Philippines: Une responsable oecuménique philippine redoute le retour aux «années noires»
De fortes critiques contre le régime du président Estrada
New York, 21 mai 2000 (APIC) Pour la nouvelle secrétaire générale du Conseil national des Eglises des Philippines, Sharon Rose Joy Ruiz-Duremdez, les Philippines sombrent lentement dans la «période noire» de la corruption et peut-être de la loi martiale que son pays a connues sous le régime de Ferdinand Marcos dans les années 70 et 80.
Dans une interview accordée à ENI, à «l’Interchurch Center» à New York, Sharon Ruiz-Duremdez, la première femme à diriger le Conseil des Eglises, ne ménage pas ses critiques envers le président de son pays, Joseph Estrada, ancien acteur devenu politicien qui, dit-elle, a rétabli le système de «copinage» cher à Marcos et adopté un style présidentiel qui «rappelle l’ère d’autoritarisme» de ce dernier.
«Estrada a repris tous les trucs politiques de Marcos». C’est une honte pour la nation d’avoir un président qui conduit le pays comme un acteur «dans un film de cow-boy», a-t-elle ironisé: Joseph Estrada donne carte blanche aux forces de la mondialisation et de la privatisation. C’est ainsi que les Philippines sont un pays offert sur un plat d’argent aux investisseurs étrangers».
Adepte de la théologie de la libération
Sharon Rose Ruiz-Duremdez a été élue à la tête du Conseil des Eglises des Philippines à la fin de l’an dernier. Son élection avait fait les titres des journaux car elle est la première femme asiatique à diriger une grande organisation oecuménique. Adepte de la théologie de la libération, Sharon Ruiz-Duremdez a été une figure controversée aussi bien dans les cercles oecuméniques qu’au sein de la Convention des Eglises baptistes des Philippines dont elle est membre.
Elle appelle les femmes à assumer des rôles plus importants dans la direction de l’Eglise et préconise l’engagement auprès des travailleurs, des paysans, des femmes et des pauvres. Un des objectifs de sa visite aux Etats-Unis est de mobiliser l’attention sur son pays, ancienne colonie des Etats-Unis qui, en dehors des informations sur les enlèvements et les pirates de l’informatique, n’éveille pas un grand intérêt aux Etats-Unis depuis 1986, année de la révolution qui a entraîné la chute de Ferdinand Marcos.
Après la chute de Marcos et une période de calme, les mouvements de protestation ont retrouvé une certaine vigueur parce que les gens sont déçus de la politique d’Estrada, qui entame la troisième année de son mandat.
Mécontentement général
«Ce ne sont pas seulement les militants qui sont mécontents, mais la majorité silencieuse. Les milieux d’affaires, les membres des professions libérales, les gens de la classe moyenne ne sont pas encore descendus dans la rue, mais le mécontentement croit dans la classe moyenne.» Même si Estrada se veut populiste et sait rire aussi des plaisanteries que l’on fait à son sujet, les gens se sont lassés et désapprouvent sa politique de favoritisme à l’égard des partisans de Marcos et des investisseurs étrangers, menée au détriment du secteur public.
Pressée de préciser ce qu’elle entendait par là, Sharon Ruiz-Duremdez a mentionné la privatisation des hôpitaux publics. Ainsi, elle a été surprise d’apprendre, lors d’une hospitalisation récente, que les patients, dans le cadre d’une politique de réduction des dépenses de l’établissement, devaient apporter leur thermomètre.
Par ailleurs, elle a déploré la volonté du gouvernement Estrada de laisser les compagnies minières étrangères exploiter d’immenses surfaces. «Ceci met le pays au service des compagnies étrangères et cause le mécontentement de la population».
Quand on lui demande si les investissements étrangers sont forcément une mauvaise chose, elle répond: «Les Philippins n’ont aucune chance dans un tel environnement. Les industries philippines ne vont pas pouvoir décoller.»
Sharon Ruiz Duremdez précise en concluant qu’il existe aux Philippines un mouvement charismatique important. Je respecte la conviction et la ferveur religieuse de leurs membres, mais je regrette qu’ils soient indifférents à la politique et qu’ils acceptent si facilement le statu quo. D’autres chrétiens essayent de mettre ces problèmes de société au premier plan. Ce n’est pas toujours facile. Mais nous sommes décidés à lutter. (apic/eni/ch/ba)