Parution à Academic Press du IIIe volume «Théologie africaine au XXIe siècle»

Fribourg: Le professeur Bénézet Bujo poursuit son dévoilement de la «théologie africaine»

Fribourg, 4 février 2013 (Apic) Spécialiste reconnu de la «théologie africaine», l’abbé Bénézet Bujo poursuit son œuvre de dévoilement de cette théologie originale. Celle-ci plonge ses racines dans la culture noire. Ancien professeur de théologie morale et d’éthique sociale à Fribourg, il publie ces jours-ci son troisième volume de la série «Théologie africaine au XXIe siècle – Quelques figures» aux éditions Academic Press Fribourg. Cet ouvrage collectif complète les deux premiers tomes parus en 2002 et 2005.

Ce nouveau volume présente des figures anglicane, luthérienne, catholiques, tant francophones qu’anglophones. Il veut montrer que, libérées des querelles religieuses de l’histoire de l’Europe, les théologies africaines se révèlent résolument œcuméniques. De plus, souligne le professeur Bujo, les différences que l’on constate ailleurs entre les diverses confessions n’existent pas au niveau de la tradition africaine.

Un ouvrage traduit en anglais et en portugais

Les deux premiers volumes ont déjà été traduits en anglais et en portugais. Le même travail est en cours pour le troisième. Cette nouvelle publication se veut fidèle à l’esprit et à la méthode des deux premiers volumes. Elle présente neuf auteurs, dont trois anglophones. Parmi ces contributions, le professeur Bujo est particulièrement heureux d’avoir une étude sur un laïc sénégalais de grand renom, Alioune Diop, autrefois musulman, qu’il qualifie de «pionnier, promoteur et multiplicateur de la théologie africaine».

Malheureusement, regrette le professeur Bujo, il n’y a pas de telles figures (à l’image de celles qu’il présente dans ses trois volumes) dans les anciennes colonies portugaises d’Afrique (Mozambique, Angola, Guinée Bissau). Il semble par ailleurs que le Mozambique s’alimente essentiellement au Brésil pour les ouvrages théologiques ou les manuels d’enseignement pour les séminaires.

Le troisième volume, une fois traduit en portugais à l’instar de deux précédents, sera à son tour distribué dans les pays lusophones africains. Il est à souligner également que les volumes déjà parus sont utilisés comme manuels pour les cours dans certaines écoles théologiques supérieures en Afrique de l’Est, car ils ont été traduits en anglais à Nairobi.

Faire connaître les recherches théologiques africaines en Occident

Destiné en premier lieu aux pays francophones, «Théologie africaine au XXIe siècle» est tiré à 400 exemplaires (les deux premiers volumes l’étaient à 500 exemplaires; le 1er est épuisé). Il sera vendu surtout en France et en Belgique.

Ces ouvrages sont publiés à l’usage des Africains – en particulier des étudiants – qui veulent approfondir la pensée de leurs collègues ou aînés, pour éviter également que ces auteurs tombent dans l’oubli, souligne Bénézet Bujo. C’est aussi une façon de faire connaître les recherches théologiques africaines en Occident où beaucoup n’en ont pas connaissance. Nombre d’Occidentaux ne savent pas qu’il y a une théologie originale qui se développe à partir de la culture africaine. La théologie africaine est née dans un contexte marqué par la recherche de l’identité de l’homme noir, au sortir de la période coloniale, à une époque où les missionnaires blancs n’avaient pas pris suffisamment en compte l’importance de la culture africaine.

Les Africains étaient contraints d’adopter l’interprétation occidentale du message évangélique, sans aucun recours à leur propre tradition et à leur propre vision du monde. Le mouvement de la «négritude» a remis en question la vision dominante.

Le surgissement des premiers théologiens africains a ensuite permis d’élargir la problématique au domaine de la foi chrétienne.

La «théologie africaine» peine à faire entendre sa voix

Aujourd’hui, la «théologie africaine» n’est certes pas morte. Elle peine cependant à faire entendre sa voix – notamment parmi les évêques africains –, mais également dans les Universités d’Europe. Ici, même certains professeurs la considèrent, encore à l’heure actuelle, avec un brin de condescendance, si ce n’est avec suspicion. N’y aurait-il de vraie théologie que celle qui s’inspire des écrits de Thomas d’Aquin ou d’autres théologiens occidentaux canonisés ?

On se croirait aujourd’hui encore plongés dans les débats des années 60, du temps de la controverse demeurée fameuse à l’Université Lovanium de Léopoldville – aujourd’hui Kinshasa – entre un étudiant de théologie, Tharcisse Tshibangu (*), promis à un brillant avenir, et le doyen de la Faculté de théologie d’alors, Alfred Vanneste. Le chanoine belge défendait l’idée de la «vérité universelle» contre les tentatives de fonder une «théologie aux couleurs africaines».

Débats sur la «théologie africaine» dès la fin de la Seconde Guerre mondiale

Les débats sur la «théologie africaine» avaient déjà commencé dès la fin de la Seconde Guerre mondiale après la publication de l’ouvrage «Philosophie bantoue», du Père Placide Tempels, un missionnaire franciscain flamand. S’étant mis à étudier la culture africaine sur le terrain, en parlant la langue des autochtones, il était arrivé à la conclusion que, pour les Africains, le plus important était l’action dans la vie, qu’il a baptisée la «force vitale». Cette conception renvoie à l’interaction entre individu et communauté: l’action de l’individu est vitale pour la survie de la communauté et vice-versa.

Ainsi le débat était lancé bien avant les indépendances, avant tout dans l’espace francophone, en particulier avec l’ouvrage collectif «Des prêtres noirs s’interrogent» (1956), et à l’Université Lovanium, notamment dans sa Faculté de théologie fondée en 1957.

Dès les années 60, Kinshasa est devenu le centre de la théologie africaine, avec des personnalités comme l’abbé Vincent Mulago Gwa Cikala Musharhamina, professeur à Lovanium. Il avait fondé le Centre d’Etudes des Religions Africaines (CERA) et la revue Cahiers des religions africaines. Premier professeur congolais nommé à la Faculté de théologie de l’Université Lovanium, celui qui était surnommé le père de la «philosophie bantoue» est décédé en septembre dernier à Bukavu. Au moment des indépendances africaines, Kinshasa était alors la seule Faculté de théologie catholique de toute l’Afrique!

La théologie africaine est apparue plus tard dans l’Afrique anglophone

La recherche sur la théologie africaine a fait son apparition plus tard dans le monde anglophone, notamment avec l’Institut Pastoral catholique de Gaba-Kampala (API-GABA), en Ouganda, fondé en 1967.

Nairobi, la capitale du Kenya, est devenu ensuite le centre de la théologie africaine dans le monde anglophone, avec la fondation dans les années 80 de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Est (CUEA ou Catholic University of Eastern Africa), par l’Association des membres des conférences épiscopales d’Afrique de l’Est (AMECEA).

John Samuel Mbiti, une figure de la théologie de l’Afrique anglophone

Le professeur Bujo, dans le chapitre qu’il lui consacre, évoque la figure de John Samuel Mbiti, pasteur anglican et théologien kenyan. Il compte parmi les personnalités qui ont joué un grand rôle dans la théologie africaine de la partie anglophone du continent.

John Samuel Mbiti a obtenu un doctorat en Nouveau Testament à l’Université de Cambridge, avant d’enseigner la théologie, le Nouveau Testament, la religion africaine, ainsi que les autres religions du monde, à l’Université de Makerere, en Ouganda. Ensuite, de 1974 à 1980, il a été directeur et professeur à l’Institut Œcuménique du Conseil Œcuménique des Eglises (COE) au Château de Bossey, à Genève. Puis il a travaillé comme pasteur au service de l’Eglise réformée du canton de Berne, à Burgdorf. Il a également enseigné à mi-temps à la Faculté de théologie à l’Université de Berne, en qualité de professeur de la science des missions et des théologies non européennes. JB

(*) Longtemps recteur de l’Université Nationale du Zaïre, Mgr Tharcisse Tshibangu est aujourd’hui évêque émérite de Mbuji Mayi, en RDC JB

Encadré

Bénézet Bujo, ancien professeur et vice-recteur de l’Université de Fribourg

Prêtre du diocèse de Bunia, au nord-est de la République démocratique du Congo, le professeur Bujo a été, de 1989 à 2010, professeur ordinaire à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, où il enseignait la théologie morale et l’éthique sociale. Il est un spécialiste reconnu de la théologie africaine. Il a fait ses études de philosophie et de théologie au Congo et en Allemagne. Actuellement, Bénézet Bujo est conseiller théologique de la Caritas Africa. Il est auteur de plusieurs ouvrages sur saint Thomas, sur la morale interculturelle et la théologie africaine.

Pour l’abbé Bujo, il y a effectivement un christianisme occidental et un christianisme africain: «Le christianisme que l’on vit est une interprétation de l’Evangile selon la culture. L’Occident a interprété sa culture de façon à ce que les chrétiens européens puissent vivre l’Evangile, tandis que l’Afrique a reçu l’Evangile déjà mâché selon la culture européenne!». Il faut se rappeler, insiste-t-il, que les missionnaires étrangers «travaillaient la main dans la main avec les puissances coloniales et que l’Evangile lui-même fut proclamé dans ce contexte imbibé de préjugés». (apic/be)

4 février 2013 | 10:01
par webmaster@kath.ch
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