Nomination refusée de l’historien Denis à la Faculté de Strasbourg (270193)
ARM met en cause Mgr Brand dans un dossier consacré à cette «affaire»
Paris, 27janvier(APIC) «Existe-t-il, en histoire aussi, une vérité absolue, indiscutable, qu’il convient de ne pas transgresser?» La question est
posée par «L’Actualité religieuse dans le monde» (ARM) à propos de l’opposition de Rome à la nomination du dominicain belge Philippe Denis à la
chaire d’histoire de l’Eglise de la Faculté de théologie catholique de
Strasbourg. Dans sa livraison de janvier, le mensuel fait le point sur cette affaire, en s’intéressant surtout aux explications fournies par les autorités ecclésiastiques elles-mêmes.
Une histoire «banale en apparence», écrit le journal, mais qui n’est pas
unique, une histoire regrettable dans la mesure où «elle abime la réputation d’un homme; elle génère le scandale dans la communauté scientifique;
elle accrédite l’image d’une Eglise autoritaire, peu perméable au débat
d’idées, d’une Eglise héraut des droits de l’homme, qui a du mal à se les
appliquer».
Né à Liège, Philippe Denis, 41 ans, est membre (non prêtre) de l’Ordre
des Frères dominicains. Ce docteur en histoire de l’Université de Liège
avait été informé, en juillet dernier, du refus romain de le voir enseigner
à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg, poste auquel cette Faculté l’avait proposé. Plusieurs motifs à ce refus avaient été avancés et
même confirmés par la Communauté dominicaine de la Ferme de Froidmont: «Rome aurait été indisposé par l’engagement de Philippe Denis contre l’apartheid et par sa collaboration au quotidien «Le Soir» (Bruxelles) et plus
vraisemblablement par ses dossiers sur le mouvement «Communion et Libération» (1984), sur l’Opus Dei et surtout sur la formation des séminaristes
du diocèse de Paris (1989). La décision romaine avait été qualifiée d’»arbitraire» par le Père Ignace Berten, supérieur des dominicains de BelgiqueSud et responsable de la Communauté de Froidmont.
La Faculté strasbourgeoise ayant désigné Philippe Denis, la nomination
requérait encore l’approbation explicite de l’évêque du lieu, Mgr Charles
Amarin Brand. Ce dernier, en vertu de la déclaration «Sapientis christiana»
sur les universités catholiques, était tenu de demander le «nihil obstat» à
la Congrégation pour l’éducation catholique à Rome.
Echange de messages
L’ARM a eu accès aux messages échangés entre l’historien belge et Mgr
Brand. Ce dernier, après avoir minimisé son rôle, disant à divers interlocuteurs n’être qu’un «fusible léger», une «courroie de transmission», est
plus explicite dans une lettre datée du 11 novembre 1992: «Il y aurait
peut-être lieu de vous demander, écrit-il à Ph. Denis, si rien dans vos attitudes et prises de position ecclésiales ne pourrait poser question à propos de l’aptitude spécifique à la formation au ministère presbytéral, et
notamment au ministère des prêtres diocésains».
Sur l’intervention d’Ignace Berten, provincial de Belgique dont dépend
le professeur Denis, et en lien avec son confrère de France, l’Ordre des
dominicains à Rome adresse alors une requête auprès de la Congrégation pour
l’éducation catholique, ainsi qu’auprès du cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
La version romaine
l’ARM complète son information en donnant la «version romaine». «Des
sources autorisées au Vatican» soulignent que la décision a été prise par
Mgr Brand en sa qualité de chancelier de la Faculté catholique strasbourgeoise. C’est sur la base du dossier qu’il a constitué que la Congrégation
romaine a formulé un avis «en conformité avec les procédures établies par
«Sapientis christiana», à partir des informations réunies par l’archevêque
de Strasbourg».
Le dicastère romain a lui-même recueilli un certain nombre d’éléments,
qui ont été confrontés avec des informations en provenance de Mgr Brand. On
insiste à Rome sur le caractère objectif de la méthode utilisée. Et on explique qu’en gardant confidentiels les motifs d’entériner l’élection de Ph.
Denis, on permet au candidat «de préserver sa réputation et son prestige
académique et de réitérer sa demande d’habilitation après un certain délai
et moyennant des amendements qui lui sont, le cas échéant, suggérés».
Les contacts pris par la revue laissent entendre que «les objections à
l’encontre de Ph. Denis sont de nature ecclésiologique». En cause, «certaines attitudes, prises de position ou déclarations (pas forcément écrites),
critiquant des points décisifs de l’ecclésiologie, comme l’infaillibilité
pontificale et l’autorité des évêques. Les critiques auraient revêtu un
tour si radical qu’elles poseraient un problème de compatibilité avec une
tâche d’enseignement au sein d’une faculté de théologie fréquentée par des
candidats au sacerdoce».
Si tel est le cas, l’affaire est grave, commente ARM. «Car on ne peut
trouver dans l’oeuvre de Philippe Denis nulle affirmation mettant en cause
le principe de l’infaillibilité ni l’autorité épiscopale. Tout juste lui
est-il arrivé de montrer, en historien et en informateur religieux, comment
cette autorité pouvait s’exercer dans tel cas précis et de suggérer, à
partir d’exemples concrets, analysés sans souci de polémique, qu’une tendance disons «restauratrice» avait le vent en poupe dans l’Eglise».
Pour l’ARM, qui fait état du soutien actif apporté au professeur Denis
par son Ordre et bon nombre d’historiens, le dossier n’est pas clos: le poste à pourvoir sera publié, et rien n’empêche le dominicain belge de reposer sa candidature… (apic/cip/arm/pr)