Kenya : Le cardinal John Njue commente la nouvelle constitution et le mariage des prêtres
››Nous avons le devoir de déterminer notre propre destin’’
Nairobi, 6 juillet 2010 (Apic) Le cardinal John Njue, archevêque de Nairobi et président de la conférence épiscopale kenyane, plaide pour une meilleure constitution en vue d’amener la paix au Kenya. Mais il reste toujours intraitable et intransigeant en matière du respect de la vie et de la dignité humaine.
Le prélat appelle les autorités politiques et le peuple kenyan à faire preuve du bon sens et de la raison en rappelant que « tant que les problèmes qui divisent les Kenyans et cause des divergences d’opinions, notamment la terre, l’avortement, la famille et le respect de la vie ne sont pas corrigés, l’Eglise rejetera la nouvelle constitution ». Commentant les affaires de prêtres qui se sont détachés de leur ministère pour se marier, il rappelle que « on devient prêtre librement, raison pour laquelle nul ne devait avoir d’excuses en cas de ses défaillances vis-à-vis de discipline de l’Eglise ».
Apic: Eminence, pourriez-vous nous parler des difficultés liées au projet de nouvelle constitution?
Cardinal Njue : En 2005, lors du référendum, une constitution a été rejetée. Puis, après les élections de 2007, le parlement a senti le besoin de revoir encore ce projet, et deux comités ont été mis en place: le Comités des experts et le Comité parlementaire sélectionné. Ils ont proposé un document quia été mis en consultation. Et nous, évêques catholiques, avons relevé quelques éléments qui nécessitent d’être retouchés. Il s’agit d’éléments concernent essentiellement la vie, les Kadhi (les tribunaux islamiques, ndrl), la famille, et la santé reproductive. Nous avons indiqué que le terme «avortement » ne devait pas y apparaitre. Quant aux tribunaux Kadhi, nous avons jugé qu’ils peuvent exister, mais pas dans la constitution. Nous avions émis beaucoup de commentaires, mais malheureusement quand le document final était sorti, la plupart de nos critiques et suggestions sont restées ignorées.
Apic : Qu’avez-vous donc entrepris ?
Cardinal Njue: Entretemps, nous nous sommes arrangés avec les Eglises protestantes et avons rencontré le Président de la République et le Premier Ministre pour discuter de ce projet. Cette démarche a abouti à la création d’un comité relatif au Kitiba, c’est-dire le projet de constitution, en Swahili. Il comprend les représentants du gouvernement et ceux des Eglises. En fin de compte, le conseil des ministres a décidé que ce document serait transmis au bureau de l’avocat général pour publication, afin permettre à la population de se préparer en conséquence au référendum d’août prochain. C’est là où nous en sommes pour le moment: la préparation du référendum. Les Eglises catholique et protestantes ont relevé certains éléments à rejeter. Et elles ont demandé que cette constitution soit réétudiée attentivement, car elle compromet l’avenir du Kenya. Ce qui nous inquiète le plus est qu’après examen, il semble que ces éléments problématiques ne soient pas l’œuvre des Kenyans, mais plutôt de forces extérieures. Et en tant que Kenyans, nous avons le devoir de déterminer notre propre destin au lieu d’être le champ des pouvoirs extérieurs
Apic : Y avait-il réellement un besoin de changer la constitution ?
Cardinal Njue : J’estime que oui, car la constitution actuelle est celle du temps de l’indépendance du Kenya, et elle était influencée par le régime colonial. Le seul problème est que, même si le changement de constitution est important, celle-ci doit respecter les valeurs humaines de la société. Si vous impliquez des articles tel que l’avortement, celui-ci n’émane pas de notre culture, pas même de la vie. Ceux qui promeuvent le document tel qu’il est, oublient que même un seul oiseau peut ébranler un arbre.
Apic : Trois points de divergences apparaissent dans ce projet de constitution, notamment les Kadhi, la famille (le respect de la vie dans toutes ses phases), et la terre. Est-ce que toutes les églises chrétiennes partagent les mêmes opinions sur ces sujets ?
Cardinal Njue : Oui. Particulièrement sur la vie, la famille, et les Kadhi. Certains estiment que nous devrions laisser passer la constitution et attendre les occasions d’amendements. Si nous observons bien, ce genre de procédure d’amendement est tout à fait impossible, raison pour laquelle nous demandons que les rectifications soient faites avant le référendum.
Apic : Les Eglises chrétiennes ne sont-elles pas en retard pour contester l’implication des Kadhi dans la constitution, vu qu’ils existaient déjà depuis l’indépendance ?
Cardinal Njue : Non, nous ne sommes pas en retard. Car, les Kadhi existaient uniquement sur une terre de prolongement de dix kilomètres sur la côte. C’était une imposition du sultan. Et quand cette terre a été acquise, le maintien de ces Kadhi a été imposé comme condition. Dire qu’on ne peut pas les changer n’est pas du tout valable. Ce que nous demandons est question d’égalité et de justice. Premièrement, le sens d’égalité doit être respecté au lieu de privilégier une seule religion. Deuxièmement, ce n’est pas réellement juste qu’une religion particulière, qui est basée sur la partie côtière, soit une affaire de l’Etat. Mais si les Kadhi sont reconnus aujourd’hui au Kenya, laissez-les continuer, comme c’est le cas pour nos propres tribunaux, aussi longtemps que nos propositions auront été reconnues par l’Etat.
Apic : Est-ce que toutes les confessions religieuses, et notamment l’islam, ont été concertées et incorporées dans la commission d’élaboration de ce projet constitutionnel ?
Cardinal Njue : Le dialogue continue au sein de la NCCK (National Council of Churches of Kenya / Conseil National des Eglises au Kenya). Nous avons toujours travaillé ensemble sur cette constitution. Nous avons mené aussi des dialogues avec les musulmans depuis le référendum de 2005. Malheureusement l’équivoque est survenue au sujet de la non inclusion des tribunaux Kadhi dans la constitution.
Apic : Les Eglises chrétiennes se sont unies pour contester les Kadhi dans la nouvelle constitution. Votre coalition n’est-elle pas un frein au dialogue avec l’Islam ?
Cardinal Njue : La foi chrétienne impose une tolérance et un dialogue franc. Tant mieux qu’entre nous, chrétiens, nous parvenions à dialoguer et à s’entendre sur certains sujets. Nos frères musulmans se cramponnent aux Kadhi et tentent de les faire passer dans la constitution alors que ceux-ci devraient regarder exclusivement les musulmans, tandis que la constitution concerne tous les citoyens : les chrétiens, les musulmans et les autres. Donc nous ne sommes pas contre les nos frères musulmans comme certains le prétendent. Nous soutenons seulement ce qui est valable pour la constitution.
Apic : Lors du vote sur la constitution, ne craignez pas la reprise des violences entre partisans et opposants, comme après les élections de 2007?
Cardinal Njue : Nous sommes en train d’éduquer nos gens sur cette question. Nous les aidons à comprendre les éléments problématiques, et à prendre une décision responsable. Je ne crois pas que les gens finiront par se haïr mutuellement. Nous faisons tout pour les aider à bien comprendre les enjeux. Par exemple, au sujet du respect de la vie et de la dignité humaine, je ne comprendrais pas une communauté soutenant la suppression de la vie des enfants non encore nés.
Apic : Autre sujet : le mariage des prêtres. C’est aujourd’hui un problème très sérieux au sein de l’Eglise catholique et au Kenya. Quel est votre position ?
Cardinal Njue : Selon les principes de l’Eglise catholique romaine, quiconque veut devenir prêtre doit observer le célibat. Or, personne n’est forcé à la prêtrise. On y va librement et en toute disponibilité. Néanmoins, certains prêtres ont pu avoir des enfants, des familles même. Particulièrement dans ce pays ; il existe une loi sur l’acte des enfants selon laquelle tout enfant né doit être non seulement protégé mais aussi élevé convenablement ; il a besoin d’être accompagné etc. Nous sommes très clairs sur ce sujet. Si un individu se sent incapable de continuer de vivre dans le célibat, des procédures existent. Nous n’acceptons pas que quelqu’un qui reste dans la prêtrise s’engage en même temps discrètement dans une relation familiale. C’est pourquoi nous, évêques catholiques, avons édité un projet de directives aux prêtres, lequel a été lancé le 30 juin à la clôture de l’année sacerdotale.
Apic : Avec le succès des nouveaux mouvements religieux ou des sectes comme vous le dites, ne craignez pas que vos églises se vident?
Cardinal Njue: Les gens empruntent souvent un court chemin soi-disant pour trouver une solution rapide à leur problème. Tout doit tourner autour de la fidélité, et la fidélité seulement, dans le respect du serment tenu avec Dieu, et le respect des enseignements de l’Eglise catholique. Nous espérons éduquer nos fidèles et les aider à bien mûrir dans leur foi chrétienne mais au final, le choix et la liberté de chacun doivent être entièrement respectés.
Apic : Il y a quelques mois que le synode africain a été clos à Rome. Certains critiquent le fait que les Eglises africaines se modèlent aux Eglises européennes. Pensez-vous que ce synode a aidé les Eglises africaines à incarner la foi et la vivre à l’africaine ?
Cardinal Njue : Je ne pense pas qu’il soit juste de dire que les Eglises africaines ont oublié leur culture et embrassé celle des Européens. D’abord, je rappelle que nous formons tous une seule Eglise, catholique et apostolique. Vous vous souvenez que le premier synode africain a eu lieu en 1994, et il a été rappelé que nous appartenons à une seule famille, celle de Dieu, avec notre identité et dignité propre. De là, est survenue la question de l’inculturation, au niveau même de la liturgie et des autres sujets pastoraux. Même si nous vivons notre propre identité, nous faisons partie de l’Eglise universelle. Le synode nous a aidés à entrer dans les mains de Dieu et à promouvoir la justice et la paix là où nous sommes, au Kenya ou en Ouganda et ailleurs, toujours en vue de renforcer notre structure familiale. L’Eglise africaine a des défis à relever, notamment la pauvreté et la violence mais elle ne s’est pas oubliée. Nous sommes capables de pousser vers l’avant, et l’Eglise sera un jour florissante. On a rappelé que certaines politiques peuvent profiter de l’ignorance de la population pour prendre en otage toute la communauté. Quand je réfléchis sur la violence de 2007-2008 ici au Kenya, je me demande qui sont réellement ces gens qui tuaient. Le comble du malheur est que la plupart étaient chrétiens. Ils doivent avoir été mal utilisés par les politiciens qui veulent se maintenir au pouvoir. J’y vois alors un grand besoin d’éduquer les gens, de les rendre attentifs au respect de l’autre, et de leur enseigner les valeurs morales pour construire la dignité personnelle.
Apic : Merci de nous avoir accueillis et accordé ce petit moment d’interview.
Cardinal Njue: C’est moi qui vous remercie. Que Dieu vous bénisse et vous assiste toujours dans votre si beau métier de journaliste. (apic/ts/bb)