Quoi de neuf sur le front de la messe tridentine? 1/2

Depuis l’élection de Léon XIV, les milieux traditionalistes, en particulier américains, font le forcing pour obtenir du pape américain l’abrogation du motu proprio Traditionis Custodes par lequel le pape François a restreint en 2021 l’usage de la messe tridentine pré-conciliaire. Léon XIV leur accordera-t-il satisfaction? La question est ouverte, la réponse très incertaine.
L’usage de la messe tridentine, abusivement appelée ›messe en latin’, agite l’Eglise depuis 60 ans. Les papes successifs ont hésité entre interdiction et tolérance. Avant d’examiner quelles options sont aujourd’hui ouvertes pour Léon XIV, il n’est pas inutile de jeter un regard vers le passé. On peut ainsi séquencer l’histoire en cinq périodes, comme le fait la Fraternité saint Pie X de Mgr Lefebvre (FSSPX), séparée de Rome depuis 1988, dans une récente lettre d’actualités.
1970-1984: une quasi-interdiction
L’élaboration d’un nouveau missel répond aux exigences du Concile Vatican II qui a adopté le décret Sacrosanctum Concilium en 1963, par 2’147 voix contre 4 (dont Mgr Lefebvre ne faisait pas partie NDLR). Elle marque une réforme liturgique significative, mettant l’accent sur la participation active des fidèles et la nécessité d’adapter les rites aux diverses réalités culturelles.
L’entrée en vigueur du missel de Paul VI en 1970 a gelé la célébration selon le rite tridentin. Le 14 juin 1971, la Congrégation pour le culte divin publiait une note indiquant qu’après approbation des traductions du Novus Ordo Missae (NOM), tous devraient utiliser «uniquement la forme renouvelée de la Messe».

L’usage de l’ancien rite n’était accordée qu’aux prêtres âgés ou malades, en privé et avec permission de l’ordinaire, jusqu’à leur extinction. Lors d’un consistoire le 24 mai 1976, le pape Paul VI insistait: «Notre saint prédécesseur Pie V avait rendu obligatoire (…) le Missel réformé à la suite du concile de Trente (la messe tridentine NDLR). Nous exigeons (…) avec la même autorité suprême toutes les autres réformes liturgiques, disciplinaires et pastorales qui ont mûri en application des décrets du Concile.» Ce faisant le pape réfutait clairement l’idée, toujours répandue chez les traditionalistes, de ›la messe de toujours’.
Durant cette période, aucune messe tridentine publique n’est considérée comme légale. Les prêtres qui continuent à la célébrer publiquement sont réprimandés, parfois tolérés, jamais approuvés. Seul Mgr Lefebvre continue à former et à ordonner des prêtres pour le rite traditionnel, en opposition ouverte au Concile et à la nouvelle Messe. Il est sanctionné par une «suspens a divinis » en 1976.
1984-1988: une tolérance minimale
Devant la résistance persistante des fidèles traditionalistes, la Congrégation du culte divin accorde en 1984 l’indult Quattuor abhinc annos. Cette dérogation pour la célébration selon le Missel de 1962, sera accordée par les évêques à des conditions très précises: il devait être publiquement clair que les prêtres et les fidèles n’avaient rien à voir avec ceux qui remettent en cause la «force juridique» et la «rectitude doctrinale» du Missel de Paul VI.
Les autres conditions visent les circonstances: célébration dans des églises précises, à l’exclusion des paroisses, à des heures et des conditions déterminées, l’ancien et le nouveau rite ne doivent pas être mélangés. Cette concession ne doit en aucun cas porter préjudice à «l’observance de la réforme liturgique dans la vie de chaque communauté ecclésiale». Mgr Marcel Lefebvre refuse une telle concession.
La situation était donc la suivante: des messes tridentines ›légales’ étaient introduites, au jugement des évêques. La Fraternité Saint-Pie X et d’autres institutions religieuses traditionalistes refusèrent ces conditions et continuèrent à ne célébrer que la messe tridentine en rejetant la nouvelle.
1988-2007 : Ecclesia Dei Adflicta
Le 30 juin 1988, Mgr Lefebvre sacre quatre évêques, en invoquant ›la grave nécessité dans laquelle se trouve l’Eglise’. Jusqu’au dernier moment, Rome tente de le retenir notamment par l’intervention du cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI. De fait, ce que Mgr Lefebvre dénonce n’est pas tant la nouvelle messe et l’abandon du latin que les ›erreurs du Concile’: fausse conception de l’Eglise, liberté religieuse, œcuménisme, dialogue avec les juifs et les autres religions etc.
Le pape Jean-Paul II déclara en 1988 l’excommunication de Mgr Lefebvre et des quatre évêques par le motu proprio Ecclesia Dei adflicta. Tout en confirmant l’indult, il invitait les évêques à l’appliquer généreusement. Il permit la création d’instituts sacerdotaux utilisant la liturgie tridentine, tout en acceptant le Concile. C’est ainsi que naquirent, en dissidence de la FSSPX, la Fraternité Saint-Pierre (FSSP) et diverses fondations dans les années suivantes. La Commission pontificale Ecclesia Dei est fondée pour administrer ces questions depuis Rome.
«L’Indult est une concession qui n’est pas destinée à durer éternellement. […] La célébration de la messe selon le Missel de 1962 est l’exception, la règle, la réforme liturgique introduite par l’Eglise il y a 25 ans, et suivie par 99% de l’Eglise», rappelle cependant Mgr Camille Perl, secrétaire de la Commission Ecclesia Dei, en 1993.
Durant cette période, le Saint-Siège poursuit le régime de l’indult de 1984, mais autorise l’ordination de prêtres dans des instituts qui célèbrent le rite tridentin à condition d’accepter la nouvelle messe et le Concile. La FSSPX de Mgr Lefebvre et d’autres instituts qui le suivent se placent de facto dans une situation de schisme.
2007-2021 : Summorum Pontificum, les concessions de Benoît XVI
La promulgation par Benoît XVI du motu proprio Summorum Pontificum le 7 juillet 2007 apporte un élément nouveau. Ce document affirme que la messe tridentine n’a jamais été abrogée – contredisant ainsi Paul VI – et détermine des conditions nouvelles et plus larges pour sa célébration.
Benoît XVI détermine «deux formes du même rite romain» en vigueur: ordinaire et extraordinaire. La messe tridentine est déclarée égale à la nouvelle. Tous les prêtres peuvent la célébrer, au moins en privé, et aussi en public avec certaines limites d’organisation, toujours avec la condition d’accepter le Concile et la nouvelle messe.
Le nouveau régime fait prospérer la célébration de l’ancien rite par les communautés traditionalistes comme la Fraternité Saint-Pierre, auxquelles d’assez nombreux évêques accordent la desservance régulière de certaines églises. Mais malgré la concession du rite extraordinaire et la levée, en 2009, de l’excommunication des évêques ordonnés par Mgr Lefebvre, la FSSPX refuse toujours la main tendue par Benoît XVI.

16 juillet 2021: Traditionis custodes
Le motu proprio Traditionis custodes du pape François du 16 juillet 2021 rebat les cartes en abrogeant Summorum pontificum de son prédécesseur. En fait, il s’agit d’un retour en arrière puisque le document reprend essentiellement l’esprit et la lettre de l’indult de 1984. Il réaffirme que la seule forme du rite romain est le missel de Paul VI. La concession continue, bien que limitée, du missel tridentin se situe dans la catégorie de l’exception.
Le pape François explique sa décision par la volonté de préserver l’unité de l’Eglise en évitant le risque de voir se constituer une Église parallèle, rejetant non seulement la nouvelle messe mais toutes les réformes du Concile Vatican II. Le désir d’unité a été «gravement méprisé», les concessions offertes avec magnanimité ont été utilisées «pour accroître les distances, renforcer les différences, construire des oppositions qui blessent l’Église et entravent son chemin, l’exposant au risque de la division», écrit-il.
Dans le même sens, le pape avait dissout en 2019 la commission Ecclesia Dei pour intégrer les institutions qui en dépendaient dans l’organisation ordinaire de l’Eglise.
Alors que Traditionis custodes aurait dû signifier, au moins à terme, la disparition des communautés Ecclesia Dei, le pape François prolonge paradoxalement le régime d’exception dont elles bénéficient, n’exigeant même pas d’elles la célébration dans les deux rites.
Divers évêques, entre autres en France et aux Etats-Unis, retirent cependant aux congrégations traditionalistes les charges qui leur avaient été confiées, ou s’appliquent à faire respecter plus strictement l’interdiction de célébrer la messe tridentine dans les églises paroissiales.
Ce sont les deux points que contestent le plus vigoureusement les traditionalistes qui s’estiment ainsi injustement privés de leur ›milieu d’appartenance’ après avoir créé autour de la célébration de la messe tridentine leur propre microcosme ›paroissial’ avec catéchèse, célébration des sacrements, pèlerinages, chorales, groupe de jeunes et parfois même des écoles, selon le modèle d’une société de chrétienté de la première moitié du XXe siècle et désormais révolue.
De son côté, la FFSPX se voit conforter dans son opposition. Elle considère toujours que les deux messes forment deux Églises. Elle espère, plus ou moins explicitement, voir les catholiques déçus par l’attitude de Rome la rejoindre. (cath.ch/mp)
à suivre, comment Léon XIV va-t-il répondre? 2/2
Depuis l’élection de Léon XIV, les milieux traditionalistes, en particulier américains, font le forcing pour obtenir du pape américain l’abrogation du motu proprio Traditionis Custodes par lequel le pape François a restreint en 2021 l’usage de la messe tridentine pré-conciliaire. Léon XIV leur accordera-t-il satisfaction? La question est ouverte, la réponse très incertaine.