Genève : Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète des usages de la religion qui entravent le droit à l’information

Près de la moitié des Etats du monde punissent le blasphème, l’apostasie ou la diffamation des religions

Genève, 16 décembre 2013 (Apic) Dans son dernier rapport, Reporters sans frontières (RSF) rappelle comment l’utilisation de la religion à des fins politiques peut menacer le travail des journalistes. Parmi les censures que rencontrent les journalistes, il en est une bien particulière et redoutable : celle qui s’exerce au nom de la religion, voire de Dieu lui-même. C’est ce que rapporte l’ONG dans « Le Courrier » du 14 décembre 2013. Pour l’association, le droit à l’information est malmené par les prétentions théocratiques de certains Etats.

Le dernier rapport de Reporters sans frontières (RSF) dresse l’état des lieux de la situation. Citant de multiples exemples au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie, mais aussi dans certaines régions d’Europe, l’enquête menée par le journaliste Benoît Hervieu pointe à la fois l’ambigüité de la censure pratiquée au nom de la religion et le choix de placer cette dernière au-dessus de la liberté d’informer, partie intégrante de la déclaration universelle des droits de l’homme.

Le «sentiment des croyants»

Selon une étude publiée en 2012 par le Pew Research Center, près de la moitié des Etats du monde punissent le blasphème, l’apostasie ou la diffamation des religions. Si l’Etat ne reconnaît pas la séparation entre le politique et le religieux, contester le régime revient à «se dresser contre Dieu lui-même». Cette imbrication entrave le traitement de sujets en lien avec le religieux, dénonce RSF.

L’ONG conteste d’ailleurs l’usage devenu commun du mot «blasphème». Dans son acception première, cette notion s’applique uniquement au rapport qu’entretient un croyant avec sa propre religion et ne concerne donc en principe pas les journalistes. De même, le «sentiment des croyants» volontiers brandi reste un concept difficilement définissable dont ne bénéficient d’ailleurs parfois

que les majorités religieuses. Selon RSF, la censure s’exerce souvent lorsque le journaliste questionne «l’influence de la religion dans la société». Maksim Ekimov en a fait l’expérience. Le blogueur et défenseur des droits humains titrait un article posté fin 2011 «La Carélie est fatiguée des popes».

Poursuivi pour «incitation à la haine religieuse», condamné à être placé en hôpital psychiatrique, il a été obligé de fuir en Estonie. «En fait de haine religieuse, Maksim Ekimov fustigeait le poids économique et social des hiérarques de l’Eglise russe traditionnellement très proche du pouvoir.» RSF note que dans certains cas, la simple évocation des faits est déjà considérée comme une provocation, ce qui complique singulièrement le travail d’information. Le rapport cite le cas du directeur de l’hebdomadaire yéménite Al-Thaqafa, attaqué en 2009 par trois députés pour «falsification du Coran»; en réalité, celui-ci n’aurait fait que répercuter un débat d’actualité entre religieux sur la vocalisation du texte sacré. Le directeur de l’hebdomadaire a néanmoins purgé cinq mois de détention.

Entrée à l’ONU

L’ONG souligne aussi que la condamnation du blasphème a désormais franchit la porte de l’ONU: de 1999 à 2010, quinze résolutions soutenues par l’Organisation de la coopération islamique y ont été votées pour condamner la «diffamation des religions».

Pour leurs initiateurs, juge RSF, l’atteinte aux croyances se confond avec l’atteinte aux personnes. Le débat avec leurs contradicteurs n’est sans doute pas clos.

Encadré :

Le blasphème en Europe

Dans l’UE, la notion de «blasphème» existe dans l’appareil juridique de huit pays sur vingt-huit. Elle tend toutefois à s’effacer au profit de celle d’«offense aux sentiments religieux». Le code pénal espagnol punit ainsi de huit à douze mois de prison les «attaques portées au dogme religieux, croyances ou cérémonies». Seule la Grèce applique le délit de blasphème. Philippos Loizos l’a appris à ses dépens en 2012, coupable d’avoir publié sur Facebook une caricature du moine Paisios. Le paragraphe anti-blasphème danois n’est plus guère appliqué; la loi punit en revanche les propos publics insultant quelqu’un en raison de sa religion.

La Cour européenne des droits de l’homme reconnait le droit au respect des convictions intimes, mais rappelle que ceux qui exercent leur liberté de religion ne peuvent raisonnablement pas s’attendre à être à l’abri de toute critique.

(apic/lecourrier/rsf/cw)

16 décembre 2013 | 10:47
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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