"L’arbre, lui, sait dire l’unique, sans pensées ni mots" (Jean Lavoué) | © Lucienne Bittar
Dossier

Ode au Créateur, le temps d’une bal(l)ade aux arbres 1/4

11 juillet 2025 | 17:00
par Lucienne Bittar
arbre (3), Bible (174), Création (24), écologie intégrale (43), écospiritualité (1), ECR (77), nature (2), spiritualité (126)
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Les arbres… Sans eux, la vie sur terre serait compromise. Comment s’étonner de la place qu’ils occupent dans toutes les traditions spirituelles et religieuses? En cet été 2025, cath.ch a décidé d’aller à leur ombre et à leur écoute.

«Heureux l’homme qui ne marche pas selon le conseil des méchants (…) Mais qui trouve son plaisir dans la loi de l’Éternel, et qui la médite jour et nuit! Il est comme un arbre planté près d’un courant d’eau, Qui donne son fruit en sa saison, et dont le feuillage ne se flétrit point: tout ce qu’il fait lui réussit.» (Psaume 1)

En cette après-midi du 12 octobre 2024, arrosée par intermittence de pluie, une dizaine de personnes traversent les parcs Beaulieu et Trembley de Genève où trônent quelques arbres centenaires. Elles marquent leur promenade de haltes devant un érable sycomore, un cèdre du Liban, un chêne, écoutant des textes bibliques et poétiques qui évoquent leurs noms. Elles admirent leurs troncs majestueux et leurs branchages, caressent les écorces rugueuses, effleurent les feuilles et hument l’air parfumé de leurs senteurs…  Puis, invitées à méditer autour d’une interrogation inspirée de cette rencontre, elles reprennent leur chemin, avant de s’arrêter sous un nouvel arbre.

Organisée par le Service de la spiritualité de l’Église catholique romaine à Genève (ECR), inscrite dans le cadre de la saison de la création*, cette ›balade aux arbres’ est appelée à se renouveler le 4 octobre 2025, pour la Saint-François, dans les parcs de Chêne-Bougeries et Chêne-Bourg cette fois.
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Balade aux arbres, 12 octobre 2024, organisée par le Service de la spiritualité de l’ECR. Pause sous un cèdre du Liban | © Lucienne Bittar

Une expérience d’éco-spiritualité

Ce jour-là, les promeneurs étaient guidés par trois accompagnateurs spirituels chevronnés, membre du groupe de pilotage de ce service de l’Église: Federica Cogo, ancienne aumônière de prison et responsable dudit service, Sophie Parlatano Erbrich, écrivaine, poète formée à lAASPIR, et le Père jésuite Bruno Fuglistaller.

Curieuse d’en savoir plus sur cette démarche expérimentée il y a quelques mois, cath.ch est retournée à la rencontre de Federica Cogo et Sophie Parlatano. «Nous voulions organiser un événement d’éco-spiritualité dans la nature et en dehors des milieux paroissiaux, incarné dans le mouvement, explique cette dernière. Nous avons assez vite choisi l’arbre comme point d’appui. L’arbre est un reflet spirituel du divin et de l’humain, et nous avons choisi de l’aborder avec des lectures de poèmes et d’extraits de passages de la Bible. Car la Parole et la Poésie sont deux manières d’écouter le vivant, avec un grand V, deux portes d’accès à notre intériorité spirituelle». Le grand poète Georges Haldas, qui vécut longtemps à Genève, ne disait-il pas que la poésie touche, avec ses fulgurances, les «assises de l’être»?

Un alliage de forces et de fragilités

Expérience spirituelle qui engage le corps, le cœur et l’âme, la ›balade aux arbres’ a permis aux participants de comprendre pourquoi ces végétaux inspirent tant les chercheurs de sens et les poètes, au point qu’on leur associe volontiers des vertus, comme dans le psaume cité plus haut.

L'arbre de vie, symbole spirituel | © Lucienne Bittar

L’arbre est fait pour grandir, pour aller vers le ciel, il produit une ombre bienfaisante, offre un abri quand il pleut, accueille des vies multiples, oiseaux, insectes, lichens… Mais ce serait vite oublier qu’ils sont aussi souvent tortueux, qu’ils se font parfois mutuellement de l’ombre, et ce faisant s’empêchent de croître. Dans Ézéchiel 31, le roi d’Égypte est comparé à un cèdre du Liban qui a poussé plus haut que les autres arbres. Inégalé en beauté, il se gonfle d’orgueil et suscite de la jalousie.

«L’arbre ne reflète pas que nos beaux aspects, décrypte Sophie Parlatano, il porte aussi en lui une part de vulnérabilité, que je trouve très belle. Certains sont tordus, leurs branches cassent s’ils restent uniquement dans la force, si, trop rigides, ils ne bougent pas sous le vent.» «Les textes bibliques mettent souvent en garde contre ces ambivalences et nous invitent à ne pas se laisser trop emporter par nos élans», renchérit Federica Cogo.

La puissance de la vie

La responsable du Service spiritualité de l’ECR annonce que lors de la prochaine balade, dans le parc Stagni de la rive gauche genevoise, une halte aura probablement lieu devant les racines apparentes et les restes du tronc d’un pin majestueux attaqué par un champignon ‘féroce’. Un arbre toutefois «recyclé», puisqu’il abrite aujourd’hui des colonies d’insectes et de mousses. Une belle allégorie du passage de la mort à la vie.

Porteurs d’une symbolique variée, les arbres peuvent être une ressource précieuse face à notre morcellement intérieur, à nos angoisses. «Se trouver face à un arbre, le toucher, imaginer la sève qui se prolonge dans les racines, peut avoir des effets pacifiant. Je sens pour ma part en l’arbre, quand je m’approche de lui, une espèce de force de vie, témoigne Sophie Parlatano. Quand je le touche, je suis confrontée au réel, aux aspérités et aux failles de son écorce, à sa rugosité, aux fourmis qui y circulent. Cela ne correspond pas nécessairement à ce que j’attends et cela me surprend encore. Il y a en lui quelque chose de déchiré, il n’y a pas que le cocon.»

«Quand je le touche, je suis confrontée au réel, aux aspérités et aux failles de son écorce, à sa rugosité…»
Sophie Parlatano

La part invisible

L’accompagnante AASPIR s’émerveille de ce qu’on ne voit des arbres qu’une part de leur être. «La partie invisible de l’arbre, ses racines, est bien plus grande que sa partie visible. Cela dit beaucoup sur notre propre manière d’être.» Aussi a-t-elle lu ces vers de Marie-Noël durant la balade d’octobre 2024: «La racine n’est qu’espérance, montée patiente dans le noir vers le jour qu’elle ne sait pas et ne verra jamais.» Un renvoi à notre propre mystère et à celui du Vivant. Impossible de savoir à l’avance quel chemin la racine va tracer… ni quel chemin va emprunter Dieu pour se révéler à quelqu’un.

Sophie Parlatano, accompagnante spirituelle et poète| © Sophie Parlatano

L’arbre est relié à tous les éléments, soulignent encore les accompagnantes spirituelles. L’air, qu’il touche avec sa tête et ses branches, l’eau, qu’il va chercher avec ses racines, et la terre dans laquelle il est ancré. «Une fois mort, il prolonge sa fécondité dans le feu, produisant lumière et chaleur», souligne Federica Cogo.

«Qui dit arbre, d’ailleurs, dit présence de l’eau, de la Vie», souligne la poète. «On a donc intérêt à vivre près des arbres. Ce n’est pas étonnant que l’on parle, dans nos sociétés, d’arbre généalogique. Quand on retrace l’histoire d’une famille à travers les temps, celle-ci prend la forme d’un arbre. Cela fait partie de notre condition humaine.»

Métaphore de la réalité ecclésiale

Les arbres, commente Federica Cogo, sont des témoins de l’histoire du lieu où ils sont enracinés. «Pour moi, c’est comme si je rencontrais des ancêtres.» Et de voir aussi dans leur «vie en collectif» une belle métaphore de la réalité ecclésiale. «Les études récentes montrent que les arbres communiquent entre eux. Ils se touchent par leurs racines, dans ce qui constitue leur profondeur, mais aussi par leurs branches, leur développement extérieur. Et ce passage entre intériorité et extériorité se fait par leurs troncs, qui eux ne se touchent pas.»

Federica Cogo | © CCRFE

Pour cette responsable de l’ECR, c’est là une image des traditions religieuses. «Quand nous touchons du doigt nos propres racines, nous réalisons qu’elles retrouvent celles des autres. Nous nous reconnaissons aussi les uns les autres aux fruits que nous produisons. Mais nous gardons chacun nos différences, notre espace.»

Du temps où elle était aumônière à la prison genevoise de Champ-Dollon, se souvient-elle, il avait été question de penser un espace de célébration adapté aux gens de toutes les traditions religieuses, avec la présence d’un symbole spirituel universel. Le choix s’était finalement posé sur l’arbre, représenté depuis sur l’un des murs là-bas.

Dieu est en tout

Durant la ›balade aux arbres’, alors que la petite troupe gravite autour du magnifique cèdre du parc, un jeune noir s’approche d’un pas décidé, entoure l’arbre de ses bras, puis reprend sa route sourire aux lèvres. Un moment de grâce.

Invités durant le parcours à prendre eux aussi physiquement connaissance des arbres, à les saluer, à entrer en relation avec eux de la manière qu’ils désirent, sans obligation, les participants ont pu expérimenter ces liens tissés entre les humains et les arbres … et le Ciel.

«Dieu n’est pas l’arbre, mais il se manifeste aussi à travers l’arbre»
Federica Cogo

Ce type d’expérience spirituelle permet de rappeler que corps, cœur et âme ne font qu’un. Et que l’humain est partie intégrante de la Création. À ceux qui craindraient d’y voir une forme d’animisme, Federica Cogo soutient qu’il ne s’agit pas de sacraliser les arbres. «Dans l’éco-spiritualité, on trouve la notion de panenthéisme: Dieu est en tout. C’est différent du panthéisme qui dit que tout est Dieu. Dieu n’est pas l’arbre, mais il se manifeste aussi à travers l’arbre, il se manifeste à travers toute sa Création. C’est une question de manifestation et non d’identification. «Tout ce que l’on peux connaître par la lecture des Écritures, on peut aussi le découvrir dans le livre de la nature, car le monde entier est comme un livre écrit par le doigt de Dieu.» Cette pensée attribuée à Hugues de Saint-Victor était bien ancrée dans la vision des Pères de l’Église et manifeste combien la Création a été et continue d’être un lieu privilégié de communion avec Dieu», conclue-t-elle.

Comme l’écrivait en 1975 le poète Julos Beaucarne, après l’assassinat de sa compagne Loulou par un déséquilibré: «Il faut reboiser l’âme humaine.» (cath.ch/lb)

* La Saison de la création est un temps de prière et de solidarité œcuméniques visant à rappeler l’importance du prendre soin de la Création.

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«L’arbre, lui, sait dire l’unique, sans pensées ni mots» (Jean Lavoué) | © Lucienne Bittar
11 juillet 2025 | 17:00
par Lucienne Bittar

Les arbres… Sans eux, la vie sur terre serait compromise. Comment s’étonner de la place qu’ils occupent dans toutes les traditions spirituelles et religieuses? En cet été 2025, cath.ch a décidé d’aller à leur ombre et à leur écoute.

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