Pas de raison de s’y opposer

Port du voile pour les écolières musulmanes en Suisse (241089)

Fribourg, 24octobre(APIC/Pierre Rottet) Le port du voile à l’école pour

les jeunes musulmanes serait-il interdit en Suisse, ainsi qu’il l’est pour

trois adolescentes d’origine maghrébine dans un collège français? Une enquête menée auprès de divers Départements de l’Instruction publique, notamment à Fribourg et à Genève, et dans différentes écoles, montre que le climat est plutôt à la tolérance de ce côté-ci de la frontière. L’enseignement

doit se faire dans le respect des convictions religieuses des personnes,

souligne-t-on généralement. Du reste, à Genève comme dans d’autres régions

de Suisse alémanique, des jeunes filles se rendent à l’école avec le voile.

Sans problème ni polémique d’aucune sorte.

L’»affaire» du collège de Creil, au nord de Paris, qui remonte au début

octobre – le principal de l’établissement avait refusé, au nom des principes de laïcité de l’enseignement français, de laisser les trois adolescentes porter le voile pendant les cours -, divise de plus en plus l’opinion

publique française. Celle-ci est partagée entre ceux qui pensent que le

port du voile, expression d’une religion et d’une tradition, doit être permis, et ceux qui estiment au contraire, au nom de la laïcité, qu’il faut

interdire tout signe distinctif religieux à l’école. Le port du voile est

un signe plus visible que la petite croix ou l’étoile de David, par exemple, et certains voient là se profiler l’ombre de l’intégrisme musulman.

Par rapport à la France, pays où l’islam est la deuxième religion par le

nombre de fidèles, la Suisse compte moins de 120’000 musulmans. Selon les

chiffres de la Communauté catholique suisse de travail pour les étrangers

et leurs problèmes (SKAF), à Lucerne, on dénombre en effet 53’000 Turcs,

entre 35’000 et 40’000 Yougoslaves musulmans, 15’000 de pays divers d’Afrique, du Proche et Moyen-Orient, de l’Asie, et entre 5’000 et 6’000 Suisses.

Le problème se pose différement en Suisse

D’un point de vue strictement scolaire, la réalité suisse est différente

dans la mesure où le combat école libre/école publique/laïcité en France

n’existe pas de la même manière, relève Hugues Plomb, de Boncourt (Jura),

secrétaire du syndicat des enseignants jurassiens, une organisation regroupant 900 enseignants. Il n’y a pas en Suisse cette fameuse lutte des laïcs

contre les tenants de l’école libre, explique-t-il.

Selon lui, deux positions se font jour en France à propos de la défense

de la laïcité. «L’une dit qu’il faut absolument respecter la laïcité et par

conséquent ne pas permettre l’expression, sous quelque forme que ce soit,

de la religion à l’école. La seconde part du principe qu’il faut les laisser venir à l’école avec le voile… c’est au contact de Rousseau, de Voltaire et des valeurs de la laïcité qu’ils vont s’ouvrir l’esprit». Si des

jeunes musulmanes portaient le voile dans les écoles jurassiennes, Hugues

Plomb, sans engager le syndicat, estime qu’il n’y aurait aucun problème à

l’admettre du côté des enseignants.

Respect des convictions religieuses

Mais quelle serait l’attitude, le cas échéant, des Départements de l’Instruction publique en Suisse? Tant à Fribourg qu’à Genève, on est formel :

l’enseignement doit se faire dans le respect des convictions religieuses

des personnes. En un mot, la tolérance. Interrogé par l’agence APIC, le

chef de l’Instruction publique du canton de Genève, Dominique Föllmi, souligne que la tradition de l’école genevoise a toujours été celle de l’ouverture, de la tolérance, «du respect des différences pour les élèves sans

distinction ni de race ni de religion. Notre volonté est d’intégrer toutes

les personnes qui ont parfois des convictions différentes, de les intégrer

dans l’école publique», explique-t-il avant d’émettre une crainte à propos

de ces différences: «Il s’agit d’éviter le prosélytisme en la matière et

d’éviter qu’elles soient perçuent par d’autre comme une provocation.

Comparé à ce qui se passe en France, conclut M. Föllmi, «ces jeunes filles pourraient entrer à l’école avec le voile. Nous avons d’ailleurs quelques cas à Genève et cela ne cause aucun ennui ni aucune polémique».

Même position à Fribourg. Selon le secrétaire du Département de l’Instruction publique Michel Ducrest, l’enseignement doit se faire dans le respect des convictions religieuses des personnes. Une affirmation que confirme M. Marius Cottier, chef du Département, qui, pour le surplus, et parce

que le problème ne s’est pour l’instant jamais posé dans le canton de Fribourg, ne désire pas commenter une situation hypothétique.

Dialoguer pour ne pas marginaliser

Mais le problème pourrait se poser, déclare pour sa part Léon Gurtner,

directeur du Cycle d’orientation du Belluard, pour lequel le respect des

croyances fait partie du cadre légal. «Notre souci premier, souligne-t-il,

est que chaque élève essaie de s’intégrer au mieux à notre communauté. Je

pense qu’on accepterait le port du voile à l’école». A la rigueur, une explication aux élèves de la classe serait apportée sur le pourquoi de cette

attitude, poursuit M. Gurtner, qui pense cependant que marquer des différences à ce niveau là est difficile à supporter à cet âge. «C’est la raison

pour laquelle je m’entretiendrais avec les parents et la fille non dans le

but de leur faire changer d’idée, mais pour leur faire comprendre qu’ils se

démarquent, par ce geste là, par rapport à un groupe». Mais attention, relève-t-il, il y a danger en créant ainsi des conditions d’exclusion. Tolérance, oui, mais avec le souci de l’intégration.

La position de Genève et Fribourg est celle qui, d’une manière générale

et en vertu du principe du respect des croyances, est adoptée dans le reste

de la Suisse, ou plusieurs exemples de jeunes filles portant le voile sont

à signaler, fait-on remarquer à la SKAF à Lucerne. La SKAF n’a enregistré

pour le moment que quelques problèmes concernant des dispenses demandées

par des parents musulmans pour leurs filles dans le cadre de leçons de gymnastique, de cours de natation ou autres camps scolaires. «Des désaccords

qu’un dialogue parvient souvent à résoudre», observe-t-on.

Tolérance donc en Suisse d’un point de vue scolaire. Il n’en demeure pas

moins que la compréhension interculturelle et interreligieuse est loin

d’être acquise. S’exprimant à propos de l’affaire qui divise actuellement

la France, le cardinal Lustiger, archevêque de Paris, déclarait récemment:

«Il faut d’abord poser le problème du voile aux responsables culturels et

religieux de l’islam. Il faut qu’ils débattent entre eux et qu’ils nous expliquent clairement, peut-être de façon contradictoire, quelle en est la

signification et la portée». Ce à quoi répond de façon péremptoire l’imam

Malik, de la mosquée du Centre islamique de Genève: «Le voile est une obligation écrite dans le Coran. C’est, dit-il, une manière de protéger l’identité d’une femme musulmane». (apic/pr)

24 octobre 1989 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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