De nouvelles pierres pour Notre-Dame de Paris

Paris: la cathédrale en restauration pour dix ans (150992)

Paris, 15septembre(APIC) Notre-Dame de Paris se dote de nouvelles pierres. Pour remplacer celles que les pluies chargées d’acide menacent. la

plus importante restauration que la cathédrale ait jamais connue depuis

celle de Viollet-le-Duc est en cours depuis six mois. Les 12 millions de

visiteurs qu’elle attire chaque année devront faire avec: 10 ans d’échafaudages pour un coût de 100 millions de francs (25 millions de fs). Une somme

qui risquerait cependant bien de gonfler au fil des ans, comme l’explique

la dernière livraison de la revue «Paris Notre Dame».

Dix ans et cent millions de francs français pour faire le tour de NotreDame: les travaux commencés il y a six mois par la tour côté Seine, se prolongeront pendant trois ans sur la façade, au-dessus du parvis; ils se déplaceront ensuite rue du Cloître Notre-Dame au dessus des jardins, pour

s’achever enfin par le chevet.

Au cours de cette première année de restauration, c’est-à-dire jusqu’en

juin 1993, environ 200 m3 de pierre auront été remplacés, soit entre 10 à

15% des pierres de la façade. Dix ans seront nécessaires pour mener à bien

ces travaux, principalement parce que le paiement des travaux par le Ministère de la culture s’effectue par tranche annuelle. Mais le coût total,

initialement prévu, risque de subir au fil des ans quelques augmentations,

prévoit déjà l’architecte des Monuments historiques, Bernard Fonquernie.

L’ordinateur au service des vieilles pierres

Dans une baraque du chantier, au pied de la cathédrale, on peut voir un

étrange plan de façade de Notre-Dame. Sur ce plan réalisé à partir d’une

photographie analysée par ordinateur, chaque pierre est représentée. Il

permet de repérer les parties les plus abîmées et même d’évaluer le volume

des pierres à remplacer. Ce relevé «photogramétrique» coûte à lui seul près

de 70’000 francs (18’000 fs environ)! Mais cette technique sophistiquée ne

remplace pas l’oeil de l’expert. L’appareilleur doit vérifier sur place la

taille et l’état de la pierre, avant de commander à la carrière la pièce de

pierre brute.

Restaurer Notre-Dame, c’est remplacer les pierres les plus dégradées:

blocs incrustés dans la façade, contreforts, chimères ou balustrades. «Le

budget des travaux permet de changer le strict nécessaire, de répondre à

l’urgence, c’est-à-dire de parer aux risques», explique Bernard Fonquernie.

Avec 12 millions de visiteurs par an, la moindre chute de pierre peut se

transformer en catastrophe. Il y a trois ans, un vendeur de cartes postales

a été touché à la tête…

«La pierre est un matériau fragile qui vieillit. Et la cathédrale n’est

pas dans un désert, comme les pyramides». Un de ses principaux agresseurs

est l’eau de pluie chargée d’acides: elle pénètre dans la pierre, y laisse

un dépôt de cristaux et finit par la faire éclater. C’est aussi la raison

qui contraint à choisir entre plusieurs types de pierre: poreuse, tendre ou

douce. «On est obligé de prendre des pierres de nature semblable, sinon une

pierre au contact d’un bloc moins poreux absorbe toute l’eau et se dégrade

plus vite», déclare le chef de chantier. Ce processus est aggravé par le

ciment que Viollet-le-Duc a utilisé pour joindre les pierres. Découvert au

19e siècle, on sait aujourd’hui que le ciment industriel forme des barrières étanches qui ne laissent pas l’eau s’évaporer. «Dorénavant, on utilise

un mortier poreux: la chaux.

Comme au Moyen-Age ou presque…

Au chevet de Notre-Dame, on n’entend quasiment que le ciseau du tailleur: depuis le douzième siècle, ce travail se fait ainsi. Comme au MoyenAge, les huit tailleurs sont installés sur le site, et non dans un atelier

à une dizaine de kilomètres de là. «Sinon, les tailleurs risquent de travailler dans l’abstraction», dit l’architecte Fonquernie. «C’est plus motivant pour eux de travailler sur place. Au pied de l’édifice, on peut ainsi

mieux s’expliquer. On travaille dans un meilleur esprit. Cela nous rapproche des tailleurs du Moyen-Age… Mais nous changeons seulement des éléments abîmés, alors qu’ils construisaient, eux, une nouvelle cathédrale!

Nous aimerions aussi être des bâtisseurs, et pas seulement des conservateurs. Viollet-le-Duc, lui, a continué à bâtir la cathédrale».

Impossible d’aborder ce sujet sans rouvrir le débat sur l’intervention

de Viollet-le-Duc: «Lui, il a poursuivi l’oeuvre des premiers bâtisseurs»,

poursuit le chef de chantier. Mais un monument historique de se traite pas

comme un bâtiment quelconque. «Aujourd’hui, nous avons la main plus légère.

On ne peut que restituer un état antérieur. Notre seul objectif est de restaurer la restauration de Viollet-le-Duc. Notre-Dame est le meilleur exemple du talent de cet architecte des Monuments historiques». Chimères, gargouilles, dentelles de pierres sont en effet l’oeuvre de cet architecte du

19e siècle qui espérait ainsi retrouver le style gothique flamboyant.

Dans le courant de la vie ecclésiale

Pour le curé de la cathédrale, le Père Michel Guyard, la restauration

matérielle s’inscrit dans une histoire de la vie ecclésiale. «La cathédrale

est un monument vivant, à l’image de l’Eglise. Depuis le Moyen-Age, chaque

génération a fait des travaux à Notre-Dame. Constamment entretenue, elle

est un témoignage de tous les siècles, du 12e jusqu’à maintenant. C’est

pour cela qu’il est inutile de masquer les échafaudages, car les travaux

font partie de la vie de la cathédrale. Ils sont le signe qu’on en prend

soin et qu’on y attache le prix. Mais avec 40’000 visiteurs par jour, Notre-Dame ne peut révéler cette vie profonde».

Selon le Père Guyard, il ne s’agit pas seulement d’un problème de pollution, même si l’on peut s’inquiéter de la quantité de poussière qui colle

aux pierres de la voûte, à cause de la condensation des 700 litres d’eau

dégagés par la respiration des visiteurs. Beaucoup de gens visitent la cathédrale sans aucun intérêt. Visiter Notre-Dame quand on fait l’Europe en 24

heures n’a pas de sens. Ils font le tour en dix minutes, s’arrêtent seulement devant les rosaces, puis ressortent. Notre-Dame est une église, pas un

lieu de passage». (apic/pnd/pr)

15 septembre 1992 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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