reste supérieur du séminaire et deviens vicaire épiscopal pour la culture de l’appel avec la mission d’engager une réflexion sur la pastorale diocésaine. J’ai remarqué que toute notre action est axée sur la pastorale paroissiale. Or actuellement, parmi les candidats que nous avons au séminaire, pas un n’a reçu la foi ou approfondi sa vocation en paroisse. Nos séminaristes sont tous en lien avec un mouvement, une communauté, monastique ou nouvelle, avec des mouvements ou à la garde suisse. Il y a là matière à réflexion. Les jeunes pousses ne viennent pas de là où on investit quasiment 100% de notre énergie. L’évêque m’a demandé de me rendre dans les vicariats, d’aller rencontrer les gens pour connaître la situation au mieux. L’évêque souhaite réfléchir à tout cela et mettre ces questions au centre de la réflexion.

Cath.ch: Combien y a t-il de séminaristes actuellement?

N.G.: Ils sont dix dans la maison, dont deux du diocèse de Bâle, et trois à l’extérieur, en comptant la première année de discernement. Pour toute la Suisse romande.

Cath.ch: C’est très peu

N.G.: Ce sont des chiffres historiquement bas! Je suis là depuis huit ans, les effectifs ont oscillé entre trois et huit séminaristes.

Cath.ch: La crise des vocations se prolonge donc?

N.G.: Oui, elle est plus profonde. C’est une crise de la foi, une crise humaine qui touche notre génération. Un certain nombre de jeunes souhaitent entrer en année de discernement au séminaire. Mais la moyenne des candidats finalement acceptés représente entre le quart et le tiers des demandes.

Cath.ch: Pour quelles raisons?

N.G.: Pour des raisons humaines. Nous avons à faire à des jeunes qui humainement ne sont pas suffisamment stables, structurés et équilibrés pour entrer au séminaire. Certains souhaitaient devenir prêtre à défaut de faire autre chose.

Cath.ch: Le célibat constitue-t-il un obstacle aux vocations?

N.G.: En huit ans, j’ai été confronté à un seul cas où le célibat posait question pour la suite. Ce n’est pas du tout le premier critère pour le jeune qui pose une candidature et qui poursuit sa formation. Le premier critère reste celui de la vocation et du questionnement sur cet appel. Du point de vue des séminaristes, ce n’est pas une préoccupation majeure. Les jeunes qui ont arrêté leur formation ne l’ont pas fait pour cette raison.

Cath.ch: Face au manque de prêtres et à leur vieillissement comment faire? Allez-vous faire venir des prêtres d’ailleurs?

N.G.: Il y a deux possibilités: on essaye de garder les postes actuels et on va chercher des prêtres à l’étranger mais cela ne suffira pas. Actuellement, il y a encore des célébrations dans les petits villages, un peu partout. La population pratiquante vieillit et diminue en même temps que les prêtres. On peut se dire que dans 10 à 15 ans, à certains endroits, on n’aura plus besoin d’aller dire la messe. On regroupera les messes. Remplacer les prêtres n’enrayera pas ce mouvement de baisse générale de la pratique. Plus profondément, nous devons changer quelque chose dans notre manière de communiquer avec les gens, ce à quoi le pape nous appelle. Nous avons vécu un renfermement sur nous. Nous avons continué à fonctionner sans remise en question. Dans sa lettre pastorale de janvier, Mgr Morerod a essayé d’appeler des eucharisties dominicales regroupées, liturgiquement bien préparées, régulières où il y ait du monde, avec une homélie consistante. Les paroissiens devront se déplacer en voiture mais en sachant qu’ils auront une messe vivante avec du monde. Je n’aurais pas parlé ainsi il y a dix ans.

Cath.ch: Moins de messe mais des églises pleines?

N.G.: Cela va, à mon sens, enrayer la chute de la foi. Aller à la messe chaque dimanche avec dix personnes dans une église qui résonne n’est pas nourrissant pour un fidèle, qu’il ait 70 ans ou 25. J’ai célébré des mariages de fidèles pratiquants avec une assistance tout aussi pratiquante où j’arrivais fatigué. J’en ressortais revigoré parce que c’est l’Eglise qui célèbre. Les fidèles et le célébrant se portent mutuellement. Chacun tient sa place.

Cath.ch: L’Eglise doit-elle s’adapter? Ou évoluer?

N.G.: S’adapter dans la forme, l’Eglise le fait: elle est « Semper reformenda », ce n’est pas un problème. Sur le fond, elle doit réapprendre à dire de manière compréhensible le Christ qui l’habite. Il faut de la cohérence dans notre foi. Si Jésus est venu nous sauver, cela doit nous conduire quelque part. Je n’entends pas cette cohérence dans la prédication de l’Eglise. Pourquoi l’essence sacramentelle de l’Eglise est-elle incontournable ? Parce que sans les sacrements, je n’ai pas accès au Christ qui me sauve. Des gens font la confirmation, se marient à l’Eglise alors qu’ils ne pratiquent pas et ne se confessent pas. Cela ne va pas. Je ne juge personne, je vois juste que cela ne porte pas de fruit, nous ne convertissons personne. On fait un truc sympa. Tant mieux ! Mais je n’ai pas besoin de l›Eglise si elle est seulement sympa. C’est mon éternité qui est en jeu.

Cath.ch: Il y aurait donc un risque à faire une église « trop sympa »?

N.G.: Cela donne une Eglise, un credo et une annonce de la foi sans contenu. Il faut une certaine cohérence du contenu, qu’il soit clairement expliqué. C’est le dépôt de la foi, je n’en suis pas maître.

Cath.ch: Vous souhaitez que le message soit plus clair?

N.G.: Nous devons être plus explicites, mais cela ne suffit pas. Pendant 9 ans, nous essayons de communiquer la foi à nos enfants une fois par semaine à l’école. Le fait de raconter l’Evangile ne suffit pas à faire un croyant. Il doit y avoir l’exposé du contenu de la foi et il faut aussi l’expérience de la vie de l’Eglise. Une liturgie telle que celles vécues avec plus de 1000 jeunes à l’OpenSky de Fully ou aux JMJ à Fribourg est porteuse parce qu’on y fait l’expérience de l’Eglise. J’ai le souvenir des JMJ à Madrid où nous nous sommes retrouvés à un million huit-cents mille jeunes à prier avec le pape. Là, le cœur de l’Eglise battait.

Cath.ch: Qu’allez-vous dire aux jeunes le 6 juin lors de la journée de prière organisée à Lausanne?

N.G.: Je vais leur dire en quoi la vie d’un prêtre est viable et ce qui fait qu’un prêtre est heureux de l’être. Je vais leur expliquer en quoi consiste son ministère. Cette charité pastorale est celle du Christ bon pasteur qui devrait enflammer le cœur du prêtre.

Cath.ch: Vous parlez des vocations des prêtres. Mais pourquoi ne pas encourager également la vocation de laïcs désireux de s’engager en Eglise?

N.G.: L’Eglise propose un dimanche pour les vocations et un autre pour l’apostolat des laïcs. Tout cela se tient. J’ai fait l’expérience dans le «Deutsch Freiburg» où nous n’avons plus connu de vocations sacerdotales depuis plus de 20 ans, la dernière ordination remontant à 1994. Là où les prêtres disparaissaient, ils ont été remplacés par des laïcs: des agents pastoraux qui ont repris les fonctions du prêtre, excepté bien sûr les célébrations sacramentelles. Mais à l’heure actuelle, on ne trouve plus de laïcs pour occuper ces postes. Selon moi, on n’a pas respecté les identités propres du ministère presbytéral ordonné et du ministère baptismal. On a cléricalisé les laïcs. Si l’on dit à un laïc que sa vocation est identique à celle du prêtre alors à quoi bon devenir prêtre? Si la vocation de baptisé n’a plus non plus sa spécificité propre, à quoi bon s’engager?

Cela remonte aussi à un cléricalisme qui régnait à Fribourg il y a quelques décennies. Ce cléricalisme a finalement travaillé contre le ministère ordonné.

Cath.ch: La volonté de former des laïcs est pourtant clairement affirmée.

N.G.: Cela fait partie aussi de mon cahier des charges. Nous proposons dans chaque canton du diocèse une formation. En outre l’institut romand de formation au ministère (IFM) qui dépend du Centre catholique romand de formation en Eglise (CCRFE) forme les laïcs et les futurs agents pastoraux.

Cath.ch: C’est la solution ou une solution?

N.G.: Le manque de prêtres nous a permis de redécouvrir qu’il ne peut pas annoncer seul l’Evangile. Nous aurons des prêtres dans la mesure où on a des laïcs engagés et inversement. La situation actuelle doit nous faire prendre conscience qu’on ne peut pas avoir les uns sans les autres. Tout se tient.

Cath.ch: Nous n’avons pas parlé des diacres permanents. Il y en a plus de trente dans le diocèse et sept sont actuellement en formation. Ce sont des hommes qui, pour la majorité, sont mariés et pères de famille. Ils ont expérimenté la vie de couple et de famille. Ce qui n’est pas le cas du prêtre.

N.G.: La commission théologique internationale a émis dans les années 2000 un rapport sur le diaconat permanent, 40 ans après le Concile qui l’avait rétabli. On constate que le diaconat ne s’est pas développé comme le Concile l’attendait, en Afrique et en Amérique Latine. Où les diacres devaient aider les prêtres sur de vastes territoires. Le développement s’est fait surtout en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Donc il n’y a pas d’activité type pour le diacre permanent. Une grande partie de nos diacres est engagée en paroisse en parallèle de leur profession. Peu travaillent dans le ministère pastoral à titre professionnel. On parle donc moins des diacres aussi parce qu’ils sont moins présents dans la vie paroissiale. L’évêque du diocèse appelle cependant largement au diaconat.


Encadré

Cath.ch: Comment s’est manifestée la vocation pour vous?

N.G.: Je devais avoir 12 ans. Mon père était vétérinaire. Beaucoup de monde passait à la maison. Il travaillait tous les jours. Le samedi je le suivais dans ses visites chez les paysans. Quand les fermiers venaient payer une facture à la maison ou lorsque mon père venait à la ferme, ils se confiaient à lui. J’ai eu l’occasion de voir les gens dans leur humanité.

En tant qu’enfant, je me suis posé la question sur le fond de ces personnes qui se racontaient. Quel pouvait bien être ce mystère de l’humain ? A 20 ans, j’ai fait neuf mois de service militaire où j’ai retrouvé ce qu’il y avait, dans l’humanité, de plus beau, de plus grand, de plus généreux et aussi ce qu’il y avait de plus grossier, de plus veule, de plus minable. La question de la vocation a resurgi de manière assez évidente. Je me suis à nouveau posé cette question du mystère de l’humanité. Je me suis dit: « j’essaye» et j’ai appelé le séminaire. Il n’y avait pas d’année de discernement à l’époque. Je suis allé parler de ma vocation au supérieur. Je n’avais pas d’évidence conceptuelle claire. A la fin de la première année, j’ai fait la liste des raisons de rester et des raisons de partir, qui étaient plus nombreuses. Il y avait une raison de rester qui était la bonne: c’était la vocation. Qui est toujours très mystérieuse, qu’on ne fabrique pas soi-même, qui est là, vivante et qui grandit.


 

Encadré

Trois journées pour les vocations du 5 au 7 juin 2015 à Lausanne

Le groupe Charles Journet organise trois jours de prière et de rencontres pour les vocations du 5 au 7 juin 2015 à la paroisse Sainte Thérèse de Lausanne. Ces journées, ouvertes aussi aux jeunes, se dérouleront en présence de la relique (le cœur) du curé d’Ars. Mgr Morerod, évêque du diocèse LGF, célèbrera le 5 juin la messe d’introduction qui sera suivie d’un repas et de l’exposé de l’abbé Olivier Jouffroy, curé de la paroisse sur la vénération et la vie du curé d’Ars. Le 6 juin verra les interventions de Mgr Alain de Raemy, évêque auxiliaire, et de l’abbé Nicolas Glasson. Le Père Jean-Luc Etienne donnera un enseignement sur la vocation chez les jeunes. Jean Burin des Roziers et Michael Curti, tous deux séminaristes de Fribourg, témoigneront de leur engagement. Le week-end se terminera par une messe solennelle le 7 juin à 10h00. (apic/bh)

Renseignements : http://www.gecj.ch/cure_dars.html

L'abbé Nicolas Glasson, vicaire épiscopal pour la culture de l'appel | © Bernard Hallet
5 juin 2015 | 12:25
par Bernard Hallet
Temps de lecture: env. 9 min.
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