A la rencontre de la peur et de la souffrance de deux peuples

Paris: Entretien avec la rabbin Haddad, de retour d’un voyage interreligieux en Israël

Jean-Claude Noyé, correspondant de l’Apic à Paris

Paris, 26 février 2003 (Apic) Philippe Haddad, membre du Consistoire israélite de France et rabbin à Nîmes, a confié à l’Apic ses impressions, de retour d’un voyage interreligieux en Terre sainte du 19 au 23 février qu’il a co-animé (1). Une initiative de l’hebdomadaire Témoignage Chrétien (TC) qui l’a profondément «remué», à la rencontre de la peur et de la souffrance de deux peuples.

Philippe Haddad continue à croire que les deux peuples pourront un jour vivre ensemble en paix. A condition que le Palestiniens aient leur propre Etat et que les Israéliens se retirent des territoires occupés. A condition aussi que l’existence d’Israël soit pleinement reconnue par ses voisins arabes.

Apic: Quel était le programme de votre voyage?

P.Haddad: Notre groupe, deux cents pèlerins dont trois musulmans et quatre juifs, a rencontré des acteurs du dialogue: André Chouraqui et Claude Klein, professeur de droit à l’université de Tel Aviv, une femme qui milite activement pour que les Palestiniens de nationalité israélienne aient les mêmes droits que les Israéliens de confession juive, Mgr Michel Sabagh, patriarche latin de Jérusalem, le père Maroun, directeur du séminaire de Béthléem-Beit-Jaloun, ainsi que la communauté bénédictine d’Abou Gosh. Sans oublier le père Emile Choufani qui nous a parlé de son projet d’emmener une centaine de juifs et de palestiniens au camp d’Auschwitz.

Nous sommes allés dans les Territoires palestiniens, avons visité le Mur des Lamentations, le mémorial Yad Vashem, la tombe d’Izthak Rabin, l’église de la Nativité à Nazareth, le Mont des Béatitudes – et le dôme de l’Ascension.

Apic: Comment avez-vous vécu cette expérience interreligieuse?

P.Haddad: Notre groupe s’est soudé autour de ce projet et, toutes confessions confondues, nous avons été très remués, souvent au bord des larmes. La dimension interconfessionnelle de notre groupe a interpellé nos hôtes et nos témoins car elle est inhabituelle. Souvent, des juifs de la diaspora organisent des voyages de soutien au peuple juif, des pèlerins chrétiens vont sur les lieux où a vécu Jésus, des comités de soutien au peuple palestinien vont à sa rencontre.

Mais que des juifs, musulmans et chrétiens pérégrinent côte à côte pour comprendre ce qui se vit là-bas, c’est inattendu et même prophétique. J’ai toujours dit que le XXI° siècle serait interreligieux ou pas. J’en suis encore plus convaincu après ce voyage.

Apic: Comme juif, qu’est-ce que ce voyage a «déplacé» en vous?

P.Haddad: J’ai vu de mes propres yeux et ressenti comme dans ma propre chair la souffrance des Palestiniens, leur désir d’être autonomes, de vivre décemment. J’ai pu mesurer combien la deuxième Intifada a affaibli l’économie israélienne et brisé l’économie palestinienne, suite à l’effondrement du tourisme. Le voyagiste «La Procure», avec qui nous sommes partis, n’accompagne désormais à Jérusalem que 300 pèlerins par an contre 5000 autrefois.

J’ai mieux perçu aussi combien, de part et d’autre, la soif de vivre en paix, des jeunes notamment, est intense. Il est faux de dire que les Palestiniens font de leurs enfants des kamikazes. J’ai rencontré dans les Territoires des parents qui, comme tous les parents, veulent que leurs fils et leurs filles s’en sortent, d’autant plus que les jeunes palestiniens sont souvent de brillants élèves. Il est frappant de voir combien ces deux sociétés à la fois s’ignorent et sont imbriquées l’une dans l’autre. Ne serait-ce que parce qu’un million de Palestiniens ont la nationalité israélienne.

Je crois que la démocratie telle qu’elle se vit en Israël ne les laisse pas de marbre. Beaucoup nous ont dit que même lorsqu’il y aura un Etat palestinien indépendant, ils continueront à vivre dans l’Etat israélien précisément parce que la démocratie – et les garanties inhérentes – y est bien enracinée. Par ailleurs, le monde arabe n’est pas sans influencer les Israéliens, ne serait-ce qu’à travers la musique.

Apic: La paix ne vous semble pas un scénario impossible?

P.Haddad: Impossible non, mais difficile dans l’immédiat. Il y a des bonnes volontés des deux côtés, même si elles sont en butte aux intégristes, et même si les politiques sont ce qu’ils sont .Tout un travail de pardon, un travail pour «prendre la part de l’autre», doit se faire. Les Israéliens – parce qu’ils vivent dans la peur – et les Palestiniens – parce qu’ils vivent dans de grandes difficultés – veulent la paix.

Les chrétiens ont indéniablement un rôle de médiateur à jouer, ainsi que s’y emploient le père Choufani ou le père Chacour et bien d’autres. Comme le frère Olivier, du monastère d’Abou Gosh, qui reçoit des soldats israéliens dans le cadre de leur programme de formation et peut avoir auprès d’eux une influence positive.

Apic: A quelles conditions la paix peut-elle s’instaurer?

P.Haddad: Les juifs doivent renoncer à rêver du Grand Israël, cela me paraît indiscutable et ils doivent restituer les territoires qu’ils ont occupés après la guerre de Six Jours. J’ai écrit dans Témoignage Chrétien (n° 3049) qu’Israël a remporté en 1967 une victoire qui était aussi une défaite sur le plan de la morale révélée car cela signifiait une occupation de territoires qui ne nous appartiennent pas. Il faut libérer ceux-ci et aller vers la création d’un Etat palestinien.

Mais, j’insiste là-dessus, Israël doit pouvoir vivre en sécurité, être pleinement reconnu par les Etats arabes, et, par-delà, intensifier ses liens économiques, diplomatiques et culturels avec eux.

Apic: Pensez-vous qu’Arafat ait loupé quelque chose au moment des négociations de Taef?

P.Haddad: Certains observateurs disent qu’il n’avait pas vraiment les moyens d’accepter les propositions qui lui ont été faites. Je suis convaincu pourtant qu’il avait là une occasion inespérée d’initier un processus susceptible de réinstaurer la confiance et de lui permettre, ensuite, d’obtenir plus encore pour son peuple.

Apic: Comment les Israéliens voient-ils la guerre qui s’annonce en Irak?

P.Haddad: Contrairement à ce que l’on pense, beaucoup estiment que cette guerre n’est pas leur affaire. Ils vivent dans la psychose d’une agression, tous ont des masques à gaz à la maison et ils ont reçu par courrier des consignes sur ce qu’il faut faire en cas d’attaque. Je crois aussi qu’ils redoutent une flambée du terrorisme islamique consécutive à la guerre en Irak. JCN

(1) avec Ghaleb Bencheikh, théologien musulman, Mgr Jean-Luc Brunin, évêque auxiliaire de Lille, Nicole Fabre, pasteur et bibliste à Lyon, Dominique Ponnau, historien d’art.

(2) Philippe Haddad et Ghaleb Bencheikh ont publié en septembre 2002 «L’islam et le judaïsme en dialogue», aux Éditions de l’Atelier. Chez le même éditeur, Philippe Haddad publiera bientôt un récit sur ce qu’il a vu et vécu lors de ce voyage interreligieux en Terre sainte.

(apic/jcn/bb)

26 février 2003 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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