Immeuble de Londres, investissement en Angola, l'argent envoyé à son frère en Sardaigne, ses relations avec les autres accusés, autant de points sur lesquels le cardinal s'est expliqué lors de cette 14e audience | © Vatican Media
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Procès de l'immeuble de Londres: le cardinal Becciu se défend

Lors de la quatorzième audience du procès de l’immeuble de Londres, le 5 mai 2022, le cardinal Angelo Becciu a pu présenter sa version des faits pendant plus de deux heures. Outre ses déclarations sur Mgr Alberto Perlasca, Cecilia Marogna et le cardinal Pell, cette séance a apporté des révélations sur d’autres volets importants du procès, notamment sur la façon dont il en était venu à démissionner, en 2020, après une audience avec le pape François. 

Une audience décisive avec le pape François

Le haut prélat sarde a raconté le moment où il aurait pris conscience des accusations portées contre lui, lors d’une audience avec le pape François le 24 septembre 2020. Le pontife lui aurait déclaré: «Il y a un gros problème, vous êtes accusé de détournement de fonds». Puis lui aurait expliqué que des enquêteurs lui avaient dit qu’il avait envoyé de l’argent du Denier de Saint-Pierre à la Caritas du diocèse d’Ozieri afin d’enrichir son frère Antonio. 

Le pontife se serait ensuite dit «affligé» par le fait qu’un hebdomadaire italien, L’Espresso, soit déjà au courant de la situation et en mesure de publier un article à ce sujet – ce qu’il fera au lendemain de la démission du cardinal Becciu, officialisée le 24 septembre 2020.

Le cardinal Becciu nie avoir détourné de l’argent au profit de sa famille | © I.Média

«J’avoue être resté sans voix, tant cette accusation était absurde et infondée, comme les faits le prouvent enfin aujourd’hui», a affirmé le cardinal. Elle l’aurait poussé, «par amour de l’Église», à poser sa démission. «À partir de ce moment, un pilori public de proportions mondiales a été dressé pour moi […] j’ai été étalé à la Une des journaux du monde entier; privé de toute fonction ecclésiastique; relégué aux marges de la Curie et de l’Église», a-t-il affirmé. 

Lors de l’interrogatoire ultérieur du Promoteur de justice, Alessandro Diddi, le cardinal a donné plus de détails sur cette journée, disant qu’après avoir annoncé sa démission, il avait été inondé de questions lui demandant s’il y avait des crimes sexuels derrière cette décision. Pour clarifier la situation, il avait décidé de tenir une conférence de presse le jour suivant.

Le 60, Sloane Avenue n’a pas été acheté avec le Denier de Saint-Pierre

Le cardinal italien a cherché à se défendre des accusations selon lesquelles il aurait abusé de son pouvoir en utilisant les investissements de la Secrétairerie d’État pour enrichir d’autres accusés. Il a notamment décrit comme «infondées» celles affirmant qu’il avait touché à l’argent donné par les fidèles au pape – le Denier de Saint-Pierre – à «des fins incompatibles avec leur finalité institutionnelle».

«Les fonds du Denier n’ont pas été utilisés», a-t-il assuré, expliquant que les transactions financières avaient été faites avec les fonds de réserve de la Secrétairerie d’État. Il s’est pour cela appuyé sur une déclaration de Mgr Nuncio Galantino, président de l’Administration du patrimoine du Siège apostolique (APSA) dans un entretien accordé au quotidien italien Avvenire en octobre 2020. 

L’immeuble du scandale est situé sur Sloane Avenue, à Londres | © Timitrius/Flickr/CC BY-SA 2.0

Le haut-prélat sarde a également expliqué que les fonds du Denier de Saint-Pierre n’étaient pas seulement destinés à des fins caritatives mais aussi au «soutien de la mission universelle du successeur de saint Pierre, qui s’appuie sur un ensemble d’organes appelé la Curie romaine». L’argent reçu, a-t-il poursuivi, n’est pas suffisant pour soutenir la Curie: dès lors, a-t-il insisté, des «investissements n’étaient pas seulement possibles […] mais nécessaires».

Le Denier recevant selon lui de 45 à 50 millions d’euros par an, la Secrétairerie d’État avait pour devoir d’en verser 5 millions à l’APSA tous les mois pour les besoins de la Curie, soit 60 millions par an. Le cardinal George Pell aurait ensuite fait passer le montant mensuel à 8 millions par mois, soit 96 millions par an. En outre, la Secrétairerie d’État devait également soutenir Radio Vatican, qui avait besoin d’environ 33 millions par an, et les représentations diplomatiques du Saint-Siège, qui nécessitaient environ 30 millions par an. «Que restait-il donc du Denier? Rien!» a-t-il conclu. 

Investissements en Angola 

Le cardinal Becciu a également voulu clarifier sa position par rapport à un investissement en Angola qu’il avait proposé à la Secrétairerie d’État en 2013, lui qui avait été nonce apostolique dans ce pays africain de 2001 à 2009. La justice vaticane avait jugé ce dossier suspect, car le fonds Athena géré par Raffaele Mincione, qui a ensuite été utilisé pour l’opération immobilière londonienne, avait été créé pour ce projet d’investissement dans le secteur pétrolier, qui provenait d’une connexion personnelle du cardinal Becciu.

Le cardinal a déclaré que, «contrairement à l’habitude», il avait proposé l’investissement au Bureau administratif, dirigé par Mgr Perlasca, en charge des questions financières de la Secrétairerie d’État. L’opportunité d’un tel investissement lui avait été présentée par l’intermédiaire de l’entrepreneur Antonio Mosquito, une amitié nouée lors de son séjour dans ce pays.

L’ex-substitut a affirmé avoir demandé à Mgr Perlasca «de mener avec la plus grande rigueur toutes les enquêtes nécessaires pour protéger le Saint-Siège de tout risque financier éventuel, et de participer de manière inflexible à tout jugement négatif, en ignorant totalement les relations personnelles avec l’homme d’affaires angolais». Ces propos ont également été répétés par Mgr Perlasca lui-même lors de son interrogatoire auprès des autorités vaticanes.  

Le cardinal Becciu a confié que lorsque Mgr Perlasca lui avait plus tard conseillé de ne pas faire l’investissement car il «ne présentait pas de garanties de fiabilité suffisantes», le haut prélat avait suivi son conseil et la question avait été close. 

L’argent envoyé à la coopérative de son frère en Sardaigne

Bien qu’il ait abordé la question lors de son audience du 17 mars 2022, le cardinal Becciu est revenu sur l’accusation d’avoir envoyé de l’argent de la Secrétairerie d’État à la coopérative SPES gérée par son frère, Antonio Becciu, dans le diocèse d’Ozieri en Sardaigne. Il a répété que tout l’argent envoyé était destiné uniquement à des objectifs caritatifs. 

La société Spes a son siège à Ozieri, en Sardaigne | © Gianni Careddu/Wikimedia/CC BY-SA 4.0

Le cardinal a expliqué que la coopérative SPES, apparemment créée en 2005 par l’évêque d’Ozieri de l’époque, n’était pas exclusivement «à son frère», mais qu’il en était plutôt l’un des nombreux partenaires, avec notamment la Caritas d’Ozieri elle-même. Il a affirmé que le compte bancaire de la Caritas visé par l’enquête – qui considère qu’il a été utilisé par son frère à des fins personnelles – n’est, encore aujourd’hui, utilisé qu’à des fins caritatives.

Le pouvoir d’un substitut 

Le cardinal Becciu a déclaré que la Secrétairerie d’État n’avait pas à recevoir d’autorisation de l’APSA pour procéder à des investissements financiers. Elle était hors de la zone de contrôle de la «banque» du Vatican, mettant en avant «la pratique» de ses prédécesseurs. En outre, quand un substitut entre en fonction, a-t-il poursuivi, il reçoit une délégation de pouvoir du cardinal Secrétaire d’État qui lui permet de disposer des ressources financières du Secrétariat. 

Le prélat sarde a fait remarquer que le pape François, dans un Motu Proprio publié en décembre 2020, avait transféré les fonds et comptes bancaires et pouvoir économiques liés à la Secrétairerie d’État à l’APSA.

Ses relations avec les autres accusés

Le cardinal Becciu a tenu à prendre ses distances avec certains autres accusés. S’il a affirmé qu’il faisait confiance à Enrico Crasso, conseiller financier de la Secrétairerie d’État depuis 1990, il a insisté sur le fait qu’il ne le rencontrait que rarement parce que ce dernier travaillait surtout avec le Bureau administratif et Mgr Perlasca. 

Le cardinal a affirmé n’avoir croisé le banquier Raffaele Mincione deux ou trois fois à la Secrétairerie d’État et qu’il ne le connaissait pas personnellement. Il a nié avoir obtenu des informations indiquant que ce dernier n’était pas une personne fiable et donc qu’il fallait éviter de faire des affaires avec lui. 

Il a enfin affirmé n’avoir jamais rencontré le courtier Gianluigi Torzi. «Je n’arrive pas à être en paix, Monsieur le Président, en pensant que l’on m’accuse de favoriser des inconnus», a-t-il conclu.   

L’interrogatoire du cardinal Becciu se poursuivra le 18 mai. Les audiences suivantes sont prévues les 19, 20, 30 et 31 mai. (cath.ch/imedia/ic/cd/bh)

Immeuble de Londres, investissement en Angola, l'argent envoyé à son frère en Sardaigne, ses relations avec les autres accusés, autant de points sur lesquels le cardinal s'est expliqué lors de cette 14e audience | © Vatican Media
9 mai 2022 | 09:48
par I.MEDIA
Temps de lecture: env. 6 min.
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