Sa nuit spirituelle : Etre pauvre parmi les pauvres
Paris : Les journalistes religieux rencontrent le postulateur de la cause de Mère Teresa
Jean-Claude Noyé, correspondant de l’Apic à Paris
Paris, 14 mars 2008 (Apic) Le jour même où paraissaient en français les écrits intimes de Mère Teresa, jeudi 13 mars, les journalistes de l’information religieuse ont rencontré le Père Brian Kolodiejchik. Postulateur de la cause de canonisation de Mère Teresa, ce religieux missionnaire de la Charité a côtoyé pendant vingt ans la sainte de Calcutta.
Le Père Kolodiejchik a rassemblé et présenté les lettres que Mère Teresa a adressées à ses directeurs de conscience pendant plusieurs décennies. Elle y fait part de la terrible nuit spirituelle qu’elle a connue pendant 50 ans. Obscurité et abandon qu’elle a vécus comme un appel à partager au plus près la grande pauvreté de notre temps: la déréliction intérieure et le sentiment de solitude. Passionnément désireuse de connaître le Christ, elle a accepté, non sans héroïsme, que sa présence se manifeste paradoxalement auprès d’elle par un interminable mutisme.
Q : Pourquoi avoir rendu publique la nuit spirituelle de mère Teresa en publiant ses écrits intimes alors même qu’elle ne le souhaitait pas?
Père Kolodiejchik : Il est vrai que la fondatrice de notre congrégation (ndlr: les Missionnaires de la charité) a toujours farouchement refusé de parler dans les médias de sa vie personnelle car elle voulait que l’attention de nos contemporains se porte vers Jésus et non pas vers elle. En conséquence, elle ne voulait pas qu’on publie ses lettres. Mais les clercs qui l’ont connue et accompagnée ont pensé que son expérience intérieure n’était pas strictement personnelle et que sa correspondance devait être conservée. Celle-ci a été versée dans le dossier de ses procès en béatification puis en canonisation et, dès lors, inévitablement, l’épreuve de sa longue nuit spirituelle a commencée à être connue. D’abord dans un cercle restreint, puis par tous. A propos de sainte Thérèse de Lisieux, Mgr Guy Gaucher, évêque auxiliaire émérite de Bayeux et Lisieux a dit : «Les saints n’ont pas besoin d’être embellis». Cela vaut aussi pour Mère Teresa.
Q : Qu’en est-il de son procès en canonisation?
Père Kolodiejchik : L’essentiel du travail a été fait lors de son procès en béatification. Celui-ci avait abouti suite à un miracle dûment authentifié. Une certaine Monica, atteinte d’une tumeur cancéreuse au ventre d’une longueur de 17 cm, avait été spontanément guérie dans la nuit après qu’une religieuse missionnaire de la charité ait posé la médaille miraculeuse sur l’abdomen de la jeune femme, en priant instamment Mère Teresa de lui venir en aide. Les faits datent du 1er septembre 1998, premier anniversaire de sa mort. Nous attendons désormais qu’un nouveau miracle se produise en son nom pour qu’elle soit canonisée.
Q : Cette nuit spirituelle de Mère Teresa est-elle ancienne?
Père Kolodiejchik : Certainement. Au tout début de sa vie religieuse, elle a déclaré: «L’obscurité est ma compagne». Sa nuit de la foi a essentiellement commencé à la tourmenter quand elle a fondé sa congrégation et démarré sa mission auprès des plus pauvres. Rappelons qu’elle a vécu en 1946 et 1947 une union avec Jésus qu’un prêtre qui l’accompagnait a qualifiée de «union profonde, continuelle et violente». Par contraste, elle a ressenti son obscurité intérieure comme un sentiment de perte et l’impression de ne pas être aimée, d’être même rejetée et, en tout cas, de demeurer dans une grande solitude. Solitude d’autant plus crucifiante qu’elle avait un désir très intense de Jésus. C’est le paradoxe de sa vie spirituelle : une union profonde au Christ vécue à travers l’expérience si douloureuse, et même héroïque, de la séparation.
Q : Quel sens donnait-elle à son obscurité spirituelle?
Père Kolodiejchik : Celui d’une participation aux souffrances extrêmes de Jésus lors de l’épisode du jardin de Gethsémani, à son sentiment d’abandon, peu avant sa Passion. Elle a pu dire à l’un de ses accompagnateurs spirituels: «J’en suis venue à aimer cette obscurité.» Il s’agissait pour elle de prendre une petite part de l’agonie de Jésus. Et d’être pauvre parmi les pauvres. Au plan matériel, certes, mais plus encore au plan du dénuement psychologique et spirituel. Elle disait souvent que la plus grande des pauvretés c’est précisément d’être seule, non aimée. C’est bien ce qu’elle a vécu dans l’intime.
Q : En cela, son expérience intérieure est-elle le reflet de notre temps ? De même que saint Silouane, moine de l’Athos vénéré par nombre de nos contemporains bien au-delà des seuls cercles orthodoxes, a pu dire : «Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas» …
Père Kolodiejchik : Certainement. Notre époque est marquée par la solitude de plus en plus exacerbée d’un nombre toujours croissant d’individus, par leur incroyance ou leur scepticisme et souvent leur profond désarroi intérieur. La vie spirituelle de Mère Teresa porte elle-même tous ces stigmates là.
Q : Sa nuit spirituelle est-elle à comparer avec celle qu’ont traversée tous les mystiques, saint Jean de la Croix le premier, avant de baigner dans la lumière de Dieu?
Père Kolodiejchik : Elle est plutôt à rapprocher de la nuit spirituelle de sainte Jeanne de Chantal, de saint Paul de la Croix ou de Thérèse de Lisieux, laquelle comptait tant pour Mère Teresa. Cette nuit intérieure a une dimension apostolique: prendre part à la souffrance des plus pauvres des pauvres. Tout se passe au fond comme si Jésus lui avait retiré la consolation de Sa présence afin qu’elle s’identifie toujours davantage à eux. D’ailleurs, dans une des lettres qu’elle écrit à Jésus lui-même, elle l’apostrophe avec ce propos étonnant: «Ne prends pas la peine de revenir trop tôt.»
Q : Peut-on parler à ce propos d’un héritage positif ?
Père Kolodiejchik : A posteriori oui. Pensez à sa phrase emblématique: «Si jamais je deviens sainte, je serai certainement une sainte des ténèbres. Je serai continuellement absente du Ciel pour allumer la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres sur terre». Sa mission est bien d’être la compagne de ceux qui sont seuls. Sa confiance dans la déréliction, son abandon à Dieu malgré l’épreuve sont un exemple formidable pour nos contemporains.
Q : Ces derniers peuvent-ils si aisément s’approprier un témoignage à ce point marqué par la douleur?
Père Kolodiejchik : On me pose souvent cette question. J’ai envie de dire que Mère Teresa a eu ce qu’elle-même demandait. Dès 1937, à Skopje, dans son pays natal, elle avait exprimé son désir de boire le calice jusqu’à la lie et d’aller jusqu’au bout avec Jésus. Elle rapporte que celui-ci lui aurait dit, lors de son expérience mystique d’union à Lui en 1946-1947: «Ta vocation c’est d’aimer, de souffrir et de sauver des âmes.» Mais à l’évidence, Dieu ne peut demander un tel sacrifice à des personnes dont la foi n’est pas aussi solide que la sienne. Rappelons qu’elle n’a jamais douté de sa vocation et que sa fidélité à sa promesse resta inébranlable. Jusque dans les petits choses comme d’être toujours la première arrivée à la chapelle pour la prière commune. Il faut dire aussi que pour les hommes d’aujourd’hui, il n’est pas facile de comprendre que l’amour n’est pas seulement une question de ressenti. Que même si on ne perçoit pas l’infinie miséricorde de Dieu pour nous, celle-ci ne cesse pas pour autant de nous porter.
Q : Vous rappelez ce paradoxe saisissant: plus elle souffrait, plus elle souriait. N’y a-t-il pas derrière ce vocabulaire une dérive doloriste? Voire même une dimension pathologique? La frontière entre sainteté héroïque et névrose ou psychose mentale est parfois ténue …
Père Kolodiejchik : Certes. Mais Mère Teresa n’avait pas le culte de la souffrance pour la souffrance. Elle aurait tant aimée être en communion avec Jésus! Son tourment tenait dans cet éloignement, à ses yeux insupportable. Quand elle rencontrait des gens tristes, elle leur demandait ce qu’ils pouvaient bien refuser à Dieu pour être dans cet état. Son sourire extraordinaire, qui a fait le tour de la planète, reflétait paradoxalement sa joie et sa paix intérieure. Enfin, elle répétait à l’envi qu’il ne faut jamais oublier la joie de la résurrection. (apic/jcn/bb)