Suisse

Prêtre homosexuel: «Encore aujourd'hui la vérité coûte»

Un prêtre a partagé la manière dont il a concilié son homosexualité et son engagement au sein de l’Église catholique. La soirée témoignage, organisée le 1er septembre 2022 à Genève par la pastorale de la Famille de l’Eglise catholique romaine à Genève (ECR) et l’Antenne LGBTI de l’Église protestante de Genève (EPG), avait pour but d’officialiser la collaboration entre les deux structures.

Myriam Bettens pour cath.ch

«Lorsqu’on est prêtre, les gens ont toujours un certain nombre d’idées sur comment un ministre devrait être et se comporter», affirme Christophe* le temps d’une soirée. Sans pour autant l’étaler en public, ce prêtre en poste dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, ne cache pas non plus qu’il est homosexuel. Il prend autant de précautions pour partager son témoignage, car il considère «encore aujourd’hui que la vérité coûte», même si la parole commence peu à peu à se libérer. Christophe a accepté de sortir de sa réserve à l’invitation de la Pastorale des familles de l’Église catholique romaine à Genève (ECR) et de l’Antenne LGBTI de l’Église protestante de Genève (EPG), co-organisatrices de cette soirée témoignage qui s’est déroulée dans les locaux de cette dernière et a été conduite par Adrian Stiefel, son responsable.

Une double révélation intérieure

Face à la petite assemblée réunie pour l’occasion, le prêtre reconnait volontiers qu’il ne vient pas d’une famille très pratiquante. Certes catholique, mais «tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Néanmoins, nous avions une vraie liberté de parole». L’année de ses douze ans, Christophe a une double révélation intérieure. Le jeune garçon regardait la télé cet après-midi du 13 mai 1981 chez sa grand-mère. Stupéfaction, les programmes sont interrompus pour annoncer un attentat. Celui du pape Jean Paul II. Des images de personnes en prière sur la place Saint-Pierre sont diffusées à l’écran.

Christophe entend clairement une voix lui dire: «Tu seras prêtre». C’est aussi cette même année qu’il découvre son attirance pour les hommes accidentellement. Il se retrouve nez à nez avec un homme nu. Il le trouve beau. Ce qu’il ressent n’est pas encore très clair pour lui et «[s]on amie de toujours [l]’aide alors à dire ce qu’il éprouve» encore indistinctement.

«Le sujet n’est jamais thématisé: c’est là, mais ce n’est pas là»

Simultanément, il poursuit le processus d’évaluation de sa vocation et approche un ordre missionnaire. Le novice se forme à la théologie, voyage beaucoup et vit pleinement sa vocation. Du côté de son orientation sexuelle, Christophe «vivote son homosexualité, sans pour autant en souffrir». D’ailleurs, au cours de sa formation «le sujet n’est jamais thématisé: c’est là, mais ce n’est pas là». Vient le temps des vœux. Adrian Stiefel s’interroge sur la compatibilité de ceux-ci avec l’homosexualité du témoin. «La chasteté était plutôt considérée comme un engagement envers soi-même. Être celui que nous sommes tout en restant authentique par rapport à cela». Par la suite, Christophe rejoint un autre ordre religieux dont le leitmotiv premier était également cette recherche d’authenticité. «Il fallait apprendre à devenir soi-même et réussir à se dire tel que nous étions». Cette authenticité se retrouve aussi dans la possibilité donnée aux frères de sortir de l’ordre s’ils en ressentent le besoin.

Quitter par authenticité

Pour Christophe ce besoin se fait sentir. Un film – une histoire d’amour entre deux hommes – visionné en compagnie de sa meilleure amie lui fait prendre conscience de son souhait «d’expérimenter une telle histoire d’amour». Dans le contexte de son ministère de prêtre, il rencontre un homme dont il tombe amoureux. Les sentiments sont partagés et il entame donc une relation suivie avec ce compagnon. Mais le dilemme est de taille. Il sent qu’il doit «partager cette injustice de devoir choisir» et se met en retrait afin de prendre un temps de discernement. Christophe décide de quitter son ministère pour ce compagnon.

Avec du recul, il ne regrette pas ce choix, même si la relation s’est essoufflée avec le temps. «Cette étape de ma vie m’a humanisé. Dieu ne suit pas la discipline d’une Église, quelle qu’elle soit, il va accompagner les étapes d’un chemin de vérité et celle-ci ne va pas forcément plaire à tout le monde». Ce chemin de vérité, Christophe l’accomplit également auprès de sa hiérarchie et de ses confrères. Il ne cache pas la raison de son départ et reçoit en retour beaucoup de marques de respect et d’affection de ses pairs.

«Dieu ne suit pas la discipline d’une Église, quelle qu’elle soit, il va accompagner les étapes d’un chemin de vérité et celle-ci ne va pas forcément plaire à tout le monde».

«Durant cette période, je ne me suis jamais senti abandonné ou condamné de Dieu». Au contraire, il garde toute confiance en Lui pour «rebondir». Durant quelques temps, il se contente «d’emplois alimentaires», les offices régionaux de placement du chômage (ORP) ne sachant pas vraiment où le replacer «avec un tel CV». Malgré son départ, l’ancien prêtre a gardé contact avec des frères. L’un d’eux lui offre un tremplin pour revenir à sa vocation première. L’évêque d’un diocèse francophone étranger lui redonne sa chance en le mettant pourtant en garde. «Pas de conneries», lui dit-il. Au bout de quelques années en tant que prêtre de paroisse, Christophe voit une nouvelle porte s’entrouvrir pour lui, avec à la clé la possibilité de revenir officier en Suisse romande. A nouveau, il ressent la nécessité de discerner la justesse d’un retour en terres helvétiques.

La libération de la parole

L’évêque d’alors accueille le prêtre à bras ouverts. Néanmoins, il le place dans une paroisse différente de celle dans laquelle il avait officié avant son départ «le temps que tout ce foin se tasse un peu». Ne considérant pas cet éloignement comme une mise à ban, Christophe en prend son parti et commence à sonder son nouvel environnement. Certaines personnes autour de lui souffrent de ne pouvoir partager cette partie de leur identité. De fait, la même que celle de leur prêtre. Il décide d’organiser un groupe de parole au sein de sa paroisse pour permettre à la communauté catholique LGBTIQ de se retrouver et de parler, cela même informellement. Christophe désire «passer à l’étape suivante» en officialisant leur existence auprès de l’évêque. Loin de le réprimander, celui-ci «s’est réjoui d’avoir des lieux et des confrères permettant la parole».

Parallèlement, la Pastorale des familles de l’ECR a initié une réflexion autour de l’accueil pastoral et spirituel des personnes LGBTIQ et de leurs familles. Dans un souci de «réaffirmer que chaque personne, indépendamment de sa tendance sexuelle, doit être respectée dans sa dignité et accueillie avec respect» (Amoris Laetitia n°250), sa responsable, Anne-Claire Rivollet, a ouvert en avril 2021 une ligne téléphonique à cet effet.

Cette soirée témoignage avait également pour but d’officialiser la collaboration entre la Pastorale des familles de l’ECR et l’Antenne LGBTI de l’EPG. «Nous cherchons comment une présence chrétienne peut se dire au travers de nos appartenances institutionnelles. Le diocèse prend à cœur la question, relève Anne-Claire Rivollet. Il ouvre des portes pastorales, un chemin pour que des vies puissent être reconnues et des talents différents intégrés à notre dynamique d’Eglise». Un regard partagé avec le témoin vient confirmer ses dires. (cath.ch/mb/bh)

*Prénom d’emprunt

2 septembre 2022 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture: env. 5 min.
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