Berne: Rencontre avec Nicolas Blancho, président du Conseil central islamique suisse
Nous sommes indépendants: notre argent vient de Suisse, pas de l’étranger!
Berne, 17 février 2011 (Apic) A la veille du premier Congrès islamique suisse intitulé «La façon de concilier l’identité islamique avec l’époque moderne», qui se tiendra samedi 19 février au Palais des Congrès à Bienne, l’Apic a rencontré son initiateur, Nicolas Blancho, président du Conseil central islamique suisse (CCIS). Au numéro 1 du Hochbühlweg, une ruelle située non loin de la gare et de l’Université de Berne – où le Biennois prépare un bachelor en sciences islamiques et droit suisse –, pas la moindre indication sur les boîtes aux lettres.
«C’est une mesure de précaution, on a reçu au début 2010 des lettres d’insultes, même des menaces de mort. On a peint des phrases hostiles sur certains murs de la ville. Nous voulons éviter des actes de violence, c’est pourquoi on ne veut pas attirer l’attention…»
Dans son bureau, entouré de livres à la belle calligraphie arabe dorée, le jeune Suisse converti – issue d’une famille chrétienne, fils d’un Français et d’une Bernoise, il a franchi le pas il y a une décennie, quand il avait 16 ans – se veut rassurant. Il n’a pas porté plainte et ne craint rien: ses activités peuvent être surveillées par la Police fédérale, «car nous n’avons rien à cacher, tout est transparent chez nous».
«Vous pouvez trouver les statuts du CCIS sur notre site internet www.izrs.ch/, nous suivre pas à pas, participer à nos assemblées, aller dans les mosquées, elles sont ouvertes à tous!», nous indique Nicolas Blancho d’une voix posée.
Apic: A propos de transparence, combien le CCIS compte-t-il de membres, et d’où viennent-ils ?
Nicolas Blancho: Le CCIS est en pleine expansion: nous comptons désormais près de 2’000 membres. Notre organisation, qui est nationale, reflète l’image de la présence musulmane en Suisse. Nos membres sont en majorité de provenance albanaise, du Kosovo essentiellement, mais on rencontre également des Bosniaques, des Turcs, des Arabes de divers pays… Les Suisses et les naturalisés sont minoritaires.
Apic: Comment le CCIS finance-t-il ses activités ?
Nicolas Blancho: L’argent vient des membres. Comme je l’ai dit, ce sont près de 2’000 membres qui paient 50 francs suisses de cotisation, ce qui fait déjà une belle somme. Ensuite, nous recevons des dons de personnes privées, sans parler du sponsoring de certaines entreprises. Mais rassurez-vous: il n’y a que de l’argent de Suisse, rien de l’étranger.
On est ainsi indépendants sous tous les aspects ! On trouverait problématique d’être financés par des pays étrangers, comme la Mosquée de Genève l’est par l’Arabie Saoudite… On ne veut pas que notre liberté soit ainsi limitée. Le CCIS échappe par conséquent à ces influences extérieures. De toute façon, nous respectons l’ordre constitutionnel suisse.
Apic: Combien va coûter le Congrès de samedi à Bienne ?
Nicolas Blancho: L’entrée du Congrès est libre, il n’y a pas de frais d’inscription et le montant des contributions est laissé à chacun. Ce sont d’abord nos membres que nous attendons: entre 700 et 1’000 d’entre eux. Ils viennent de toute la Suisse. Mais, et cela nous étonne beaucoup, d’autres également se sont annoncés en provenance d’Italie, de France, d’Allemagne, de Belgique, et même de Suède. Il est vrai que les frais sont là: entre 50 et 70’000 francs pour tout le Congrès. Ils seront couverts par des dons, et la location du Palais des Congrès est payée par des sponsors. Nous sommes une organisation professionnelle et nous payons évidemment les frais des orateurs invités.
Apic: Justement, à propos des orateurs invités, outre le cheikh Yousouf Estes, un ancien missionnaire évangélique américain, et la journaliste anglaise Yvonne Ridley, tous deux des convertis, il y a encore l’imam controversé de la grande mosquée de Pristina, Shefqet Krasniqi. Il n’a pas hésité à affirmer que «Mère Teresa faisait partie des enfers»…
Nicolas Blancho: D’une certaine façon, tout le monde est controversé… Nous ne sommes pas d’accord avec certaines de ses paroles, mais cet imam est très représentatif de la communauté albanaise, c’est l’imam principal du Kosovo. Nous devons accepter d’entendre certains points de vue avec lesquels nous ne sommes pas forcément d’accord. On doit pouvoir débattre, nous sommes une plate-forme ouverte aux discussions controversées!
De toute façon, nous avons fait savoir que les orateurs devaient s’en tenir au thème du Congrès, à savoir l’identité islamique dans les temps modernes. Si un orateur dérape, il sera prévenu par le modérateur, et le cas échéant son discours sera interrompu. Tout sera traduit en allemand, en anglais et en français. Et s’il y a une surveillance policière, elle sera la bienvenue, nous n’avons rien à cacher!
Apic: Ce que craint une partie du public suisse, c’est le visage d’un certain islam intégriste, incompatible avec notre Etat de droit. Par exemple le sort réservé aux femmes…
Nicolas Blancho: En réalité, l’islam ne contredit pas l’égalité hommes-femmes. Le plus grand problème, ce sont certaines traditions, qui ont leur source dans l’héritage culturel de sociétés musulmanes, mais ce n’est pas là le fondement de l’islam. Pour nous, l’islam est compatible avec la démocratie: c’est un système politique parmi d’autres, et c’est certainement le plus valable en Suisse et en Europe. Nous respectons la Constitution de ce pays.
Apic: Vous défendez pourtant le port du voile islamique intégral, l’érection d’écoles privées islamiques, la séparation des garçons et des filles à la piscine… en fait, une «société parallèle» pour les musulmans.
Nicolas Blancho: Ce que nous voulons d’abord, c’est établir des structures administratives efficaces pour les musulmans de Suisse, pour pouvoir agir sur le plan politique, mener un discours public, pour faire face aux discriminations dont sont victimes les musulmans. Ainsi, on va entreprendre des actions en justice chaque fois que l’occasion se présentera.
Certaines villes et cantons ont des velléités d’interdire le voile islamique, et dans ce cas, le CCIS va lutter pour le droit à porter le voile islamique partout, parce que c’est une prescription religieuse reconnue par la majorité des musulmans. Nous ne voulons pas forcer les femmes à porter le foulard islamique ou le niqab (voile intégral complété par une étoffe ne laissant apparaître qu’une fente pour les yeux, ndr), mais nous battre pour qu’elles aient la liberté de le porter ou non. Nous réagissons immédiatement à toute atteinte à notre liberté.
Mais il n’est pas prévu de combattre l’interdiction du voile pour les enseignants, car on ne peut – peut-être – pas revenir en arrière dans ce cas. Mais nous nous préparons pour les autres atteintes à nos droits. Notons d’autre part que le problème du niqab n’existe pas en Suisse, et ce serait par conséquent ridicule de l’interdire par une loi.
Apic: Que dites-vous face aux accusations de «communautarisme» ?
Nicolas Blancho: Le «communautarisme» dont on nous accuse ? En Suisse, on n’est ni en France ni en Grande-Bretagne, où les musulmans ont été confinés dans des ghettos. Ce n’est pas notre modèle. Oseriez-vous vous en prendre aux juifs de Suisse comme on peut le faire avec les musulmans ? Pensez-vous qu’ils ne sont pas eux aussi «communautaristes» ? Et les catholiques, qui disposent d’écoles privées confessionnelles ?
A part cela, dans le cas de la polémique sur les crucifix dans les écoles en Valais, le CCIS a défendu la présence de croix dans les salles de classe, car cela fait partie de la tradition dans ce coin de pays. Nous sommes opposés à ce qu’on les bannisse, et nous l’avons fait savoir publiquement: il faut préserver la liberté religieuse pour tous. Quant à savoir si le CCIS doit dénoncer le manque de liberté religieuse dans certains pays musulmans? Il faut dire que comme CCIS, nous ne sommes pas responsables des problèmes que rencontrent les minorités chrétiennes à l’étranger. On ne peut pas intervenir partout, on a déjà assez de problèmes à résoudre en Suisse.
Apic: Sentez-vous un certain ostracisme à votre égard de la part des autres organisations islamiques en Suisse ?
Nicolas Blancho: Cette méfiance à notre égard est normale, car nous représentons, face à eux, un changement de paradigme: nous sommes une organisation des musulmans à la base. Les organisations dont vous parlez sont des organisations faîtières et «élitaires», mais que représentent-elles pour la masse des musulmans en Suisse? Elles ne sont pas transparentes et personne ne les connaît parmi les fidèles qui fréquentent les mosquées. EIles ont des mosquées où certains imams ignorent l’allemand ou le français, et ne connaissent pas la réalité suisse.
La Fédération des organisations islamiques faîtières de Suisse (FOIS), présidée par Hisham Maizar, n’avait pas de statuts jusqu’en 2010. En 2006, il y a eu des discussions entre ce dernier et Farhad Afshar, président de la Coordination des organisations islamiques en Suisse (COIS). Ces discussions ont échoué, car ils ne sont pas d’accord entre eux!
On a également eu des discussions avec elles, en 2009-2010, lors de la fondation du CCIS, mais cela n’a rien donné non plus. Nous, au CCIS, nous ne voulons pas travailler en petit comité. Notre point de vue, c’est celui d’une représentation directe des fidèles, à la base, et nous mettons le poids sur l’individu musulman. L’avenir montrera que nous avons raison! (apic/be)