Notre attitude envers les momies dit beaucoup de notre perception de la mort | © eheçatzin/Flickr/CC BY 2.0
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Quand les momies (et la mort) faisaient beaucoup moins peur

Il fut un temps où les cadavres et les momies, évoquant la finitude de l’homme, ne provoquaient pas forcément peur et répulsion. Pour l’archéologue américain Michael Press, l’attitude envers les corps sans vie dit beaucoup sur la façon dont la mort a été perçue selon les époques.

En cette fin octobre 2020, l’ombre de la «Grande Faucheuse» paraît plus présente. La pandémie de coronavirus prélève un lourd tribut de vies sur la planète. L’Eglise catholique s’apprête à célébrer le Jour des morts le 2 novembre, et la culture populaire fait plonger dans l’ambiance d’Halloween, une célébration profane de l’horreur, de la peur et de la mort.

Dans le panel de créatures qui ressurgissent à cette occasion, la momie tient une place traditionnelle, à côté du vampire, du fantôme et du loup-garou. Cette créature ressuscitée au corps émacié et desséché, sortie tout droit d’un tombeau égyptien pour se venger de ses profanateurs, a provoqué l’effroi et le dégoût chez des générations de spectateurs. Ceci depuis que des archéologues occidentaux se sont mis en tête de les extirper de leur sépulture pour les exhiber dans des musées.

Qui veut un «jus de momie»?

Ces dépouilles embaumées n’ont pourtant pas toujours provoqué ce même sentiment de peur et de dégoût chez les Européens, souligne l’archéologue américain Michael Press. Dans un article du magazine en ligne Aeon en août 2020, il rappelle qu’après la découverte par l’Europe de ces corps conservés de nobles égyptiens de l’Antiquité, l’intérêt qui leur a été porté n’était pas du tout d’ordre scientifique. Si on se donnait tant de mal pour les dénicher et les extraire, c’était principalement pour les réduire en poudre et…les manger.

Cette pratique surprenante résultait en fait d’une erreur de traduction. Les médecins arabes du Moyen Age pensaient que la ‘mumia’, qui signifie bitume ou pétrole, avait des effets bénéfiques pour la santé. Les transcripteurs européens interprétèrent ce terme faussement, en jugeant qu’il s’agissait d’un résidu de momies, le mélange des résines, épices et autres substances utilisées pour l’embaumement avec les liquides corporels du défunt.

Dans la culture populaire, la momie est un personnage effrayant et répugnant | © Brecht Bug/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0

Du 15e au 16e siècle, la «production» de momies prit une ampleur quasi industrielle, raconte Michael Press. Le «jus de momies» était censé être efficace contre des maux aussi variés que l’épilepsie, les ulcères, les vertiges et les calculs rénaux. Cela se pratiquait dans le cadre d’un type de médecine qualifiée de «cannibale». Dans le sillage de cette «mode», on consommait par exemple aussi de la mousse que l’on avait fait pousser sur un crâne humain.

Chefs-d’œuvre «cannibales»

La «médecine cannibale» était ainsi le principal motif de l’extraction des dépouilles, en Egypte. Une activité tellement intense que les momies devinrent à un certain moment des articles pratiquement introuvables, les autorités égyptiennes ayant interdit leur transfert.

La consommation des momies tomba cependant en désuétude. Pas tant à cause de quelconques motifs éthiques, mais surtout parce que de plus en plus de médecins commençaient à douter de l’efficacité de ce «médicament».

Alors que les Lumières se levaient sur l’Europe, ces corps embaumés continuèrent toutefois à être retirés de leurs tombeaux, mais pour des raisons bien différentes. Les momies devinrent très prisées comme pigments pour la peinture. Pendant des siècles, des artistes célèbres, tels qu’Eugène Delacroix ou Edward Burne-Jones ont inclus à leurs œuvres des nuances de «brun momie».

Un miroir qui nous renvoie de sombres vérités

Les malades qui consommaient de la momie au petit-déjeuner ou les peintres qui tiraient des pigments pour leurs toiles ne semblent guère s’être posés de questions particulières. De telles pratiques seraient sans doute perçues aujourd’hui comme socialement inconvenantes. Pour Michael Press, ce constat livre de précieux enseignements sociologiques.

Le professeur à l’Université de l’Indiana et auteur de plusieurs ouvrages d’archéologie, considère que la récupération des momies ne nous renseigne pas seulement sur les anciens Egyptiens, mais aussi sur nous-mêmes. «Observer cette histoire est comme se regarder dans un miroir qui nous renvoie de sombres vérités».

«Le processus funéraire a été relégué loin du regard des proches.»

L’archéologue voit une différence flagrante avec l’attitude actuelle envers ces dépouilles. Le fait est que les professionnels de l’archéologie et des musées mettent aujourd’hui particulièrement en avant le concept de respect pour les momies, ainsi que la nécessité de reconnaître qu’il s’agit d’êtres humains. Pour Michael Press, une telle tendance reflète cependant moins un respect plus grand pour les morts que «la sensibilité actuelle particulière envers la mort«.

La mort «invisible»

Une sensibilité qui a fortement évolué au cours des derniers siècles. Jusqu’au milieu du 20e siècle, la Grande Faucheuse pouvait frapper à chaque instant à la porte, et elle avait l’habitude d’emporter avec elle les plus jeunes. Les plus souvent, les proches veillaient les défunts à domicile. Les cadavres restant souvent plusieurs jours dans la maison. La mort était alors un phénomène beaucoup plus familier, presque intime.

Dans les pays industrialisés, le 20e siècle a apporté des progrès fulgurants, notamment dans le domaine de la médecine, de l’alimentation et de l’hygiène, qui ont complètement changé la donne. La grande silhouette noire avec sa faux a nettement baissé son taux d’activité.

Aujourd’hui, les décès surviennent presque exclusivement à l’hôpital. Le processus funéraire a été relégué loin du regard des proches. «D’un phénomène inévitable et faisant partie de la vie», la mort est devenue «invisible», souligne Michael Press.

Pour lui, le fait d’être révulsé à la mention de ce que faisaient nos ancêtres avec les restes d’autres êtres humains, et d’entourer les morts d’un tel respect, n’est pas un signe de civilisation. Mais plutôt le symptôme d’une perte de contact avec la réalité de la mort.

«Nous savons que l’attitude envers les morts a changé de multiples fois au cours de l’histoire. Est-elle sur le point de changer à nouveau?», s’interroge finalement l’archéologue américain, qui regarde sans doute du coin de l’œil une certaine récente pandémie. Pense-t-il à une époque où les momies et les squelettes n’effrayeront à nouveau plus personne? (cath.ch/aeon/rz)

Notre attitude envers les momies dit beaucoup de notre perception de la mort | © eheçatzin/Flickr/CC BY 2.0
29 octobre 2020 | 18:40
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 4 min.
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