La sainteté est un défi. Il faut "se préparer au combat" | Illustration: Arcabas
Suisse

Philippe Becquart: «Nous ne devons pas craindre la sainteté»

Si la sainteté n’est pas réservée à une élite, elle reste un défi dans le monde et dans l’Eglise, selon le théologien Philippe Becquart. C’est à ses yeux un des éléments saillants de Gaudete et Exsultate, la troisième exhortation apostolique du pape François. Pour autant, il ne faut pas «craindre la sainteté puisqu’elle est ce pour quoi le Père nous a créés», assure le responsable du département des adultes de l’Eglise dans le canton de Vaud.

Comment résumeriez-vous cette exhortation apostolique?
Philippe Becquart: Un appel à «la sainteté pour tous», parce qu’être saint n’est pas réservé à une élite, savante ou militante. «Dieu veut que nous soyons saints», car telle est la vraie vie, le bonheur qu’il nous offre, plutôt que de nous «contenter d’une existence médiocre, édulcorée, sans consistance».

Quelle est l’intention du pape François, selon vous?
Il le dit lui-même: «Mon humble objectif, c’est de faire résonner une fois de plus l’appel à la sainteté, en essayant de l’insérer dans le contexte actuel, avec ses risques, ses défis, et ses opportunités.» On y peut voir une double intention. D’une part, rappeler que la sainteté n’est pas un concours d’excellence, mais une expérience liée à notre baptême, accessible à chacun dans l’ordinaire de sa vie familiale, professionnelle, sociale… D’autre part, montrer que la sainteté est un défi pour moi dans le monde actuel et dans l’Eglise, et qu’il faut se préparer au combat, mais un combat qu’on ne mène pas seul sur le chemin.

La joie d’être saint se paie au prix fort des paradoxes du bonheur évangélique.

Quels sont les principes fondamentaux de la vision ecclésiologique du pape?
La vision de l’Eglise qui ressort ici est la même que celle déployée à chacune des interventions de François. L’Eglise, c’est «le Peuple saint des fidèles de Dieu», c’est-à-dire tous les baptisés, et pas seulement une élite «cléricale», qui croit tout connaître de Dieu, ou «militante», qui pense savoir «ce qu’il faut faire». Ce qui est grave, c’est quand, dans l’Eglise, on fait obstacle au don gratuit de Dieu, à sa grâce. C’est même criminel tant le monde actuel a besoin du Christ pour retrouver le sens de la vie en Dieu, et la joie que procure l’Evangile.

Philippe Becquart, responsable du département des adultes de l’Eglise dans le canton de Vaud | © FEDEC

L’Eglise est sainte, mais les baptisés sont un «mélange» de pécheurs et de saints. Elle est sainte, parce qu’elle est le Corps du Christ; parce qu’elle est irradiée de cette union au Christ qui caractérise les saints. Bien sûr, il y a les «stars» de la sainteté, les hommes et les femmes déjà béatifiés ou canonisés. Mais plus nombreux encore, il y a ceux que François appelle «les saints de la porte d’à côté», «la classe moyenne de la sainteté», où l’on retrouve les parents qui éduquent avec patience leurs enfants; ou encore ceux qui travaillent quotidiennement «pour apporter le pain à la maison»; «les religieuses âgées qui continuent de sourire». Enfin, et il est bon de le rappeler dans un contexte compliquée où l’Eglise est souvent défigurée par ses propres turpitudes ou par la violence qu’elle subit, «la sainteté est le visage le plus beau de l’Eglise», en particulier dans ses martyrs. Les saints sont d’ailleurs le patrimoine commun de tous les chrétiens – catholiques, orthodoxes, anglicans et protestants…

Qu’est-ce qui vous a frappé à la lecture de ce texte?
C’est d’abord le ton adopté par François. Le pape parle à la première personne et nous tutoie, comme s’il s’adressait à un ami qui s’interroge et tâtonne face aux obstacles sur la route de la vie. On retrouve ici la «patte» du Jésuite, et des Exercices spirituels de S. Ignace, où il faut nécessairement faire dialoguer les principes spirituels et le concret de l’existence. Ensuite, le ton très combatif du chapitre 2, où sont dénoncés sans concession «deux ennemis subtils de la sainteté», le gnosticisme et le pélagianisme. Ces deux vieilles hérésies se trouvent actualisées dans l’Eglise d’aujourd’hui: prétention orgueilleuse à réduire le mystère de l’Evangile et l’enseignement de Jésus à quelques raisonnements subtils et désincarnés, d’un côté; prétention volontariste à faire confiance uniquement à ses propres forces, oubliant que Dieu seul nous sauve par sa grâce, de l’autre. Ce qui me frappe enfin, c’est la volonté de François de mettre ensemble la figure du saint et du bienheureux, dans une lecture très personnelle et radicale des Béatitudes, véritable charte de la sainteté. La joie d’être saint se paie au prix fort des paradoxes du bonheur évangélique: heureux les pauvres en esprit, les affligés, les persécutés pour la justice, heureux les doux, les miséricordieux, les cœurs purs.

Quelle sera la portée d’un tel document?
Il me semble qu’on doit lire cette exhortation apostolique, la troisième du pape François, dans le prolongement de son premier texte personnel et programmatique. En effet, dans La Joie de l’Evangile (2013), François rappelle à l’Eglise son devoir de sortir vers les périphéries, géographiques et sociologiques, et aux Chrétiens l’obligation de devenir des «disciples missionnaires». Le Saint est donc le prototype du disciple-missionnaire, «inventant», chacun à sa manière, selon son état de vie (marié, prêtre, consacré…), son don, sa place dans la société, comment saisir «les occasions qui se présentent chaque jour, pour accomplir les actes ordinaires de façon extraordinaire». Nous ne devons pas craindre la sainteté puisqu’elle est ce pour quoi le Père nous a créés. François conclut ainsi: «N’aie pas peur de viser plus haut (…) La sainteté ne te rend pas moins humain, car c’est la rencontre de ta faiblesse avec la force de la grâce. Au fond, comme disait Léon Bloy, dans la vie, «il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints». Cette dernière citation situe clairement l’enjeu et la portée du texte: la sainteté n’est pas une option offerte aux meilleurs d’entre nous, mais, dans le concret de l’existence la plus humble, le simple déploiement de la grâce reçue à notre baptême. (cath.ch/pp)

La sainteté est un défi. Il faut «se préparer au combat» | Illustration: Arcabas
12 avril 2018 | 10:46
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture: env. 4 min.
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