Paris: Rencontre avec Xavier Ternisien, auteur de «La France des mosquées»

L’islam de France n’est pas encore un islam français

Jean-Claude Noyé, correspondant de l’APIC à Paris

Paris, 22 septembre 2002 (APIC) L’islam de France n’est pas encore un islam français, véritablement enraciné dans l’Hexagone. «Les lieux de culte sont encore dirigés à 80% par des immigrés de la première génération qui n’ont pas coupé le cordon ombilical avec leur pays natal. Il y a urgence à former des imams français», constate Xavier Ternisien, journaliste au quotidien Le Monde.

Xavier Ternisien, auteur de «La France des mosquées» (1) qui vient de sortir de presse, livre à l’APIC ses analyses sur l’islam en France.

Dans son étude conduite à partir d’études sociologiques et d’enquêtes de terrain, Xavier Ternisien analyse les principaux courants de l’islam français ainsi que les enjeux de sa structuration et de sa représentation auprès des pouvoirs publics.

Après deux ans et demi de concertation, les élections pour désigner le Conseil français du culte musulman (CFCM) auraient dû avoir lieu en juin dernier. Rien n’est encore en vue, car au-delà des divergences idéologiques entre un islam «ouvert et tolérant» et un islam plus fondamentaliste se cachent des enjeux de pouvoir liés aux clivages nationaux et à l’influence des Etats d’origine des musulmans de France, notamment la vieille rivalité Algérie-Maroc.

APIC: Alors qu’elle s’était engagée à respecter le processus électoral, la Mosquée de Paris s’y est finalement opposée in extremis, sous prétexte qu’il aurait favorisé l’Union des Organisations Musulmanes de France (UOIF), tenant d’un islam plus radical, sinon fondamentaliste. Où en est-on aujourd’hui ?

X.T.: Dans un entretien au magazine La Médina, le nouveau ministre de l’Intérieur chargé des cultes, Nicolas Sarkozy, s’est engagé à poursuivre le processus de désignation du CFCM, sans exclure le mouvement piétiste et missionnaire Tabligh ou l’UOIF, parce qu’ils représentent de nombreuses mosquées, quand bien même ils sont souvent montrés du doigt pour leurs sympathies islamistes.

Par ailleurs, il ne semble pas que dans la nouvelle configuration un traitement de faveur soit accordé à la Mosquée de Paris. Ce que l’on pouvait craindre, car elle fait partie de la «clientèle» du RPR, le parti du président de la République, Jacques Chirac, qui n’a pas manqué de s’y rendre lors de sa dernière campagne électorale. Sans compter que Charles Pasqua (ndlr : ex-membre du RPR, ex-homme de confiance de Chirac), lors de son passage au Ministère de l’Intérieur, avait confié à la seule Mosquée de Paris l’organisation de la représentativité des musulmans de France. Sans succès évidemment.

APIC: Aujourd’hui, où en sont les discussions entre les membres de la consultation ?

X.T.: Ce qui est toujours en jeu, c’est le mode de désignation des membres du futur CFCM. Nicolas Sarkozy propose que la consultation en cours repose sur des élections, comme prévu initialement, mais aussi, et c’est nouveau, sur une cooptation de personnalités qualifiées. Le but: que les courants minoritaires soient également représentés et que les femmes soient plus nombreuses à siéger au CFCM. Ce dernier point, s’il est louable, n’est guère réaliste car il y a peu ou pas de candidates ayant le profil requis. Jusqu’à présent, Mme Betoule Fekkar-Lambiotte est la seule femme à siéger à la consultation sur l’islam.

APIC: Un calendrier a-t-il été fixé ?

X.T.: Pas à ma connaissance et au jour d’aujourd’hui personne n’est en mesure de dire quand ce fameux CFCM verra le jour.

APIC: Comment expliquez-vous qu’il soit si difficile pour les divers courants de l’islam de France de conclure un accord ?

X.T.: Derrière l’affrontement idéologique entre «un islam ouvert et tolérant», revendiqué par la Mosquée de Paris, et un islam fondamentaliste, qui serait celui de l’UOIF, se cachent des enjeux de pouvoir liés aux clivages nationaux. J’écris dans mon livre que «La vraie bataille de la consultation s’est livrée dans les consulats et les ambassades des pays d’origine».

Maroc et Algérie principalement. Ce qui se rejoue à travers cette consultation, c’est le vieil antagonisme entre ces deux pays du Maghreb. N’oublions pas que la Mosquée de Paris est directement sous influence algérienne et que l’UOIF est d’obédience marocaine, même si on ne lui connaît pas de lien direct avec le Royaume chérifien.

De fait, les musulmans de France sont pris en otages entre les grandes fédérations nationales qui les représentent et les pays d’origine. La difficulté vient de ce que les lieux de culte sont encore dirigés à 80 % par des immigrés de la première génération qui n’ont pas coupé le cordon ombilical avec leur pays natal. L’islam de France, présent sur notre sol, n’est pas encore un islam français, véritablement enraciné dans l’Hexagone. Il faudra encore beaucoup de temps.

APIC: Des voix (2) estiment que la République a reculé en exemptant à plusieurs reprises les musulmans de suivre la loi commune, que ce soit à propos du port du voile islamique à l’école ou de financements publics illégaux de mosquées.

X.T.: Cette lecture de la réalité est nettement orientée et je ne la partage pas. Pour mémoire, Michèle Tribalat (2) a claqué la porte du Haut Conseil à l’intégration (chargé de la politique concernant les immigrés, ndlr.) quand celui-ci a publié son rapport sur I’Islam dans la République et souligné que l’intégration des populations originaires des pays musulmans étaient en bonne voie.

Au nom de la défense d’une laïcité radicale, certains développent des propos propres à entretenir un ostracisme dommageable à ladite intégration. Le financement public de mosquées ? Que je sache, ce qui prévaut ce sont plutôt les tracasseries administratives sans fin des autorités locales pour empêcher les associations musulmanes de construire des lieux de cultes décents.

On en rajoute beaucoup. La soi-disant mosquée de Montpellier ? En réalité, ce n’est qu’une salle polyvalente décorée de mosaïques marocaines. Ce qui fait cruellement défaut à la communauté musulmane, ce sont des lieux de prières en centre ville. La plupart des lieux de prière sont en périphérie, dans les cités des banlieues, ou sur des friches industrielles.

Quant au financement public des lieux de culte, c’est pratique courante: les églises, propriété des communes, sont entretenues et restaurées par elles. Le port du voile islamique à l’école ? Il suffit de dire que le Haut Conseil à l’intégration, le Conseil d’Etat et les pouvoirs publics ont privilégié la médiation au cas par cas. Je pense pour ma part que non seulement l’islam de France n’est pas mieux loti que les autres religions mais qu’on en demande plus aux musulmans en matière de légitimité, de conformité aux lois, etc.

APIC: Qu’en est-il de la formation des imams ?

X.T.: Il y a urgence à former des imams français. Près de 80 % des imams en poste sont des étrangers, les deux tiers ne parlent pas notre langue. Mais les pouvoirs publics ne sont pas habilités à fiancer cette formation, du fait de la loi de 1905 de séparation des Eglises et des Etats. Alors comment faire ?

L’Institut de formation de la Mosquée de Paris est resté dans les limbes. Seul l’Institut de formation de l’UOIF fonctionne. Nicolas Sarkozy est favorable à la création d’un institut universitaire de théologie musulmane, financé en partie par des fonds publics, et qui pourrait, mais pour partie seulement, contribuer à former des imams. Il fait la comparaison avec l’Institut catholique de Paris, qui reçoit des subventions et les séminaires catholiques, qui n’en perçoivent aucune.

APIC: Que faut-il faire avec l’UOIF ?

X.T.: Le pire serait de l’exclure, mais il faut rester vigilant. Les pouvoirs publics devront négocier serré avec ses dirigeants, qui sont à bien des égards des fondamentalistes en costume-cravate. Reste qu’au sein de l’UOIF, on rencontre des personnalités modérées, comme Tariq Obrou, imam de Bordeaux de sensibilité soufie. Mais des personnalités dites modérées peuvent avoir des propos surprenants de rudesse. Rien n’est simple. JCN

(1) Albin Michel, 270 p., 15,90 euros.

(2) Il s’agit de Michèle Tribalat et Jeanne-Hélène Kaltenbach, dans «La République et l’islam. Entre crainte et aveuglement» (Gallimard)

(apic/jcn/be)

22 septembre 2002 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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