Blake, de la troisième génération, constate "des traumatismes générationnels" | © Anna Kurian/I.Media
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«Nous ne savons pas qui nous sommes», témoignent les autochtones

Au lendemain de l’arrivée du pape François au Canada, des milliers de chefs autochtones, anciens et survivants des écoles résidentielles se sont rassemblés à Maskwacis, dans la province de l’Alberta, pour le rencontrer, le 25 juillet 2022. Le pape s’est recueilli dans un cimetière abritant des restes d’enfants autochtones et devant le site d’un ancien pensionnat. Dans la foule, I.MEDIA a rencontré des enfants de survivants et personnes engagées pour la réconciliation.

Blake, 35 ans, de Tender Bay en Ontario, mais originaire de Gold Bay dans le Manitoba, a entrepris quatre jours de voyage pour venir à ce rassemblement. Coiffé d’un chapeau et vêtu d’un vêtement traditionnel chaud en ce jour de pluie, Blake se présente comme un enfant de la «troisième génération»: ses grands-parents étaient des élèves des pensionnats catholiques. 

«J’ai évité ce sujet un certain temps, je n’arrivais pas à exprimer mes émotions», confie celui qui a grandi «dans la pauvreté, à cause du colonialisme qui nous parque dans des réserves». Il dénonce «un véritable cercle des abus, abus physiques, traumatismes qui demeurent». Mais surtout, Blake constate les traumatismes intergénérationnels: «Ma grand-mère était incapable de montrer de l’affection à ses enfants. Elle était très stricte, dure, et je pense que ce sont les abus qu’elle a subis qui ont causé cela. Je vois bien comment cela affecte toute ma vie, et toute ma famille, mes cousins…».

Exprimer les blessures

La visite du pape est donc «très historique et très significative». Faisant état de sentiments mitigés de joie et de tristesse, le jeune homme attend «de savoir ce qu’il va se passer ensuite». «Je pense que les autochtones doivent être encouragés à exprimer ces blessures», conclut-il. 

Originaire de Georgian Bay, dans la région des Grands Lacs, sœur Eva est religieuse des Sisters of St. Joseph of Sault Ste. Marie. À l’âge de 4 ans, cette fille de survivants n’est pas allée elle-même en école résidentielle. Mais âgée de 16 ans, en 1959, elle est témoin d’un grave accident. Ce drame la marque profondément.

«Je me suis demandé: pourquoi faisons-nous cela, pourquoi nous faisons-nous du mal? Parce que nous ne savons pas qui nous sommes. Nous n’avons pas le sens de notre dignité», explique-t-elle, alors que les autochtones dénoncent aujourd’hui le «génocide culturel» dont ils ont été victime au Canada. Dès lors, elle se consacre à la mission auprès des peuples natifs du Canada. Arborant fièrement le vêtement traditionnel de son peuple et des plumes dans ses tresses, Sœur Eva se dit très heureuse d’être présente à cet événement qu’elle attend depuis des années. 

Les conséquences de la Doctrine de la découverte

Dans la foule de Maskwacis, est présent aussi un groupe de six jésuites et sept autochtones, dont trois survivants, venus de tout le territoire canadien – Winnipeg, Tander Bay, North Bay, Manitoulan Island. Le groupe, engagé depuis des années dans le travail de réconciliation, anime notamment des ›Cercles d’écoute’ inspirés des pratiques indigènes.

«Les personnes qui cheminent avec nous sont très blessées culturellement», confie Erik Oland, provincial des jésuites du Canada. Pour le religieux, l’Église a un rôle particulier car c’est la «Doctrine de la Découverte», avalisée par la bulle papale Inter Caetera de 1493 – qui est «la racine de tout cela». Ce document donnait aux nations européennes le droit de s’approprier les terres qui étaient auparavant occupées par des personnes non-chrétiennes. 

«Nous plaidons pour que ce soit abrogé, affirme le père Oland. Nous ne pouvons pas nier que ça a existé, mais nous pouvons dire officiellement que ce n’est plus le cas. Or l’Église ne l’a jamais fait!»

L’histoire du Canada est marquée par cette mentalité, souligne-t-il encore. «Tout le pays a adhéré à cette Doctrine de la découverte selon laquelle les cultures européennes avaient plus de valeur que d’autres». Et de dénoncer: «Nos frères et sœurs des Premières Nations sont encore marginalisés dans les réserves que le gouvernement leur a données, ils sont encore marginalisés dans les rues de nos grandes villes». 

Dans ce contexte, la visite du pape «donne de l’espoir», se réjouit-il. Le jésuite plaide pour un nouveau modèle missionnaire où «ce n’est pas l’Église qui arrive avec toutes les réponses, mais où l’on entame un dialogue pour travailler ensemble». Il promeut aussi l’inculturation de la liturgie au sein des traditions autochtones. (cath.ch/imedia/ak/bh)

Blake, de la troisième génération, constate «des traumatismes générationnels» | © Anna Kurian/I.Media
26 juillet 2022 | 08:55
par I.MEDIA
Temps de lecture: env. 3 min.
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