«No Billag»: une catastrophe pour les émissions religieuses de la RTS

L’initiative «No Billag» qui veut supprimer la redevance radio et TV sera soumise au vote du peuple suisse le 4 mars prochain. Elle interdit à la Confédération de subventionner des chaînes de radio et de télévision. Son acceptation aurait des conséquences catastrophiques pour les émissions religieuses de la RTS, estiment Michel Kocher et Bernard Litzler, directeurs de Medias-Pro et de Cath-Info.

 En mettant à bas le monopole de la SSR, hérité des années 1950, l’initiative «No Billag» n’offre-t-elle pas, y compris pour émissions religieuses, l’opportunité de construire quelque chose de nouveau, plus en phase avec l’évolution des médias et du marché?
Bernard Litzler: Aujourd’hui, je ne vois pas comment nous pourrions reconstruire quelque chose puisque nous n’aurions plus de partenaire à savoir la RTS. L’initiative «no Billag» fait ‘tabula rasa’. Ce serait catastrophique. On peut bien imaginer que certaines des radios ou TV locales parviennent à survivre. Mais avec des budgets fortement amputés, elles ne pourraient de toute façon pas investir dans la production de nouvelles émissions religieuses avec nous, ni même simplement maintenir celles qui existent déjà. Aucune émission ne peut dire «je vais surnager».

Lausanne le 16 janvier 2017. Bernard Litzler, directeur de Cath-info et Michel Kocher, directeur de Médias-pro. | © B. Hallet

Michel Kocher: Il ne resterait rien ou très peu de choses. Il faut en outre prendre en compte un autre effet. S’il n’y a plus d’offre suffisante, les Eglises tant protestantes que catholique, qui aujourd’hui financent de manière importante nos activités, seront poussées à investir leur argent ailleurs et à réduire leur soutien. C’est une spirale infernale. Même si nous parvenions à recréer une radio ou une télévision œcuménique sur le web, nous n’aurions pas les moyens de les financer. Il faudrait aussi retrouver un public.

«Nous pourrions peut-être encore créer des émissions «entre nous» mais nous perdrions la dimension de l’agora, de la place publique»

BL: Une telle situation signifierait obligatoirement des licenciements à court terme dans nos équipes de journalistes. Nous n’aurions tout simplement plus les moyens de les payer.

MK: Il faut ajouter que la perte des contributions que nous recevons de la SSR, dans le cadre de la convention qui nous lie, serait fatale. Ce sont des salaires qui disparaîtraient séance tenante.

Vous pourriez trouver des alternatives de financement par des appels de fonds, par le financement participatif ou des contributions des Eglises cantonales par exemple.
BL: Certainement pas dans des proportions équivalentes. Nous ne pouvons pas oublier que la plupart des cantons suisses connaissent l’impôt ecclésiastique. Récolter des contributions spécifiques pour les médias audiovisuels confessionnels est assez difficile, car les fidèles ne veulent pas payer deux fois.

Les Eglises ne seraient pas forcément plus démunies pour leur communication en sortant du service public.
BL: La présence des Eglises sur le service public va dans les deux sens. Nous offrons à un public croyant la transmission d’offices religieux, ce qui constitue une belle présence ecclésiale, mais nous offrons, dans l’autre sens, à un public beaucoup plus large, un regard vers les Eglises. Nous pourrions peut-être encore créer des émissions «entre nous» mais nous perdrions la dimension de l’agora, de la place publique.

«Celui qui aura la plus ‘Grosse Bertha’ aura seul droit à la parole»

MK: Nous ne voulons pas être les «religions parlent aux religions». Nous voulons être au milieu du village, en dialogue dans la société, avoir la possibilité de critiquer, mais aussi se laisser interpeller. Nous devons éviter le ghetto.

L’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM) a pris fermement la défense des émissions religieuses de la RTS. N’est-ce pas gênant?
BL: Cela montre que l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM) a perçu la pertinence de notre travail, dans sa dimension œcuménique et interreligieuse. Nous ne sommes pas là pour hurler avec les loups en disant que tous les musulmans sont des terroristes en puissance, mais pour avoir une perception claire et intelligente de l’islam en Suisse. Nous essayons d’avoir un regard juste, équilibré, honnête de ce qu’est le fait religieux. Si «No Billag» devait passer, les fondamentalistes musulmans, et aussi chrétiens, se verraient ouvrir une porte supplémentaire pour leur propagande sans trop se soucier du respect de l’autre.

Lausanne le 16 janvier 2017. Bernard Litzler, directeur de Cath-info et Michel Kocher, directeur de Médias-pro. | © B. Hallet

 

 

 

MK: Au-delà de l’appréciation de nos compétences professionnelles, l’aspect novateur est peut-être l’accueil d’une autre foi, dans le respect de la croyance en tant que telle. Les croyants accueillent d’autres croyants avec respect et bienveillance. Dans une économie du strict marché, telle que proposée par «No Billag», je ne suis pas sûr que cette qualité-là puisse être préservée. Selon la loi du plus fort, celui qui aura la plus «Grosse Bertha» aura seul droit à la parole. Vaut-il mieux que les musulmans puissent recevoir dans nos médias un traitement honnête et équitable ou qu’ils développent des radios communautaristes financées par l’Arabie Saoudite ou l’Iran?

Avec le développement d’internet et des réseaux sociaux, sans parler des radios et télévisions étrangères, le catholique ou le protestant peut facilement trouver ailleurs de quoi nourrir sa foi.
MK: Oui certes, mais les cultures religieuses, tant catholique que protestante, sont différentes d’un pays à un autre. Les produits des pays étrangers ne sont pas l’expression du milieu dans lequel je me trouve. Je serai donc rapidement en porte-à-faux, par exemple avec un catholicisme français qui évolue dans un cadre social assez différent de celui de la Suisse romande. Il est difficile d’avoir la tête en France et les pieds en Suisse. Ce que nous faisons représente le génie propre de la Suisse romande.

«Les Romands bénéficient avec RTSreligion d’une offre pratiquement unique en Europe»

BL: Aujourd’hui, l’idée du «consommer local» revient en force. Elle s’applique aussi aux médias. Au regard de la Suisse romande, personne ne pourra faire aussi bien que RTSreligion. Les 25’000 signatures de la pétition récoltées en 2016 pour le maintien des émissions religieuses à la RTS montrent que le public s’y retrouve et qu’il y est attaché. Un public qui comprend d’ailleurs aussi de très nombreuses personnes distancées des Eglises institutionnelles. Car notre travail n’est pas d’être le porte-voix de nos institutions.

Certains évangéliques sont aussi tentés par «No Billag». Ils y voient la possibilité de mieux développer leur travail médiatique.
BL: Certains rêvent d’occuper la place que libérerait RTSreligion, dans le sens où la nature a horreur du vide. Des ‘vrais’ catholiques ou des ‘vrais’ protestants croient pouvoir développer ainsi leur propre expression de la foi. Mais elle serait certainement plus fermée par rapport à la collaboration œcuménique que nous vivons depuis plusieurs décennies. Cela pose donc un problème de contenu. Et je ne parle même pas des questions de financement pour de nouvelles émissions évangéliques ou traditionalistes. Les Romands bénéficient avec RTSreligion d’une offre pratiquement unique en Europe, avec une large palette d’émissions radio et télévision.

«La religion n’est pas un marché»

MK: Globalement, les évangéliques restent favorables au service public. Ils peuvent, c’est vrai, se sentir parfois un peu frustrés dans leur expression par les protestants. Mais de fait, nous leur faisons une place dans la mesure de ce qu’ils représentent dans la société. Nous avons aussi observé que les évangéliques ne sont pas toujours prêts à venir se frotter à une culture pluraliste et à défendre leur avis de minoritaires, par exemple sur l’homosexualité.

Lausanne le 16 janvier 2017. Bernard Litzler, directeur de Cath-info et Michel Kocher, directeur de Médias-pro. | © B. Hallet

Pas mal d’institutions, que l’on jugeait naguère intouchables, ont été privatisées. En suivant un système de marché, elles ne s’en portent pas forcément plus mal.
MK: La religion n’est pas un marché, elle ne peut pas et ne doit pas l’être. La religion s’exprime dans des communautés qui vivent ensemble et travaillent pour le bien commun. Répondre aux lois du marché impliquerait une approche communautariste que nous ne voulons pas. C’est l’exact contraire d’une démarche œcuménique.

BL: Je dirais que le service public est une notion éminemment chrétienne dans le sens d’un service au public, dans la perspective du bien commun. Offrir une information solide et claire permet au public de se forger une opinion, y compris en Eglise. Si «No Billag» est accepté, on met aussi à bas l’ensemble de la loi sur la radio et la télévision (LRTV) et tous les garde-fous qu’elle pose. (cath.ch/mp)


Texte complet de l’initiative

Initiative populaire fédérale ›Oui à la suppression des redevances radio et télévision (suppression des redevances Billag)’

La Constitution est modifiée comme suit :

Art. 93, al. 2 à 6
2 al. Supprimé : La radio et la télévision contribuent à la formation et au développement culturel, à la libre formation de l’opinion et au divertissement. Elles prennent en considération les particularités du pays et les besoins des cantons. Elles présentent les événements de manière fidèle et reflètent équitablement la diversité des opinions.


Ces impératifs disparaissent de la loi fondamentale. La démocratie et le fédéralisme ne sont plus protégés dans les médias audiovisuels. 


3 La Confédération met régulièrement aux enchères des concessions de radio et de télévision.


La production et la diffusion de radio et de télévision en Suisse sont régies uniquement par des considérations économiques. Les opérateurs suisses ou étrangers ayant le plus de moyens achètent le droit de diffuser leurs programmes.


4 Elle ne subventionne aucune chaîne de radio ou de télévision. Elle peut payer la diffusion de communiqués officiels urgents.

5 Aucune redevance de réception ne peut être prélevée par la Confédération ou par un tiers mandaté par elle.


La Confédération ne peut pas financer l’audiovisuel par la subvention. Tout financement de la radio et de la TV par l’impôt ou par un autre financement public fédéral est interdit.


5 al. Supprimé: Les plaintes relatives aux programmes peuvent être soumises à une autorité indépendante.


Pour le public, les possibilités de recours en cas de désaccord sur un programme sont réduites.


6 En temps de paix, la Confédération n’exploite pas ses propres chaînes de radio ou de télévision.


C’est déjà le cas aujourd’hui.


Art. 197, ch. 122

12.Disposition transitoire ad art. 93, al. 3 à 6

1 Le Conseil fédéral édicte le 1er janvier 2018 au plus tard les dispositions d’exécution nécessaires si les dispositions légales ne sont pas entrées en vigueur à cette date.
2 Si le peuple et les cantons acceptent l’art. 93, al. 3 à 6, après le 1er janvier 2018, les dispositions d’exécution nécessaires entrent en vigueur le 1er janvier de l’année qui suit celle de la votation.
3 Les concessions donnant droit à une quote-part de la redevance sont abrogées sans dédommagement le jour de l’entrée en vigueur des dispositions légales. Sont réservés les dédommagements dus pour les droits acquis couverts par la garantie de la propriété.


Dès le 1er janvier 2019, les programmes de la RTS, de la SSR et de nombreuses chaînes régionales radio-TV ne sont plus financés et sont contraints de cesser leur diffusion.

Emission de la RTS 'Faut pas croire' La journaliste Aline Bachofner devant l'arbre à palabres dans le studio STIM
20 janvier 2018 | 10:16
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 7 min.
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