Peut-on aller en prison au Vatican?
Le procès dit ‘de l’immeuble de Londres’ devrait se conclure au milieu du mois de décembre 2023, a annoncé récemment le président du tribunal du Vatican Giuseppe Pignatone. Après près de deux ans et demi de procédure, les dix accusés pourraient être condamnés à des peines de prison. Le promoteur de justice adjoint, Settimio Carmignani, a expliqué à l’agence I.MEDIA les modalités d’application d’éventuelles peines dans l’État papal.
Le Vatican a-t-il les moyens d’incarcérer des personnes reconnues coupables, et dispose-t-il d’une prison?
Settimio Carmignani: Le Vatican dispose d’une prison gardée par le corps de gendarmerie. Elle se compose de quelques cellules qui ont une taille conforme aux normes internationales les plus élevées. Elles sont beaucoup plus confortables que les cellules italiennes. Mais les cas de condamnés incarcérés dans l’État de la Cité du Vatican sont extrêmement rares. Il n’y en a quasiment jamais eu plus d’un en même temps depuis la fondation de l’État en 1929.
Récemment, des activistes écologistes qui avaient endommagé la célèbre statue du Laocoon des Musées du Vatican ont été condamnés à neuf mois de prison avec sursis de cinq ans. Comment cette peine sera-t-elle appliquée?
La peine de prison infligée a été suspendue à la condition que ces personnes ne soient pas condamnées à d’autres peines durant une période de 5 ans. En pratique, étant donné la nature du délit, et étant donné qu’il est difficile d’envisager que les mêmes activistes reviennent faire des gestes similaires au Vatican, ils ne purgeront jamais ces neuf mois. Au Vatican, il faut tenir compte du fait qu’en d’autres cas une grâce papale est intervenue après la condamnation. Les prisons ne sont donc jamais bondées.
Si les prévenus du procès de l’affaire de ‘l’immeuble de Londres’ sont condamnés à de la prison, où purgeront-ils leur peine?
Si les peines ne sont pas infligées avec un sursis, les condamnés la purgeront au sein du Vatican, soit dans la prison, soit avec une assignation à résidence.
Si la justice vaticane inflige une peine de prison au cardinal Angelo Becciu ou à un des autres accusés, pourraient-ils purger la peine dans une prison italienne?
Il n’y a pas d’accord entre l’Italie et l’État de la Cité du Vatican sur ce sujet, et le Vatican n’a adhéré, à ma connaissance, à aucune convention ou aucun traité international en la matière. Étant donné la différence de traitement dans les prisons italiennes et celle du Vatican, une telle solution ne serait pas souhaitable pour le condamné. Et cela n’est jamais arrivé.
«Le cas de Mehmet Ali Ağca a été compliqué parce qu’il y avait un doute sur la façon dont il a été pris en charge par la police italienne»
Ce qui est en revanche déjà arrivé plusieurs fois, c’est que des personnes ayant commis des crimes au Vatican et s’étant ensuite réfugiées en Italie purgent leur peine dans ce pays après y avoir été jugées et condamnées sur délégation du Saint-Siège, en vertu des accords judiciaires encadrés par le Traité du Latran [qui règle les relations entre l’Italie et le Saint-Siège, NDLR].
Les accusés pourront-ils faire appel de la sentence auprès de la justice vaticane? Ou bien se pourvoir devant un tribunal international?
Ils peuvent certainement faire appel devant la Cour d’appel du Vatican, et on peut s’attendre à ce qu’ils le fassent en cas de condamnation. Un recours en légitimité devant la Cour suprême du Vatican [Cour de cassation, NDLR] est également possible. Certains avocats des accusés ont déjà émis des «réserves» sur certains points et il est prévisible qu’en cas de condamnation, ils fassent appel. En ce qui concerne les tribunaux internationaux, tels que la Cour européenne des droits de l’homme, il ne me semble pas qu’il s’agisse d’une hypothèse viable à l’heure actuelle, étant donné que le Saint-Siège n’est pas partie aux traités pertinents.
En 2020, le Vatican avait demandé l’extradition de l’accusée Cecilia Marogna, mais avait ensuite retiré sa demande. Le Vatican peut-il demander l’extradition d’un citoyen italien?
La solution à cette question est incertaine. Le Traité du Latran ne prévoit pas que l’extradition puisse être demandée pour une personne ayant commis un délit dans le Vatican qui se serait ensuite «réfugiée» en Italie, mais il prévoit qu’un juge italien puisse la juger. En revanche (et c’était le cas pour le délit reproché à Mme Marogna), il existe des conventions internationales qui (de l’avis du bureau du promoteur de justice qui a demandé cette mesure) permettraient l’extradition vers le Vatican. La justice italienne a manifestement considéré que le Traité du Latran devait être appliqué dans ce cas et n’a donc pas procédé à l’extradition. La solution pourrait probablement être différente dans le cas de personnes présentes dans d’autres pays que l’Italie poursuivies par la justice vaticane pour des délits similaires.
Pourquoi tous les crimes commis au Vatican ne sont-ils pas jugés par les tribunaux du Vatican? Par exemple, le procès de Mehmet Ali Ağca, qui avait tenté d’assassiner Jean Paul II en 1981, s’est déroulé devant des tribunaux italiens. Le procès de l’affaire dite ›de l’immeuble de Londres’ pourrait-il également avoir une suite ou une autre phase dans un tribunal italien?
Comme je l’ai dit, dans le cas où l’accusé a quitté le territoire de l’État du Vatican ou que le Saint-Siège délègue à la justice italienne, alors le procès se tient en Italie. Le cas de Mehmet Ali Ağca a été compliqué parce qu’il y avait un doute sur la façon dont il a été pris en charge par la police italienne. Il avait en effet tiré sur le pape à une courte distance de la frontière. Et avait été arrêté par les fidèles présents sur la place, et non par les Gardes suisses, la gendarmerie vaticane ou la police italienne. Si je me souviens bien, c’est un imposant pèlerin du nord de l’Italie et une religieuse qui l’ont «plaqué». Dans la tourmente, il n’était pas certain que cela se soit passé à l’intérieur ou à l’extérieur du Vatican et «ad cautelam» [par précaution, NDLR], le Saint-Siège avait décidé de déléguer.
«La place Saint-Pierre, bien qu’elle soit sur le territoire du Vatican, a un statut spécial en vertu du Traité du Latran»
Au contraire, le procès concernant ‘l’immeuble de Londres’ est jugé au Vatican aujourd’hui et ne peut donc avoir lieu en Italie car il existe un principe général appelé «ne bis in idem» [non deux fois pour la même chose, NDLR]. Néanmoins, en Italie, des enquêtes pourraient avoir lieu sur des faits – connexes, mais différents – commis sur le territoire italien. En effet, les autorités italiennes, mais aussi celles d’autres pays, ont été impliquées au cours de ce procès dans des requêtes rogatoires, et ont effectué des vérifications et des enquêtes. Si ces enquêtes devaient (sur l’un des nombreux volets du procès) aboutir à des faits intéressants pour ces juridictions, il pourrait y avoir d’autres procès «contigus».
Qu’en est-il de la petite délinquance (des pickpockets, par exemple) commise à l’intérieur du Vatican, notamment sur la place Saint-Pierre?
Tout d’abord, il convient de souligner que la place Saint-Pierre, bien qu’elle soit sur le territoire du Vatican, a un statut spécial en vertu du Traité du Latran. Lorsqu’elle est ouverte au public et qu’il n’y a pas de célébrations, les forces de police italiennes sont responsables du maintien de l’ordre – elles quittent la place si elle est fermée pour des célébrations ou des événements. Pour le reste, la juridiction est celle des juges du Vatican; et historiquement, la majeure partie du travail du Bureau du Promoteur de Justice et des organes judiciaires du Vatican a précisément porté sur ces incidents de petite délinquance. (cath.ch/imedia/ic/cd/rz)