Tollé au Canada après la publication d’un rapport officiel
Ontario : Vers des tribunaux islamiques appliquant la charia
Toronto, 22 décembre2004 (Apic) L’arbitrage religieux musulman en droit civil pourrait être autorisé en Ontario. Après la publication d’un rapport officiel en Ontario, la voie pourrait être ouverte à la création de tribunaux islamiques appliquant la charia en matière familiale.
A la demande du gouvernement provincial de l’Ontario, la province la plus peuplée du Canada, et suite à la requête de l’Institut islamique pour la justice civile, sis en Ontario, la juriste Marion Boyd a rendu lundi 21 décembre un rapport, dans lequel elle estime que les musulmans résidant en Ontario ont le droit de recourir à un arbitrage religieux pour leurs différends familiaux, c’est-à-dire les arbitrages civils, «au même titre que les catholiques et les juifs».
De nombreux défenseurs des droits de l’Homme, ainsi que des associations musulmanes, se sont élevés contre le contenu du rapport, soulignant notamment qu’un tel arbitrage ne peut pas donner des droits égaux aux femmes, soumises à de fortes pressions dans le mode de vie musulman. Les arbitrages religieux en matière familiale sont déjà autorisés dans certains cas en Ontario, où imams et rabbins règlent parfois, à la demande des familles, des litiges de divorce, de garde d’enfants ou d’héritage. Une Cour de justice civile islamique a été créée en Ontario en automne 2003. Ses arbitres-médiateurs se basent sur la charia et sur la législation civile canadienne, précise Courrier International. .
Tarek Fatah, du Congrès musulman canadien, a fait valoir que la plupart des musulmans ontariens veulent simplement être traités comme des citoyens égaux aux autres. «Demain à Téhéran, Djeddah au Pakistan, à Kaboul, au Soudan, tous les journaux diront que la charia a été approuvée au Canada», a prédit Tarek Fatah. De son côté, le Conseil canadien des femmes musulmanes a fait connaître son opposition au rapport, estimant que celui- ci est «naïf» et n’assure pas aux musulmanes pauvres ou immigrantes l’appui nécessaire pour bien défendre leur droit à l’égalité, assuré par les lois canadiennes.
Des principes musulmans au sein du droit canadien
«Nous sommes très clairs, ceci n’est pas la loi de la charia, se défend Marion Boyd. Il s’agit de principes religieux musulmans à l’intérieur du droit canadien». Elle préconise aussi, dans son rapport, des «balises» pour éviter que des gens ne soient forcés de se tourner vers l’arbitrage religieux. Elle recommande notamment que chaque partie à un litige soit tenue d’obtenir un avis juridique indépendant.
Mais ses détracteurs avancent que la juriste sape ces mesures de protection en autorisant aussi les gens à renoncer à leur droit à un avis juridique avant d’accepter l’arbitrage. Le quotidien londonien The Independent, relayé par Courrier International se demande si «l’approche multiculturaliste adoptée par le Canada à l’égard de ses minorités culturelles ne serait pas allée trop loin.
Telle est la question de fond qui se pose dans ce «pays neuf», écrit-il, dont l’une des provinces, l’Ontario, va instaurer une instance judiciaire qui appliquera la charia, ou loi islamique, pour les citoyens musulmans. «Ce nouveau modèle, qui sera examiné attentivement par d’autres pays confrontés à la croissance des communautés musulmanes dans leur population, sera appliqué par un collège d’imams et de théologiens musulmans en Ontario, qui a été créé fin 2003», explique le quotidien londonien The Independent.
Au Canada, où résident 600’000 musulmans, l’initiative soulève de nombreuses interrogations et craintes. Alia Hogben, membre du Conseil canadien des femmes musulmanes, est opposée aux tribunaux religieux, car elle redoute que les musulmanes qui refuseraient cette justice subissent des pressions de leur communauté, qui les condamnerait pour «blasphème ou reniement de l’islam». Homa Hoodfar, professeure d’anthropologie à Montréal, s’inquiète, elle, pour «les nouvelles immigrantes, qui pourraient être forcées à passer devant un tribunal islamique parce qu’elles ne parlent pas l’anglais ou ne connaissent pas leurs droits». Ce n’est pas l’avis d’Ayesha Adam, médiatrice à Toronto, qui précise que des femmes font partie des futurs arbitres du tribunal islamique. (apic/ag/courrier international/vb)